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Aabid et Saint-Louis : « On aurait dit que la terre parlait »

Propos recueillis par Loïc Bessière et Alexis Billebault
9 minutes
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Joueurs de Hatayspor, Rayane Aabid et Dylan Saint-Louis ont vécu le séisme qui a frappé la Turquie et la Syrie dans la nuit du 5 au 6 février et causé la mort d’au moins 40 000 personnes. Revenus en France, ils se remettent de ce traumatisme tout en cherchant à venir en aide aux milliers de victimes.

Comment avez-vous vécu ce tremblement de terre ?

Dylan Saint-Louis : Nous avions joué le dimanche après-midi contre Kasimpasa (1-0). J’étais chez moi, je venais de passer un long moment au téléphone avec ma femme, qui est en France avec notre fils. Heureusement, d’ailleurs… Il y a deux heures de plus en Turquie, et quand j’ai raccroché, comme nous avions un jour de repos le lendemain, je ne me suis pas endormi tout de suite. Puis j’ai entendu des chiens hurler dehors, d’une manière inhabituelle. J’étais dans ma chambre, allongé sur mon lit, et il y a eu un énorme BOUM. J’ai tout de suite compris que c’était un séisme. Tout a commencé à bouger, la maison s’est mise à danser, les murs se sont fissurés, j’ai été éjecté de mon lit.

Rayane Aabid : J’étais en train de dormir, mon lit a sauté au plafond, voilà comment je me suis réveillé. J’ai eu le réflexe d’aller chercher ma femme et mon fils pour sortir de là. Dieu merci, on n’a pas eu de casse. Même si la maison est détruite, on a la santé et c’est le plus important.

DSL : La première secousse a bien duré 45 secondes. J’ai compris qu’il fallait sortir, que je risquais d’être écrasé par le plafond de ma maison. Je me suis habillé et me suis réfugié dans ma voiture. Il n’y avait plus de réseaux, j’entendais le bruit des bâtiments qui s’effondraient.

RA : Certains disent que le plus choquant, c’est d’avoir vu les dégâts, mais pour moi, c’est le bruit du séisme. On aurait dit que la terre parlait, c’était un truc de fou !

DSL : Il pleuvait, il faisait froid, il y avait des gens qui criaient. J’étais choqué, sonné. Puis deux de mes coéquipiers, Rayane Aabid et Mehdi Boudjemaa, sont venus me chercher.

RA : Au bout d’une petite heure, j’ai tilté que son portail et son garage sont totalement électriques. Je me suis dit qu’il devait être bloqué là-bas. J’ai démarré ma voiture et on est allé le chercher, mais dans des conditions très, très spéciales. Ce n’était pas facile de conduire avec une terre qui tremble, c’est sûr, mais je n’avais pas le choix. C’est ça, où tu laisses ton ami. En plus, il habite seul dans une montagne. Je savais que si nous n’y allions pas, il resterait tout seul et il n’aurait jamais pu sortir de là-bas. C’était totalement impossible !

Une fois sortis d’affaire, qu’avez-vous fait ?

DSL : Le club avait envoyé des messages sur WhatsApp pour nous demander de rejoindre notre centre d’entraînement. En chemin, on a vu des choses qu’on aimerait n’avoir jamais vues. Des gens hébétés qui cherchaient des proches dans les décombres, des parents qui sortaient les enfants des décombres, sans que l’on sache s’ils étaient vivants ou morts. C’était comme s’il y avait eu la guerre, avec des bâtiments effondrés, des routes très endommagées, de la poussière. En arrivant au centre d’entraînement, on a vu des joueurs seuls ou avec leurs familles. Mais tous n’étaient pas là. Certains sont arrivés, mais il manquait le Ghanéen Christian Atsu, qui avait marqué la veille, et le directeur sportif.

À l’heure où nous nous parlons, ils n’ont toujours pas été retrouvés…

DSL : Non. C’est très angoissant. À un moment, on a cru que Christian avait été retrouvé, par un message envoyé par une personne qui croyait l’avoir vu dans un hôpital. Mais finalement, ce n’était pas lui, et entre-temps, la rumeur s’était répandue. Même la fédération ghanéenne l’avait reprise en assurant qu’il était sain et sauf.

Rayane, tu as appris de ton côté la mort du gardien de but Ahmet Eyüp Türkaslan, ton ancien coéquipier à Matalayspor…

RA : C’est terrible. Les coéquipiers, ce sont des gens avec qui, nous, professionnels, on passe 24 heures sur 24 entre les mises au vert, les stages d’un mois… On mange ensemble, on prie ensemble, on dort ensemble… En plus, c’était un super gars ! Ça fait mal… Il faut accepter, c’est une épreuve, et il faut aller de l’avant et aider ceux qui sont encore là. Et pour vivre cette situation, il y en a plein qui ont besoin d’aide.

Les jours suivants les séismes étaient tout aussi chaotiques. Pouvez-vous nous les décrire ?

