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Reynald Pedros : « Des joueuses ont sombré dans l’émotion contre l’Allemagne, c’est humain »

Propos recueillis par Léna Bernard et Anna Carreau
11 minutes

Nommé à la tête de la sélection féminine marocaine en novembre 2020, Reynald Pedros a connu les plus belles heures des Lionnes de l'Atlas : une CAN jouée à domicile avec une finale à la clé, une première qualification en Coupe du monde... Une montée en puissance du football féminin marocain que le Français, champion d'Europe avec l'OL, raconte.

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Le Maroc dispute une Coupe du monde féminine pour la première fois de son histoire, vous êtes arrivés en Australie avec quelles ambitions ?

L’objectif, c’est déjà de ne pas avoir de regrets après cette Coupe du monde. C’est d’essayer de faire le maximum pour atteindre ces huitièmes de finale. On va jouer notre deuxième match demain. Tout est encore jouable pour pouvoir se qualifier. Maintenant, on sait qu’il va nous falloir faire beaucoup d’efforts et avoir beaucoup de punch au niveau de l’état d’esprit. Parce que c’est une Coupe du monde. Il y a les émotions. Il y a plein de choses qui rentrent en ligne de compte. Mais on est ambitieux et on va essayer de tout faire pour qu’on puisse se qualifier et se donner encore du bonheur dans cette Coupe du monde le plus longtemps possible pour aller en huitièmes.

Vous parliez d’émotions. Comment les joueuses vivent cette compétition, cette gestion des échéances ? Et cette lourde défaite contre l’Allemagne 6-0 pour le premier match… 

Je pense qu’on la vivait très bien dans la préparation. Même si on a joué un adversaire qui est largement meilleur que nous. Il y a des joueuses qui ont sombré dans l’émotion et qui sont passées à côté de leur match. Mais ce sont des choses qui arrivent. C’est humain. Maintenant que ce premier gros match est passé, il faut qu’on se remette la tête à l’endroit. Le lendemain et le surlendemain ont été un peu difficiles pour les joueuses. Mais deux jours après le match, on les a senties se tourner vers le match de la Corée et se reconcentrer sur le travail. On a eu la gueule de bois pendant deux jours et après ça on a recommencé à travailler.

Il y a encore une chance à jouer face à la Corée du Sud…

Il faut qu’on ramène des points. Si on espère et on pense que l’Allemagne gagnera ses trois matchs, si demain on fait match nul, on est encore en vie pour le troisième match. Si demain on gagne, on l’est encore plus et si on perd, on rentre à la maison. L’ambition, c’est de ramener des points demain, au minimum un match nul, pour pouvoir jouer quelque chose sur ce troisième match.

On a eu la gueule de bois pendant deux jours et après ça, on a recommencé à travailler.

Après des années de disette chez les féminines, le Maroc a décidé de prendre sa sélection au sérieux et a démarré un nouveau cycle à partir de 2020. Quel est le projet de la Fédération marocaine pour ses Lionnes de l’Atlas ?

C’est un projet engagé depuis deux saisons et demie, trois saisons, qui consiste d’abord à créer des sports et études à travers le Maroc pour attirer toutes les jeunes joueuses qui ont un potentiel et puis les former. C’est en pleine expansion, on construit petit à petit. Le deuxième volet vise le championnat. L’objectif, c’est que la première division féminine soit de plus en plus compétitive. La ligue est professionnelle depuis deux ans, mais il reste encore des inégalités dans le championnat, il y a toujours une équipe très forte et puis les autres équipes qui suivent sont très moyennes, voire faibles. L’objectif, c’est de faire en sorte que le championnat devienne compétitif pour que toutes les joueuses de championnat puissent travailler, progresser et qu’on puisse, nous, avoir au niveau de la sélection un choix peut-être encore plus large par rapport aux joueuses qui jouent au Maroc. Et après, il y a la partie équipe nationale où les objectifs sont d’être régulièrement dans les grandes compétitions, que ce soit la CAN ou la Coupe du monde pour les A, les U17 et les U20. Ou les JO. C’est un projet qui d’un côté est à moyen terme pour la sélection, parce que ça fait maintenant deux ans que nos U17 se sont qualifiées pour la première fois à la Coupe du monde. Nous, on s’est qualifiés, on était à la CAN et là on est en train de faire le Mondial. Par contre au niveau des clubs et de la formation, ce sera un projet qui sera plutôt sur le long terme.

 

Ce projet a-t-il été mis en place parce que le Maroc organisait la CAN 2022 à domicile ? 

