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Samba en haut

Par Maxime Brigand et Raphaël Brosse
Samba en haut

À 28 ans, Brice Samba exploite enfin son immense potentiel. Portrait du dernier rempart lensois, qui vient d'être convoqué pour la première fois en équipe de France.

Des papillons. Voilà ce qui s’est mis à voler dans le ventre et à danser dans la tête de Brice Samba, le mercredi 24 juillet 2013. Ce soir-là, le jeune gardien de 19 ans défendait pourtant les couleurs de l’OM – le club que supporte sa famille depuis toujours – et il ne s’agissait aussi que d’un simple match amical de présaison. Cette rencontre ne se disputait toutefois pas n’importe où : à Lens, au stade Bollaert. Devant un peu moins de 30 000 dingues, l’Olympique de Marseille s’impose (0-1) grâce à un pion planté par Modou Sougou, mais Samba en prend plein les yeux. À tel point qu’il en parle à sa future femme, à son père, à ses potes.

Je ne voulais pas que Brice soit gardien à son tour.

Brice Samba Senior

Samba avait ensuite repris sa route, rangeant cette photo souvenir dans un coin de sa tête et repassant à deux reprises dans le coin – en mars 2015 et en novembre 2015 –, emmitouflé dans un costume de numéro 2. Puis, il y a quelques mois, après être devenu héros à Nottingham, loin des projecteurs du grand public, Brice Samba a mis son destin entre les ailes de ses papillons internes. Le RC Lens, via des appels réguliers de Franck Haise, le coach nordiste, et Florent Ghisolfi, à l’époque coordinateur sportif des Sang et Or, lui faisait du pied depuis plusieurs mois et lui offrait une opportunité à prendre ou à laisser : revenir en Ligue 1 en tant que numéro 1 dans les buts d’une équipe jeune, joueuse et jolie, et ce, alors que Samba s’apprêtait à grimper dans l’ascenseur vers la Premier League avec Forest. Il a un temps hésité et s’est finalement laissé convaincre « à l’affect » selon le père du joueur, Christian Brice Samba, accompagnateur attentif de la carrière du fiston. Huit mois plus tard, les papillons ne se sont pas envolés, mais une autre histoire se raconte. Brice Samba serait aujourd’hui arrivé là où on le voyait arriver depuis ses premiers plongeons. Où ? Pas n’importe où : tout en haut du panier. Et en Bleu, aussi, puisque Didier Deschamps l’a convoqué pour le rassemblement international du mois de mars.

« Brice était juste beaucoup trop fort »

Au fond, pouvait-il en être autrement ? Tous ceux qui ont croisé un jour le portier lensois l’affirment : ce type semble avoir été conçu dans un laboratoire pour ce poste, cette vie de plongeons dans les pieds, de galipettes, d’horizontales, de claquettes, de relances risquées. Cette vie avec un maillot à part et une mentalité, elle aussi, à part. Cela s’explique peut-être d’abord car avant Brice Samba fils, il y a eu Brice Samba père. Un homme qui a, lui aussi, été gardien, et pas un petit, devenant entre autres capitaine et champion du Congo avec les Diables noirs, champion de Côte d’Ivoire avec l’Africa Sports, international congolais, mais qui a surtout fait tout ça avec style. «J’étais un peu plus spectaculaire que mon fils, sourit le paternel. Sur le terrain, il a beaucoup plus de calme que j’en avais. Il faut savoir qu’enfant, j’ai été acrobate, je faisais presque quotidiennement des saltos. Ça m’a donné une grande souplesse, une grande agilité, de la vivacité, une aisance pour plonger, et, à un moment donné, j’ai dû choisir entre être acrobate ou gardien de but. Je suis fier du parcours que j’ai eu, mais je ne voulais pas que Brice soit gardien à son tour.» Brice Samba senior, qui a fini sa carrière à Pacy-sur-Eure, a tout fait : il a caché ses équipements et a même d’abord choisi de ne plus aller voir jouer son fils pour ne pas «l’encourager à persévérer à ce poste». « Enfant, Brice jouait déjà très bien au pied, et je me disais que j’allais avoir un attaquant, que j’allais pouvoir célébrer ses buts, poursuit le père. Gardien est un poste fait pour les personnes à moitié folles. On parle quand même d’un rôle où une personne doit mettre sa tête et ses mains en avant face à quelqu’un qui frappe de toutes ses forces du pied. Il faut quand même être un peu dingue. Brice était un garçon très calme, je me disais au début que ce n’était pas fait pour lui, mais il avait une folie intérieure.»

