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- Sortie de l'EP de Memphis Depay
Rass King : « Memphis ne pourrait pas vivre sans faire de musique »
La semaine dernière, Memphis Depay se faisait remarquer non pas sur les pelouses de Ligue 1, mais sur les plateformes de streaming : c’est en effet le vendredi 30 novembre que sortait Heavy Stepper, son tout premier EP en tant que rappeur. Un projet réalisé par passion pour la musique, sous l’œil de Rass King, producteur de musique basé à Rotterdam. Quelques jours après la sortie du projet, le musicien raconte la conception de ce disque un peu à part. Et évoque les talents de chanteur de Memphis Depay.
Comment as-tu rencontré Memphis ?J’ai rencontré Memphis via Winne, un rappeur connu à Rotterdam, là ou je vis. On travaillait un jour ensemble, et Memphis a écrit à Winne via Instagram pour lui dire qu’il allait faire un projet humanitaire au Ghana, le Genesis Project. Il lui a proposé d’écrire une chanson sur ce projet, et Winne m’a alors fait travailler sur cette chanson. C’était en 2018, quelque chose comme ça. On collabore aujourd’hui depuis deux ans et on est devenus très proches en très peu de temps.
Comment as-tu réagi lorsqu’on t’a demandé de travailler avec Memphis Depay ?Je n’avais aucun a priori, parce que Winne m’a demandé, et je lui fais entièrement confiance. Et j’ai vite vu qu’il avait vraiment du potentiel en tant qu’artiste. Je ne l’ai pas considéré comme un joueur de football qui essaye vaguement de faire du rap, j’ai vu un footballeur, et un rappeur. Il a juste plus de succès dans le foot, et il y consacre aussi beaucoup plus de temps. Mais je le considère vraiment comme un artiste.
Pourquoi ?C’est dur à dire comme ça, mais il y a des gens qui font juste de la musique comme ça – et c’est très bien aussi – et d’autres qui ont vraiment envie de créer quelque chose qui a du sens. Et la manière dont Memphis réfléchit sa musique, la manière dont il l’écrit, ça m’a vraiment surpris. Il aime vraiment ça. Surtout, il n’a pas vraiment le temps de progresser en tant qu’artiste avec son emploi du temps, les matchs, et pourtant il a réussi à le faire.
Comment avez-vous travaillé sur cet EP ? Comme tu le disais, l’emploi du temps des footballeurs est quand même compliqué pour faire de la musique.Oui, c’était un peu dingue. S’il était en France et qu’il voulait travailler avec moi sur sa musique, il me faisait venir en avion pour qu’on travaille ensemble. En fait, dès qu’il était dans un pays et qu’il sentait qu’il pouvait faire de la musique, il m’appelait et me demandait si j’avais le temps de venir. Ensuite, je le rejoignais et on enregistrait. Je ramenais un micro, mon ordinateur, et on transformait n’importe quel endroit en studio, c’est assez commun de faire ça aujourd’hui. Généralement, on se voyait pendant les vacances, parfois entre deux matchs, ou alors quand il passait aux Pays-Bas. Il a aussi eu un peu plus de temps pour faire de la musique avec le confinement, mais il était aussi en phase de rééducation. Donc on a travaillé sur sa musique pendant deux ans, à chaque fois qu’il était disponible.
Ce qui est étonnant avec Memphis, c’est qu’il est plutôt un bon rappeur. C’était comme ça dès le départ, ou tu l’as vu progresser ?Les deux. Au début, on a vu qu’il y avait du potentiel. Il était bon et il a beaucoup progressé ces deux dernières années. J’ai peut-être un peu eu mon rôle là-dessus, mais ça reste une machine. (Rires.) Il a travaillé !
Quel était ton rôle justement ?Je pense que le simple fait qu’il ait décidé de bosser avec moi est intéressant. Memphis a le réseau et l’argent pour travailler avec n’importe qui, il peut se payer des gros producteurs de rap américain s’il veut, mais il est venu me chercher, moi. Et j’ai l’impression que c’est parce qu’il a vu que j’étais quelqu’un de franc dans le travail, et il a compris que comme lui, j’étais vraiment au service de la musique. Quand je conseille un artiste, quand je lui dis de changer quelque chose, ce n’est pas pour le vexer, c’est pour améliorer la musique. Et cette honnêteté, c’est quelque chose qui lui a parlé. Surtout quand tu vis une vie comme celle de Memphis, où tu as des gens qui te disent oui tout le temps autour de toi. Quand on le voit de loin, on se dit qu’il aime la mode, la musique, donc il va forcément aller chercher des gros producteurs de rap. Mais je crois que c’est vraiment quelqu’un d’authentique. Il se fiche des tendances, il fait les choses comme il le sent lui. Tout ce qu’il fait, c’est parce que ça lui plaît à lui. Et notre relation était très honnête. C’est quelque chose qui lui correspond.
