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Du fond de la mine au paradis lensois
En accrochant la phase de poules de la prochaine C1 pour la première fois depuis 2002, les Sang et Or n'ont pas seulement validé une saison exceptionnelle. Derrière eux se referme un interminable tunnel dans lequel ils s'étaient engouffrés voilà 15 ans. Amplement suffisant pour apprécier aujourd'hui chaque seconde de cette nouvelle ère du Racing.
Quand le Britannique Tony Britten a composé en 1992 l’hymne de la Ligue des champions – sur inspiration du célèbre compositeur allemand du XVIIIe siècle Händel -, il ne se doutait probablement pas qu’il ferait couler autant de larmes dans l’Artois, le 27 mai 2023. Bollaert encensait une énième fois ses héros après une ultime démonstration à la maison, contre Ajaccio (3-0), quand les frissons ont parcouru l’échine des 38 000 cœurs Sang et Or. Les premières notes ont résonné, tout a rejailli. Du plus profond des fosses minières où tant de gueules noires y ont laissé leur peau, le peuple lensois s’est souvenu. Avec émotion, comme toujours sur cette terre où le futur s’imprègne du passé, où demain ne se façonne pas sans connaître hier. La descente catastrophique en L2 au printemps 2008 (avec alors le 6e budget de L1), une seconde en 2011, puis une troisième en 2015. Le farfelu prince des 1001 nuits Hafiz Mammadov dégoté par Gervais Martel, le précipice du National 1 évité à deux reprises par Eric Sikora appelé en pompier de service, le couteau amiénois planté dans le coeur en 2017 à la 96e minute de la dernière journée, les barrages manqués d’un rien en 2019 face à Dijon. Les disparitions successives du druide Daniel Leclercq, de Maryan Wisniewski et d’Arnold Sowinski.
Les quinze dernières années du champion de France 1998 ont été un mélange de montagnes russes, d’espoirs douchés sportivement ou administrativement, de passion toujours (le Racing continuait à attirer entre 20 000 et 30 000 spectateurs de moyenne en L2), d’attente que l’horizon se dégage au-delà des cimes des terrils. « Il faut remercier les supporters qui étaient là quand le club était au fin fond de la Ligue 2, au plus proche du National 1, ne s’y trompait pas le manager artésien Franck Haise, après la victoire samedi soir. Eux seront toujours là. » Et « eux » espèrent que le grand manitou sang et or sera le plus longtemps possible dans les murs de la Gaillette. Car sans la patte de ce fin tacticien meneur de groupe, le 11e budget de l’Hexagone ne serait pas en C1 la saison prochaine. Inconnu du grand public en février 2020 au moment de remplacer Philippe Montanier, le Normand n’a aujourd’hui plus grand monde à convaincre sur les pelouses du pays. Sa science du jeu a fait de Lens une machine difficile à appréhender pour quiconque ose la froisser. Personne ou presque n’a trouvé l’issue de secours à Bollaert cette saison (17 victoires en 19 matchs), sa défense façon 4 Fantastiques (Samba, Gradit, Danso, Medina) est la plus imperméable de l’élite (28 buts encaissés), Seko Fofana est un guide qu’on suivrait aveuglément et Loïs Openda un détonateur venu dépoussiérer les livres d’histoires en égalant Roger Boli et ses 20 buts au début des années 1990.
Rennes, Lille, Monaco, Marseille, tous ont fini par lâcher les talons lensois dans la course au Top 5. Et que dire du sprint final avalé avec un appétit d’ogre (10 victoires sur les 11 dernières journées) face à un PSG concurrencé jusqu’au bout. Le prochain chapitre ne pouvait qu’être européen. « C’était un rêve, ça fait partie de l’ADN de notre club », considère le propriétaire du club Joseph Oughourlian. La renaissance lensoise porte aussi le sceau de l’homme d’affaires franco-arménien, débarqué en 2016. « Il va faire entrer le RC Lens dans le XXIe siècle, assurait en 2020 l’ex-président de la région Nord Pas-de-Calais Daniel Percheron et membre du conseil d’administration du RCL. Il incarne la quatrième ère du club après celle des houillères, celle d’André Delelis et de Gervais Martel. »
Pas de figuration en Europe
Sa vision claire et affirmée – il évoquait déjà le rêve d’Europe fin 2019 – n’a pas été sans secousses (plan social pour retrouver l’équilibre financier, départ de Gervais Martel en 2018), mais elle est la confirmation qu’il n’était pas venu se la couler douce sur le dos d’une institution alors fragilisée. Et son visage de gosse au moment d’envoyer le chicoté après Ajaccio, devant le kop, disait beaucoup de la satisfaction du dirigeant de 51 ans. « J’ai voulu vivre le moment présent et profiter après toutes ces années qui n’ont pas été faciles, cette Ligue 2 qui était dure, les barrages, etc. Ensuite à peine arrivé en Ligue 1 il y a eu la crise Covid et Mediapro qui nous a fait défaut. » Oughourlian a une intime conviction, Lens est un club qui « peut et doit jouer l’Europe. On est ravis que ce soit la C1 mais nous sommes conscients d’où l’on vient, nous restons humbles. Mais je ne pense pas qu’on va faire piètre figure en Europe. »
Quand bien même il faudrait un miracle pour conserver l’ensemble des piliers de cette saison : « Si des gros clubs viennent pour nos joueurs ou notre staff, comme ça s’est passé depuis 2-3 ans, il n’y a pas grand-chose que nous puissions faire. Nous devons nous préparer à ces éventualités. » Mais d’abord savourer, une dernière fois, l’exercice le plus prolifique de l’histoire du Racing, qui s’achèvera à Auxerre le week-end prochain. Et convier tonton Gervais. Le 17 mai 2008, après l’improbable retour en L2 pour la première fois depuis 1991, l’iconique président lensois avait été lucide : « Dans la vie quand on n’est pas capable de réaliser un certain nombre de choses, à un moment donné il faut passer à la caisse. » Lens n’oubliera pas ces années aussi noires que le charbon. Ni ces larmes de tristesse devenues celles d’une joie intime et profonde. Les dorures du Vieux Continent qui viendront draper l’antre nordiste à l’automne prochain seront appréciées à leur juste valeur.
Un PSG-Lens particulièrement sous tensionPar Florent Caffery, à Lens