Brice Samba, maillot jeune
Brice Samba, maillot jeune

Devenu gardien à Pacy-sur-Eure après avoir été testé un jour au poste à l’entraînement à la suite de l’absence de l’habituel titulaire, Brice Samba Junior, né au Congo-Brazzaville, qui a un temps vécu en Côte d’Ivoire et est arrivé en France début 2001, s’est alors rapidement pris de passion pour son rôle, au point de fréquemment plonger sur le canapé familial avec les gants du père au bout des membres supérieurs. «Je pense que Brice est né pour être gardien», tranche le gardien de l’ESM Gonfreville, Yoann Blin, qui a très souvent croisé Samba lorsqu’il gardait les cages d’un autre club normand, l’ALM Évreux. Blin : « Je jouais à Bernay, donc on a parfois joué l’un contre l’autre, et c’est quelqu’un qui m’a toujours impressionné pour deux raisons : il était – déjà – bien plus grand que les autres et il savait – surtout – faire des choses que personne ne pouvait faire. Je me souviens l’avoir vu disputer une finale aux Andelys, marquer un but en dégageant un ballon… Dans notre catégorie d’âge, on ne pouvait rien faire contre ça : Brice était juste beaucoup trop fort. » Si fort que, logiquement, un mercredi, son entraîneur viendra le voir et l’invitera à se rendre au Havre pour s’entraîner.

Brice a 10 ans, est lancé sur un grand terrain, dans un grand but, au milieu de joueurs âgés de 13 ou 14 ans, et passe la séance à ramasser le ballon au fond de ses filets. Peu importe, les responsables du HAC ont pris leur décision : il leur faut ce petit. «Ce qui nous avait impressionnés, avec Franck Sale, le responsable du recrutement pour le centre, c’était ses attitudes de gardien naturelles, justifie Michel Courel, l’historique formateur de portiers du club de Seine-Maritime. Il avait déjà une bonne posture, savait plonger correctement, arrivait à adopter naturellement une position qui correspondait aux situations de jeu. Au pied, il avait également déjà de bonnes aptitudes. Il dégageait déjà quelque chose. Et, le plus important : c’était déjà un chat. Il avait tout le bagage pour réussir et on n’a pas cherché à le formater, mais à le bonifier. Il ne fallait donc rien lâcher sur les détails.» Après avoir dans un premier temps refusé, le père de Brice Samba accepte finalement, poussé par sa femme, Nicole, de laisser son fils rejoindre le centre de formation havrais. Une histoire s’enclenche, le père revient aux matchs, et en avril 2010, Samba, vite classé « haut potentiel », devient le plus jeune joueur de l’histoire du club à signer un contrat professionnel.