Non, parce que ça a été décidé après le fait de faire la CAN à domicile. Je pense que c’était une volonté du roi qui a voulu développer le sport féminin au Maroc, et notamment le football. Et donc le président de la fédération s’est engagé dans cette voie-là. On a beaucoup plus de moyens, on a beaucoup plus de facilité à faire venir aussi les binationales. C’est avant tout le vœu du roi et aussi du président de la fédération.

On a à notre disposition beaucoup de moyens qui permettent de faire en sorte que les joueuses ne pensent qu’au football, et ça, c’est une très bonne chose.

On parle de moyens en matière d’infrastructures et financiers ?

C’est déjà des moyens au niveau de l’infrastructure puisqu’on a un complexe Mohamed VI qui est absolument incroyable, tant par les terrains que l’hébergement. Aujourd’hui, on se déplace beaucoup plus pour jouer à l’étranger. On a eu l’opportunité pendant la CAN de loger dans l’hôtel des A garçons et de bénéficier de leurs installations pendant toute la CAN. C’était une première. C’est un tout. Pour cette préparation à la Coupe du monde, on a eu les moyens qu’on voulait pour pouvoir faire une première préparation en Autriche, et puis après, arriver en Australie un petit peu plus tôt pour s’acclimater au décalage horaire, à la météo. On a à notre disposition beaucoup de moyens qui permettent de faire en sorte que les joueuses ne pensent qu’au football et ça, c’est une très bonne chose.

Le projet se rapproche des standards européens…

C’est le souhait. Mais ça vient de démarrer. Il faut construire les sports-études, les centres de préformation, même si on en a quelques-uns qui peuvent être déjà réalisés. Après, il faut faire des recrutements. On est au départ du projet et c’est un projet qui va demander beaucoup de patience et beaucoup de monde aussi, qui soit à la hauteur. Parce que quand on fait des sports-études ou des centres de préformation, il faut aussi que les entraîneurs soient des formateurs qui ont l’habitude de travailler avec les jeunes joueuses pour les faire progresser. C’est un travail qui est long, mais c’est un travail qui est nécessaire. Bien sûr qu’il faut se référer au pays où ça a déjà marché, savoir comment il fonctionne. C’est important d’aller voir ce qui se passe ailleurs pour pouvoir essayer de reproduire les meilleures choses pour les jeunes.

Aujourd’hui, pour la sélection féminine, il y a combien de personnes dans le staff au quotidien ?

Nous, par exemple, à la Coupe du monde, c’est le staff le plus élargi qu’on aura parce qu’on l’avait comme ça aussi à la CAN. Entre les kinés, médecins, intendants, on est plus d’une dizaine. Chaque poste est assuré ou doublé quasiment, donc on est dans de très bonnes conditions.

En matière de budget pour la sélection, vous avez à peu près le même budget que celui des garçons ?

Il n’y a pas de chiffre destiné ou prédestiné aux filles ou aux gars. Après, c’est juste une question de moyens qu’on nous donne. On voyage correctement, on voyage dans toute l’Europe sans aucun souci. Jamais une seule fois, on nous a dit : « Non, vous ne pouvez pas aller à cet endroit parce que financièrement, c’est trop cher. » On nous propose des destinations pour faire des matchs pendant les dates FIFA et il n’y a pas de souci de ce côté-là. On va jouer où on veut aller jouer et puis il n’y a pas de problème.

 

Auparavant, la sélection prenait essentiellement des joueuses locales, qui étaient nées au Maroc ou jouaient dans le championnat marocain. Pourquoi ce changement en prenant autant de binationales désormais ? 

Il y avait déjà quelques binationales, mais quand on est arrivé, notre objectif, c’était aussi d’élargir l’effectif pour aussi récupérer les meilleures joueuses qui peuvent jouer en Europe et qui étaient d’origine marocaine. C’est ce qu’on a fait. On a fait un travail avec le staff et le scout pour savoir qui avait le potentiel pour jouer avec l’équipe nationale et aussi savoir si c’était possible par rapport à la nationalité. C’est pour ça qu’avant la CAN, on a déjà fait un gros travail et on a récupéré pas mal de joueuses qui étaient à l’étranger et qui n’avaient jamais été sollicitées par la fédération pour pouvoir devenir marocaines. Puis on a continué de le faire après la CAN pour pouvoir récupérer encore d’autres joueuses pour la Coupe du monde.

Dans la construction de l’effectif, est-ce que vous faites une distinction entre ces binationales et ces locales ? Est-ce qu’il y a un quota par exemple ?

Non, la seule chose qui importe, c’est le niveau de jeu, d’apporter quelque chose au groupe et à l’équipe. Peu importe si elles jouent à l’étranger ou si elles jouent au Maroc.

Le projet de la sélection est très lié au championnat féminin. Vous parliez tout à l’heure de la professionnalisation, mais qui reste quand même très inégalitaire. Pour vous, qu’est-ce qui pourrait être mis en place pour combler ces inégalités entre les clubs ? 