DSL : Déjà, il y a eu pas mal de répliques. C’est vraiment flippant. Tu te dis : « Putain, ça recommence ! » Quand la nuit, alors qu’il est déjà difficile de dormir, il y a une secousse, tout le monde sort, c’est la panique… Pendant ces deux jours, on a fait en sorte de s’organiser dans notre centre d’entraînement en mettant les femmes et les enfants des joueurs et du personnel dans un local qui semblait plus sûr. Moi, je suis retourné à la maison pour récupérer de la bouffe, du lait pour enfants, des couches. On aide comme on peut. Les premiers jours, j’ai eu l’impression que les gens étaient pas mal livrés à eux-mêmes. Il faisait froid, il y avait des gens dans les rues qui se réchauffaient autour d’un feu. J’ai pu rentrer en France le mercredi suivant la catastrophe, comme les autres joueurs étrangers du club, qui ont pu quitter la Turquie grâce à l’action de Volkan Demirel, notre coach. J’ai retrouvé ma femme et mon fils, ça fait du bien. Je suis en région parisienne, avec ma famille, j’essaie de penser un peu à autre chose. Je pense surtout aux personnes qui sont là-bas, aux gens du club, aux populations, qui ont toute leur vie dans cette partie de la Turquie, et qui ont tout perdu. D’après ce qu’on entend, il y a encore beaucoup de personnes sous les décombres. On sait que les miracles existent, mais près de deux semaines après le séisme, il faut être réaliste, on sait qu’il sera difficile de retrouver des survivants. De notre côté, on tente de venir en aide aux victimes.

Dylan Saint-Louis
Dylan Saint-Louis

Comment ?

DSL : On a d’abord donné de l’argent pour les gens du club, les employés, les interprètes, les nourrices qui s’occupaient des enfants des joueurs venus avec les familles. Une cagnotte a été créée pour cela, et les joueurs du club ont ouvert un compte en plus pour venir en aide à ces travailleurs. J’ai vu des choses terribles. Je ne veux pas effrayer ma famille, donc je dis que je vais bien. Il faut surtout insister sur le fait que là-bas, en Turquie et en Syrie, il y a des millions de gens qui souffrent et ont besoin d’aide. C’est ça le plus important. Moi, j’ai survécu, donc ça va. Mais dans les villes les plus touchées, des personnes ont perdu des proches, leur maison, tout. C’est à eux qu’il faut penser, et qu’il faut aider.

RA : La cagnotte, elle s’est faite naturellement. J’ai des amis turcs comme Umut Bozok, mon agent est turc, je connais beaucoup de joueurs turcs vu que ça fait quatre ans que je joue dans ce pays. Quand je suis rentré à Istanbul, j’ai dîné avec des amis et nous nous sommes dit qu’il fallait absolument faire quelque chose. D’habitude, ce n’est pas mon délire ce qui est réseaux sociaux, interviews et tout ça. Mais là, je me suis dit que c’était pour la bonne cause. Nous sommes footballeurs, on a ce devoir d’aider les autres ! À partir du moment où on vit dans un pays, où on a un contrat et que l’on prend beaucoup d’argent par rapport à la population locale, on se doit d’aider. Surtout qu’on est suivi, regardé, écouté, donc si l’on peut faire bouger les choses, on se doit de le faire.

Vous avez collecté plus de 30 000€ avec votre cagnotte, êtes-vous étonné ?

RA : Franchement, j’étais surpris, car ça vient de partout ! Actuellement, je suis en association avec la mosquée turque de Roubaix et on voit des dons arriver de partout ! Ça fait chaud au cœur ! Je ne suis pas étonné que des footballeurs comme Benjamin Stambouli, Bafétimbi Gomis ou Umut Bozok aient donné de l’argent. Le foot, c’est un petit monde, tout le monde se connaît. Entre guillemets, nous sommes une petite famille. Quand quelqu’un est touché, surtout nous les étrangers en Turquie, on essaye de se serrer les coudes.

De quoi les Turcs et Syriens ont-ils besoin ?

RA : En ce moment, surtout des générateurs électriques. Il faut aussi des fauteuils roulants, des duvets, des tentes, des couvertures. Tout ce qui est vêtements et nourriture, c’est bon maintenant. Tout part en Turquie en avion et en semi-remorque.

Rayane Aabid
Rayane Aabid

Est-ce que vous avez envie de rejouer rapidement ? Hatayspor et Gaziantep FK ne reprendront pas la saison, mais ne seront évidemment pas relégués…

DSL : Chacun va vivre la situation à sa façon. Certains vont avoir besoin de beaucoup parler, d’autres non. Moi, j’ai envie de rejouer rapidement, pour retrouver un quotidien qui m’est familier. Cela m’aiderait à penser un peu à autre chose.

RA : Pour l’instant, je n’ai pas la reprise dans la tête, c’est trop loin. Des clubs ont contacté mon agent, mais c’est flou. On ne sait pas ce que l’on peut faire. On sait qu’on peut signer en Turquie ou dans un championnat avec le marché ouvert, mais pour les autres championnats, on ne sait pas comment cela va se passer. Ils ont décalé le mercato. À la base, c’était jusqu’au 18 février, mais là, c’est jusqu’au 4 mars.

DSL : Mon contrat avec Hatayspor devait prendre fin le 30 juin prochain, donc je n’y retournerai pas. Je sais que les joueurs sous contrat avec les deux clubs qui ne reprendront pas le championnat (interrompu jusqu’au 3 mars, NDLR) pourront être prêtés n’importe où.

Pourriez-vous rejouer en Turquie ?

DSL : Aujourd’hui, je vous réponds non. Ce que j’ai vécu et vu fait réfléchir. On peut avoir des offres alléchantes, mais ça ne vaut rien face à la vie. J’ai discuté avec certains joueurs étrangers. Pour eux, la Turquie, c’est fini, ce n’est plus possible.

Hatayspor : la vie après le séisme

Propos recueillis par Loïc Bessière et Alexis Billebault

La cagnotte est à retrouver ici

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