L’étage supérieur et le silence

«Le propre du travail dans le recrutement, ce n’est pas de sentir les qualités d’aujourd’hui, mais de sentir celles de demain, pose Franck Sale. On sentait que Brice avait une marge très importante. On l’avait d’ailleurs mis une année en famille d’accueil au Havre avec Victor Lekhal pour qu’il puisse suivre des entraînements quotidiens.» Au HAC, Brice Samba est comparé à un autre félin maison, Steve Mandanda, écœure certains coéquipiers, comme Blin, qui se souvient d’un concurrent avec «des qualités naturelles folles, capable de faire certains exercices avec une facilité folle, là où d’autres galéraient» et impressionne régulièrement en sortant, entre autres, sa marque de fabrique : le ballon aérien attrapé à une main. «Toi, tu es sur le côté et tu te dis : mais comment il peut faire ça ? rigole Yoann Blin. Nous, on peinait à sortir à deux mains, à mettre de l’impact sur l’attaquant, et lui, il faisait des gestes parfaits, main droite, main gauche, pied droit, pied gauche. C’était un gardien qui évoluait déjà à un étage supérieur. » Rapidement appelé à s’entraîner avec le groupe pro, Samba, proche de Benjamin Mendy, de Paul Pogba ou encore d’El-Hadji Ba, revient alors le week-end jouer avec sa catégorie d’âge et va logiquement commencer à avoir faim, tout en se heurtant parfois aux problématiques fréquentes du joueur doué.

Tu es sur le côté et tu te dis : mais comment il peut faire ça ? Nous, on peinait à sortir à deux mains, à mettre de l’impact sur l’attaquant et lui, il faisait des gestes parfaits, main droite, main gauche, pied droit, pied gauche…

Yoann Blin

Puisque tout a toujours été facile, pourquoi aller plus vite et pousser plus fort ? «En étant habitué à être au-dessus, Brice a, en effet, pu être un peu parfois dilettante dans le travail, pointe Johann Louvel, qui a été son entraîneur lorsqu’il évoluait en réserve au HAC. Il pouvait sortir des arrêts vraiment exceptionnels, attraper des ballons que d’autres ne pouvaient pas attraper, mais aussi faire de belles toiles évitables. Il était très doué, mais avait besoin de gagner en maturité, et ça a été notre travail : il fallait le canaliser, le bousculer, l’amener dans une exigence de travail, ce qui est venu progressivement, même si on aurait aimé en profiter davantage. » Oui, car début 2013, après deux petites apparitions en Coupe de France avec l’équipe première havraise, Brice Samba, frustré de devoir attendre dans l’ombre d’une autre promesse maison, son pote Zacharie Boucher, décide en effet de repousser les offres de prolongation, de faire ses valises et de rejoindre l’OM pour être la doublure de Steve Mandanda, puis, à terme, son successeur.

Génération projet Dortmund.
Génération projet Dortmund.

«Il voulait que ça aille vite, peut-être un peu trop, mais c’est un choix, souffle Louvel. Il y a naturellement eu des regrets sur le moment, et ce qui est dommage, c’est que Zach est parti début 2014 à Toulouse, et que Brice était son remplaçant naturel. On se dit qu’en restant au Havre, il aurait peut-être pu enclencher plus rapidement, mais ça fait partie de son parcours. » Marseille est un autre monde, une autre bulle, une autre vie. L’OM, dont le directeur sportif est alors José Anigo, cherche à renouveler son groupe pro avec des jeunes pousses. Il y aura donc Samba en janvier 2013 et, à l’été, d’autres noms : Florian Thauvin, Giannelli Imbula, Mario Lemina, Benjamin Mendy… Grand fan de son nouveau gardien, Anigo se souvient d’un portier «assez énorme. Son jeu au pied, son élasticité, sa capacité à capter les ballons… Tout était fastoche pour lui. Je me suis dit qu’il allait tout exploser, mais finalement, il a eu du mal. » La raison a un prénom, un nom et un statut : Steve, Mandanda, indéboulonnable. José Anigo reprend : « Au début, Brice a dû se dire qu’il y aurait une possibilité, que Steve serait peut-être vendu, donc il s’est accroché, mais il a fini par comprendre que ce serait compliqué d’avoir du temps de jeu parce qu’il avait affaire à un monument. Il a fini par être écrasé par le poids du numéro 1, et je pense qu’il en a souffert. »

