- Allemagne – 3. Liga – Montée du RB Leipzig
RB Leipzig, futur gros méchant ?
Devant plus de 42 000 spectateurs, le RB Leipzig a validé samedi dernier à domicile sa montée en deuxième division allemande en dominant 5-1 Sarrebruck. Une deuxième promotion de suite pour le club, propriété de Red Bull, qui vise la Bundesliga à court terme. Cette réussite divise : d’un côté, elle suscite l’espoir de retrouver du football de haut niveau en ex-Allemagne de l’Est, de l’autre le modèle économique et marketing vampirisant du géant de la boisson énergétique a de quoi déplaire.
C’était samedi dernier au Red Bull Stadium de Leipzig. L’enceinte de 44 000 places était quasi pleine pour ce match entre le RB Leipzig et le FC Sarrebruck comptant pour la 37e et avant-dernière journée de la 3. Liga, le troisième échelon national du football allemand. Meilleure affluence de la saison, de loin, et meilleure affluence de l’histoire du club hôte, qui s’est facilement imposé 5-1 contre son adversaire d’un jour, lanterne rouge du championnat. Grâce à cette belle victoire, le RB Leipzig a définitivement conforté sa deuxième place au classement, derrière Heidenheim et devant Darmstadt 98, ce qui lui permet d’officialiser sa montée en 2. Bundesliga. Pas mal pour un club promu, qui évoluait en Regionaliga – la 4e div’ – la saison dernière ! Et attention, il ne compte pas s’arrêter là, avec un prochain objectif avoué à court terme : la montée en élite d’ici deux ou trois ans, puis carrément une participation à la Ligue des champions, voire le titre de champion d’Allemagne à plus long terme, comme l’a déjà ouvertement déclaré le proprio Dietrich Mateschitz en interview. D’une certaine manière, l’histoire est belle, et les joueurs de Leipzig abattent un travail assez formidable depuis deux ou trois saisons, avec un effectif qui a assez peu changé. Les performances sportives de l’équipe, avec l’entraîneur Alexander Zorniger, sont donc à saluer. Pour ce qui est de la gestion extra-sportive du club en revanche, c’est peu dire que cette formation suscite malaise et polémique en Allemagne…
Pour bien comprendre l’histoire, revenons quelques années en arrière. Tout le monde connaît Red Bull, cette boisson énergisante autrichienne hyper bien marketée qui cartonne dans le monde et suscite la fortune de son fondateur Dietrich Mateschitz. Un gars malin, le Dietrich : il a eu vite l’idée d’associer l’image de sa marque à des exploits sportifs. Manière d’imprimer dans le cerveau des consommateurs que Red Bull permet d’avoir des ailes et de réussir l’impossible. Partenaire de longue date des sports extrêmes, la petite canette s’est aussi implantée avec succès dans les sports mécaniques, avec en point d’orgue la réussite de son écurie de F1, portée par les victoires en série du champion allemand Sebastian Vettel. Mais le sport numéro un dans le monde reste le football et il n’est pas possible pour Red Bull de ne pas tenter d’y débarquer avec ses gros sabots : non par le simple sponsoring façon Coca ou Pepsi, mais en prenant le contrôle à 100 % de clubs pour essayer de les faire gagner. Un genre de technique « à la Football Manager » . Testée d’abord en Autriche, la mère-patrie, via le Red Bull Salzbourg, la méthode a aussi été déclinée dans la MLS nord-américaine, via les New York Red Bulls de Thierry Henry. Deux expériences aux résultats mitigés. Salzbourg domine certes son championnat national, mais ne parvient pas à faire mieux que quelques percées – dont cette saison en C3 – sur la scène continentale, malgré l’ambition de Mateschitz. Quant à la franchise new-yorkaise, elle attend toujours son premier titre… Et puis surtout, ce sont deux implantations dans des pays mineurs du football. Il fallait donc tenter de s’incruster dans une nation de référence, chez le voisin allemand par exemple. Leipzig, berceau historique du foot allemand