Je crois que quand on est dans un championnat comme ici au Maroc, il faut que les joueuses deviennent professionnelles. Ce n’est pas seulement le nom, il faut qu’elles travaillent tous les jours, qu’elles apprennent leur métier tous les jours. Malgré tout, il faut que ce championnat soit un peu plus compétitif de par les entraîneurs diplômés qui puissent apporter une plus-value à leur équipe dans le travail technique, dans le travail tactique. Déjà ça, je pense que ça rehausserait certainement un petit peu plus le niveau du championnat. Après, il faudrait essayer d’attirer quelques joueuses étrangères de très bon niveau pour pouvoir faire en sorte que le championnat soit un petit peu plus compliqué pour toutes les équipes. On est au début du championnat professionnel ici au Maroc. Il y a des réglages à faire. Ce qui est fait, c’est déjà intéressant par rapport à ce qui était fait il y a quelques années. Il faut que ça avance assez rapidement pour pouvoir récupérer d’autres joueuses du championnat. Aujourd’hui, on a l’impression qu’il y a un potentiel dans ce championnat qui n’est pas complètement exploité.

Mais depuis qu’on est ici, quand on est allé jouer à Melbourne, il y avait beaucoup de supporters marocains. Lorsqu’on est arrivé à l’aéroport à Adelaïde, il y avait encore beaucoup de Marocains qui nous attendaient. Il y en a partout, des Marocains qui aiment le sport, qui aiment le foot, qui supportent leur équipe nationale féminine.

On a vu que la CAN, où le Maroc a fait son meilleur résultat en allant jusqu’en finale, avait suscité beaucoup d’engouement dans le pays. Est-ce qu’il y a un vrai amour du football féminin au Maroc ? 

Je pense que beaucoup de gens ont découvert le foot féminin à travers cette CAN. Sur les deux premiers matchs de poules, ils étaient un petit peu curieux. Je pense qu’ils n’étaient pas complètement convaincus. Au fur et à mesure de la compétition, une fois qu’on s’est qualifiés pour les quarts de finale, je pense qu’ils se sont pris au jeu. Ils se sont dit qu’on avait une équipe féminine compétitive qui était en train de jouer une CAN à domicile. L’engouement est arrivé au fur et à mesure des matchs. À partir des quarts de finale, on avait un stade qui était quasi complet. C’était une belle réussite pour les joueuses de montrer aux spectateurs et téléspectateurs marocains qu’il y avait aussi du foot féminin au Maroc.

Est-ce que depuis cette période, vous sentez un vrai intérêt pour la sélection féminine dans le pays ? Vous avez reçu des encouragements avant de partir en Australie pour le Mondial ? 

On a fait notre préparation en Autriche, donc on était moins visibles par rapport au Maroc. Mais depuis qu’on est ici, quand on est allé jouer à Melbourne, il y avait beaucoup de supporters marocains. Lorsqu’on est arrivé à l’aéroport à Adelaïde, il y avait encore beaucoup de Marocains qui nous attendaient. Il y en a partout, des Marocains qui aiment le sport, qui aiment le foot, qui supportent leur équipe nationale féminine. Il y en a qui supportent les garçons et les filles. Ça commence à s’étendre un petit peu. Mais c’est suivi. Tous les matchs sont retransmis à la télé au Maroc.

Il y a une prime assez importante promise à chaque joueuse par la FIFA. Est-ce que c’est quelque chose qui, selon vous, va pouvoir aussi changer la dimension du football féminin marocain ? 

Très honnêtement, non. Je trouve ça très surprenant qu’on puisse donner à des joueuses des primes de présence sans même avoir joué le moindre match. Je trouve que ce n’est pas trop dans l’état d’esprit du foot. Quand on est sportif de haut niveau, il faut mériter ce qu’on a. Je trouve que de mettre des primes comme ça, en disant que même si vous perdez, on va vous donner cette prime-là… Ils ne font pas ça pour les garçons. On n’arrête pas de dire l’égalité, l’égalité. Je trouve que ce n’est pas aider les joueuses et le sport de haut niveau que de donner des primes comme ça pour une Coupe du monde.

Vous auriez préféré une prime par équipe ? 

J’aurais préféré tout simplement qu’il n’y ait pas de prime attribuée aux joueuses avant la compétition. Et que si elles avaient eu des primes, c’était par rapport aux résultats qu’elles avaient. Après, ce sont les fédérations qui décident quelles primes elles ont. Comme les garçons. Moi, je n’ai jamais eu de prime avant d’avoir commencé la compétition.

Nouhaila Benzina : ouvrir la voi(l)e

Propos recueillis par Léna Bernard et Anna Carreau

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