À défaut de pouvoir détrôner l’indétrônable, le natif de Linzolo ouvre les yeux, apprend et coche au compte-gouttes les premières cases du jeune pro, découvrant d’abord la Ligue 1 au printemps 2014, face à Guingamp, à la suite d’une blessure aux cervicales de Steve Mandanda. «Je me rappelle être sur le banc avec Benjamin Mendy, on était en train de parler de nos vacances, on se disait qu’on allait faire ci, faire ça, rembobinait Samba dans les colonnes de France Football il y a quelques années. Limite, on ne regardait même pas le match, et à un moment, il me touche la cuisse et me dit : “Brice, Brice, Brice, tu vas entrer, Steve est K.O.” » Il verra aussi la Ligue des champions du banc et vivra en tant que titulaire une élimination tendue en Coupe de France, à Grenoble, alors en CFA, sous le regard noir de Marcelo Bielsa. On reconnaît ses qualités, mais Brice Samba doit partir pour les exprimer pleinement. Problème, l’homme élastique patine et ne fait l’unanimité nulle part, que ce soit à l’OM, à Nancy où, prêté lors de la saison 2015-2016, il ne sera envoyé qu’à six petites reprises toutes compétitions confondues sur le pré, et même dans un premier temps à Caen, où il a été transféré en juillet 2017 et a connu une première saison silencieuse. Mais que s’est-il passé ?

Décalage, coups reçus et portes ouvertes

Après les mots de José Anigo, second témoin de cette période : Pablo Correa, qui a été son entraîneur à l’AS Nancy Lorraine. « En arrivant chez nous, il a dû se dire qu’il jouerait à coup sûr étant donné qu’on était en Ligue 2, sauf qu’il y avait un assez gros décalage entre les exigences du monde professionnel et son investissement au quotidien, pose-t-il. Ses copains et copines faisaient souvent la route depuis Marseille pour venir le voir, et on se doutait qu’ils ne montaient pas à Nancy pour aller à l’église le dimanche. Son manque de professionnalisme et les distractions ont alors pu mener à des erreurs commises à cause de sautes de concentration. » Un constat partagé par Patrice Garande, son premier coach à Caen, lui aussi marqué par l’incroyable confiance du gardien haut de 187 centimètres : « Brice a été numéro 2, mais j’aurais souhaité qu’il pousse un petit peu plus le numéro 1 – Rémy Vercoutre – dans ses derniers retranchements. Il était tellement sûr de lui que le fait de ne pas jouer a engendré une frustration telle qu’on avait l’impression qu’il manquait de motivation. C’est important d’avoir un gardien qui donne de la confiance à tout le monde. Ça rassure les défenseurs, ça libère les attaquants, mais lui était parfois dans l’excès, notamment avec son jeu au pied. Il pouvait parfois viser un partenaire entouré de trois adversaires en étant persuadé qu’il lui mettrait le ballon sur la poitrine, sauf que l’adversaire récupérait le ballon, et on prenait un contre. À l’époque, c’était ça, Brice. » Questionné sur cette période, Brice Samba père tranche : « Oui, je pense qu’il s’est un peu trop regardé à un moment donné. Il avait tellement de qualités lorsqu’il était jeune qu’il a un peu dormi dessus, mais finalement, les coups reçus lui ont servi. »

Quand on est arrivé à Caen, les échos internes n’étaient vraiment pas bons. On a donc fait notre boulot et on a été piocher d’autres échos. Puis on a vu.