Un bon terreau, l’Allemagne, surtout à l’Est, dans cette ex-RDA sinistrée, où les supporters de foot ne manquent pas, mais où les clubs historiques ne sont toujours pas parvenus à rattraper le retard avec leurs homologues de l’Ouest depuis la chute du Mur. Deux d’entre eux sont d’abord sondés à Leipzig : le FC Sachsen et le Lokomotive, mais les fans des deux camps s’opposent fortement à ces tentatives de prise de contrôle, qui menacent l’identité et l’histoire des clubs. Inquiétude légitime : il suffit de voir comment Red Bull a effacé d’un coup d’un seul tout ce qui rattachait Salzbourg à son ancienne entité, l’Austria… Mateschitz et ses potes finissent quand même par récupérer un club anonyme de la banlieue de Leipzig, le SSV Markranstädt, renommé RB Leipzig. RB officiellement pour RasenBallsport, littéralement « sport de ballon sur gazon » . Ce qui ne veut rien dire, mais peu importe, l’essentiel est d’avoir réussi à contourner les règles en vigueur en Allemagne (pas de prise de contrôle d’un club par une firme étrangère – le cas est donc différent de celui du Bayer Leverkusen par exemple) tout en gardant les initiales « RB » . Avec ce nouveau nom, mais aussi un nouveau logo et des nouvelles couleurs identiques à l’habillage des canettes, le RB Leipzig débute en 5e division lors de la saison 2009-2010, monte immédiatement, puis reste trois saisons en 4e div’ avant la montée en 3e div’ il y a un an tout juste et donc cette nouvelle promotion acquise depuis le week-end dernier. Voilà donc à qui on a affaire : une formation créée artificiellement qui dérange. Une marque faite club, une entité détonnante qui a les cartes en mains pour réussir. Car si Red Bull tenait autant à s’implanter à Leipzig, c’est non seulement parce qu’il s’agit d’un des berceaux historiques du football en Allemagne, mais aussi et surtout parce que la ville possède une superbe enceinte sportive rénovée pour la Coupe du monde 2006 et qui attendait qu’un club de haut niveau puisse l’occuper : le Leipziger Zentralstadion, 44 000 places, dont la société autrichienne a acquis les droits pour 30 ans, la renommant dans la foulée… Red Bull Stadium. Dans le genre technique marketing vampirisante, Red Bull se pose là.
Enveloppe de 100 millions d’euros
Mais rien qu’à Leipzig, la population est divisée depuis l’arrivée de ce nouvel investisseur m’as-tu-vu. D’un côté, c’est l’espoir de voir enfin du football de haut niveau en ville, de pouvoir rivaliser à moyen terme avec les « gros » de l’Ouest. Résultat, les affluences sont à la hausse cette saison : un peu plus de 16 000 spectateurs de moyenne et une croissance spectaculaire lors des derniers matchs, avec donc ce pic à plus de 42 000 spectateurs samedi dernier. Mais forcément, avec un club vieux de seulement quatre ans, c’est un public très consommateur qui garnit les tribunes, peu connaisseur des subtilités du football, de son histoire, de sa culture. De ce qui fait son charme en somme, peuvent dire certains. À côté, le Lokomotive et le FC Sachsen survivent tant bien que mal, le premier est relégable en 4e div, le second est en 5e div’. Lors de la saison inaugurale du RB Leipzig, les trois clubs évoluaient dans la même division. Avant un derby, les supporters du Loko avaient mis du désherbant sur la pelouse pour empêcher la tenue du match, c’est dire si l’inimitié et les rancœurs sont grandes. Et ailleurs dans le pays, c’est un peu pareil : d’une manière globale, le RB Leipzig est détesté. Il a même certainement réussi l’exploit de prendre la place de club le plus haï du pays à Hoffenheim, une autre formation qui a artificiellement grandi il y a quelques années grâce à son richissime président. Rien que la saison prochaine, les confrontations face à des clubs à l’identité très affirmée « anti-dérives ultralibérales du football » telles que Sankt-Pauli ou l’Union Berlin promettent… Reste tout de même une interrogation : si le RB Leipzig a obtenu sportivement sa montée en 2. Bundesliga, celle-ci va-t-elle être validée par les instances du foot allemand ? À voir, car pour évoluer dans les deux premières divisions, il faut respecter une règle dite du « 50+1 » qui stipule qu’un club ne peut être détenu à plus de 50 % par un actionnaire. Or actuellement, tous les actionnaires du club sont liés à Red Bull… Mais avec un montage habile et en rognant un peu sur les liens trop visibles entre le club et la marque, l’autorisation d’évoluer en D2 devrait être validée. Reste ensuite à voir ce qui sera fait sur le marché des transferts. En 2009, Red Bull avait promis un investissement à hauteur de 100 millions d’euros. Hormis pour acquérir le stade, cette conséquente enveloppe a encore à peine été décachetée…
Par Régis Delanoë et Côme Tessier