Fabien Mercadal

Par coups reçus, il faut, par exemple, se souvenir de la condamnation du joueur, en février 2016, à une peine de prison avec sursis et à une suspension de permis pour avoir provoqué quelques mois plus tôt un accident en état d’ébriété. « Je l’ai défendu dans la limite de ce qui était défendable, glisse Correa. Si Brice avait joué au tennis, il se serait pénalisé tout seul, mais là, ça avait aussi un impact sur le collectif. » Hormis ce fait divers qui n’échappe évidemment pas à la presse locale, le gamin ayant grandi à Évreux, qui n’a jamais été accusé de mettre le bazar dans un vestiaire, se rend coupable d’« erreurs de jeunesse ». Sans gravité, néanmoins. « Il n’a pas fait des trucs qui défrayaient la chronique, dédramatise Garande. Il faut bien que jeunesse se passe ! » « Il n’a jamais fait de grosse connerie chez nous, assure de son côté José Anigo. Arrêtons de nous focaliser sur ça, tous les jeunes joueurs passent par là. Au début, ils gagnent un peu plus d’argent qu’ailleurs, ont une drôle de vie, sont plus facilement reconnus que les autres… Forcément, ça met un peu de temps à arriver au cerveau. » En revanche, les histoires peuvent vite circuler n’importe où et n’importe comment. En juillet 2018, après un début d’année où Brice Samba a été l’un des héros majeurs du très bon parcours en Coupe de France du Stade Malherbe, deux hommes – Fabien Mercadal, nommé à la place de Patrice Garande, et Hervé Sekli, recruté lors de l’été pour s’occuper des gardiens de l’équipe première caennaise – voient, en effet, le dossier être posé dans leurs yeux. Mercadal se souvient alors « d’un joueur autour de qui tout le monde était unanime sur le potentiel, mais qui était aussi entouré de quelques regrets. Les échos internes n’étaient vraiment pas bons. On a donc fait notre boulot et on est allé piocher d’autres échos. Puis on a vu. »

Vercoutre vient alors de ranger ses gants, Erwin Zelazny arrive en provenance de Troyes : très bien, Brice Samba tient son heure et est installé, à 24 ans, dans un but en tant que numéro 1. « Le tableau présenté était pourtant catastrophique, narre Hervé Sekli. Quand je suis arrivé à Caen, on m’a dit : “Attention, il ne peut pas sauter, ne peut pas plonger, ne peut pas courir…” Finalement, j’ai juste trouvé un jeune gardien, qui n’avait pas beaucoup d’expérience au haut niveau, qu’il fallait rassurer, aiguiller, à qui il fallait parler. C’était un diamant brut qu’on devait polir. » Le duo Mercadal-Sekli fixe alors Samba dans le but caennais dès la préparation et va le blinder de confiance, refusant ainsi de s’arrêter à deux boulettes lâchées sur la pelouse du Parc des Princes lors de la première journée de championnat. Bien leur en a pris : Brice Samba répond dès la réception de Nice, sort une saison individuelle brillante à bord d’un bateau ivre qui coule vers la Ligue 2 (aucun gardien de Ligue 1 n’a réussi à éviter plus de buts que Samba cette saison-là si l’on se réfère aux post-shot expected goals), ce que va notamment symboliser un match remporté à Monaco (0-1) par le Stade Malherbe, et voit enfin des portes s’ouvrir, dont celles de Nottingham Forest, loin de la France et loin des yeux de la majorité des observateurs. Et alors ? Samba, dragué par le directeur sportif de Forest de l’époque, un certain José Anigo, et par un homme qui devait initialement participer au projet avant de devoir le quitter pour raisons personnelles, Hervé Sekli, est sûr de son coup : l’Angleterre, où Sabri Lamouchi l’attend pour aider un monument à retrouver la Premier League, peut lui permettre de remplir de nouvelles cases précieuses. En avant.

Piquét pique et colégram.
Piquét pique et colégram.

« Je sais que ça va venir… »

Et tout en haut : durant trois ans, Samba se débat dans un championnat « robuste, difficile, qui demande d’être très costaud mentalement pour espérer s’en sortir » (Brice Samba père), devient un chouchou du City Ground, traverse un match dingue contre Reading avec un œuf au-dessus de l’œil gauche début 2022, et bascule au rayon des héros en sortant trois tirs au but contre Sheffield United lors de la demi-finale des play-off au printemps. « En Angleterre, je ne l’ai pas reconnu, avoue José Anigo. J’ai eu en face de moi un mec hyperpro, très sérieux, qui n’avait plus rien à voir avec celui connu à l’OM. Et puis, Nottingham, ça a aidé, parce que ce n’est pas Londres : il y a le foot, et rien d’autre. » Après s’être marié en 2019, Brice Samba est devenu deux fois papa en Angleterre. À 28 ans, il n’a plus qu’à traverser le pont séparant le Championship de la Premier League et à repenser à ces mots tenus il y a quelques années à Paris-Normandie : « Je sais que le jour où je jouerai, ça débloquera beaucoup de choses. Je suis très croyant : chacun a sa destinée. Certains s’imposent tout de suite, d’autres mettent plus de temps. Regardez Drogba, il a explosé à 26 ans. Je sais que ça va venir et à partir de là… »

Aujourd’hui, c’est un mix entre une grande concentration et un grand relâchement, ce qui est une force inestimable pour le très très haut niveau.

Florent Ghisolfi

« À Nottingham, on l’a beaucoup regardé. Puis, on a énormément échangé avec ceux qui le connaissent, avec lui. On cherchait un gardien avec un profil très spécifique, avec un très bon jeu au pied, et on savait que Brice était l’un des cinq meilleurs gardiens du monde avec ses pieds, si ce n’est l’un des trois meilleurs. On a tout étudié, on était sûrs de nous, et il ne restait plus qu’à le convaincre : il venait de monter en Premier League, on ne pouvait pas lui offrir un salaire aussi haut que Nottingham… Mais on a su le convaincre. Je ne connais pas beaucoup de joueurs capables d’un tel choix. Lui, il en est capable. » Il est comme ça, Brice Samba : quand il aime, il ne compte pas, et quand il est aimé, il donne beaucoup. Florent Ghisolfi, aujourd’hui directeur sportif de l’OGC Nice, l’a vite compris et savait que Samba pouvait « coller » au projet humain du RC Lens, 7e de Ligue 1 en 2020-2021, 7e de Ligue 1 en 2021-2022, mais surtout au projet de jeu ambitieux de Franck Haise. « Au-delà de ses pieds, c’est quelqu’un qui est porté par une grande maîtrise, complète Ghisolfi. Aujourd’hui, c’est un mix entre une grande concentration et un grand relâchement, ce qui est une force inestimable pour le très très haut niveau. » Lorsqu’il est invité à se décrire, Brice Samba le fait avant tout en se désignant comme « un joueur, (…) qui n’a pas peur d’oser. Pour prendre du plaisir, il faut tenter, se libérer, ne pas jouer avec la boule au ventre. Dieu merci, la pression ne m’inhibe pas. Pour moi, c’est 100% plaisir. C’est comme ça que je vois mon sport. » Partant, Samba, qui a de nouveau été associé à Hervé Sekli contre 5 petits millions d’euros, joue depuis qu’il est dans le Nord avec un brin de paille entre les dents – on l’a, par exemple, vu caler un sombrero à Mostafa Mohamed lors d’un match à Nantes et attraper à une main un centre à Monaco ou une tentative lointaine d’Adil Rami contre Troyes – et a déployé ses ailes pour devenir, à son poste, le meilleur élément de Ligue 1 en étant, entre autres, l’un des plus décisifs, le plus impliqué balle au pied et l’un de ceux qui jouent le plus haut avec Benjamin Leroy et Pau Lopez.

La fameuse prise à une main sur la tentative lointaine d’Adil Rami.

Une autre, la marque déposée de Samba, sur un centre venu de la gauche, à Monaco.

Autre séquence, issue du match contre Lyon, qui permet de mettre en lumière toute la qualité du pied de Brice Samba pour lancer David Pereira da Costa en profondeur.

Sekli savoure pour son protégé, qui vient régulièrement se caler entre ses centraux pour participer activement aux sorties de balle lensoises et est encouragé par Haise à chercher les trous dans les organisations adverses en jouant comme un onzième joueur de champ : « Je pense que son aventure en Angleterre lui a vraiment fait énormément de bien. Elle l’a rendu plus mature dans sa façon d’aborder les matchs, la compétition. Il a aussi pu travailler avec des entraîneurs de gardiens anglais, qui lui ont appris de nouvelles choses, de nouvelles techniques, notamment dans la position de son corps en un contre un. »

Première situation, face à l’Inter, en préparation l’été dernier, pour montrer la fameuse position du corps en un contre un travaillée par Brice Samba en Angleterre : lancé en profondeur, Lautaro Martinez se présente face au portier lensois, qui a déjà anticipé…

… qui va ensuite préparer sa croix, serrer les jambes, poser les bras au niveau des cuisses…

… ainsi, il ferme plusieurs possibilités à l’attaquant argentin et s’impose dans le duel.

Situation similaire à Strasbourg, où Gameiro récupère le ballon au bord de la zone des six mètres. Samba jaillit…

… prend la même position que face à l’Inter…

… et bouche tous les angles à Gameiro avant de repousser son tir.

« Brice est un gardien qui ose, reprend Hervé Sekli. Maintenant, comme je lui dis : “Ton coup de sombrero, si tu le réussis, je t’applaudis, mais si tu te plantes, tu prends un coup de chevrotine !” Il faut juste noter qu’il n’y a ni prétention ni chambrage dans ces gestes comme on peut parfois l’entendre en France. Il cherche l’efficacité. » Aujourd’hui, l’entraîneur des portiers du RC Lens estime Brice Samba à « 80 % » de son potentiel. Le père du joueur, lui, dit « 75 % ». Tous les autres qui ont partagé quelques moments de la montée des marches du bonhomme sont, en revanche, unanimes : le voir débarquer dans le groupe France n’est que la suite logique des choses. « Il a longtemps été sous-coté parce qu’il n’a pas toujours eu bonne presse, estime Fabien Mercadal. On lui a collé une image parce qu’il a fait une ou deux conneries quand il était jeune, mais quand on gratte, on découvre un mec loyal, compétent… Lui a eu le mérite de ne rien lâcher. Maintenant, c’est un international en puissance. » Mêmes louanges du côté de Zacharie Boucher, son pote et ancien concurrent, aujourd’hui à Bastia : « Ce qu’il fait ne me surprend pas. C’est le meilleur gardien de Ligue 1. Chaque pro a sa route, son chemin, sa carrière, son moment. Lui a eu besoin d’un peu plus de temps, mais ça va désormais être difficile de l’arrêter… »

Avant la Coupe du monde, Yoann Blin avait envoyé un texto à son ancien coéquipier. Les mots étaient simples : « Écoute, Brice, moi je pense que tu mérites d’y être et j’espère que tu y seras. » Il aura donc fallu attendre quelques mois de plus pour voir Samba être appelé par Didier Deschamps, les retraites combinées des deux dinosaures Hugo Lloris et Steve Mandanda ayant laissé un vide à combler au poste. S’il a l’occasion de jouer, nul doute que le numéro 30 lensois prendra le temps de débriefer avec son père. À Bollaert, celui-ci s’installe au milieu de la foule et lui signale constamment sa présence avec un sifflet. « Même s’il ne me voit pas, Brice sait que c’est le mien parce qu’il a un son à part. C’est juste un signe pour lui dire qu’on est là, pas loin », indique le papa. Pour tout dire, il est très facile d’identifier quelqu’un dans une tribune qui siffle Brice Samba en 2023. En général, cette personne est seule et toutes les autres applaudissent le meilleur gardien de Ligue 1.

Dans cet article :
Raphaël Varane, obsolescence programmée
Dans cet article :

Par Maxime Brigand et Raphaël Brosse

Tous propos recueillis par MB et RB.

Article publié initialement le 24 janvier 2023.

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