Sur cet EP, il n’y a pas que du rap. Les premiers morceaux ont des sonorités africaines par exemple. C’était un choix de votre part ?Pas de manière consciente. Je viens du reggae, je suis aussi d’origine africaine, et je me disais « Et si je fais une prod aux sonorités africaines, est-ce qu’il va réagir ? » Je lui ai joué la prod’ du morceau qui allait devenir « From Ghana » , et il a été super réceptif. Sur ce morceau, je chante aussi d’ailleurs. Et c’était l’une des première fois où j’ai senti qu’on me mettait un peu la pression sur un morceau dancehall comme ça. (Rires.) Je l’écoutais et je me disais : « Attends, mais il est en train de plier le morceau là, il faut que je sois au niveau ! » Memphis écoute beaucoup de rap américain, de la trap, 50 Cent, The Game, ça a été une influence importante. Le reste vient de sa curiosité, c’est quelqu’un qui aime aussi tenter des choses et écouter d’autres choses, je pense par exemple à Burna Boy qu’on aime beaucoup tous les deux. Je le redis, c’est vraiment quelqu’un qui aime la musique !
Memphis chante aussi sur l’EP. C’était un challenge ?Il était clairement bon ! Je lui dis d’ailleurs souvent que c’est vraiment dommage qu’il n’ait pas le temps de prendre des cours de chant pour progresser encore, contrôler sa voix. Il n’a pas les connaissances techniques, mais il a quelque chose. Je pense qu’il va développer cet aspect de sa musique à l’avenir. Comme je le disais tout à l’heure, je le considère vraiment comme un artiste, et je crois qu’il peut encore faire plein de choses en musique. Le rap n’est qu’un point de départ.
Memphis ne parle pas trop de son vécu en tant que footballeur dans ses paroles. Pourquoi ?Je pense qu’on ne peut pas raconter tellement de choses sur le foot dans des paroles… (Rires.) Quand il écrit ses texte, il évoque tous les aspects de sa vie, pas seulement le football. Et en studio, le football redevient une seule partie de sa vie, ce n’est plus le sujet principal, même si tout le monde le connaît pour ça. Je trouve ça assez malin, la manière dont il met quelques punchlinesdans sa musique pour répondre aux critiques, mais pas plus.
Quel est le rapport de Memphis à la musique ? Il travaille dessus durant certaines périodes, tout le temps ?Il écrit tout le temps, il me le dit à chaque fois, il écrit dans l’avion notamment. Il a aussi un dossier en ligne avec des prods, pour tester des choses sur un morceau. Mais il écrit tout le temps, que ce soit sur des prods sur internet, ou sur les miennes.
Penses-tu que la musique est quelque chose dont il a besoin dans sa vie ?Oui, clairement. Je pense qu’il ne pourrait pas vivre sans faire de musique. Il a une vraie passion pour ça, une vraie ambition, du sérieux, et il veut surtout apprendre. Pas seulement comment bien rapper, mais comprendre tous les aspects du sujet. Ce qu’est un master, à quoi sert le publishing… Il s’intéresse vraiment à tous les aspects de l’industrie musicale – alors qu’il n’est pas obligé de le faire – tout en ayant un emploi du temps fou. C’est pour ça que je respecte beaucoup le fait qu’il s’investisse autant là-dedans : alors que tout le monde pourrait penser que c’est un joueur de foot, qu’il a réalisé son rêve, il se fixe de nouveaux objectifs. Et la musique en fait partie.
Y all know that I’m gonna be out for a while cuz of my injury, but while I’m working like a beast to get back on the field ASAP y all know that working on my music is therapeutic for me so I’m definitely gonna put my pain, struggle and motivation in the studio and try to…
— Memphis Depay (@Memphis) December 25, 2019
Quand on parle de Memphis en tant que footballeur, on dit que c’est quelqu’un qui travaille, qui est talentueux, qui a confiance. C’est aussi le cas dans sa musique ? Oui, son éthique de travail dans la musique est à 100%. Je ne sais pas comment il fait d’ailleurs parce que son éthique de travail dans le foot est aussi à 100%, il doit avoir 500% d’éthique ! (Rires.) Il se fixe vraiment des objectifs sur les choses qu’il veut atteindre, il est déterminé.
Depuis que tu travailles avec lui, tu l’as regardé jouer avec l’OL ?Je regarde beaucoup plus de football qu’avant depuis qu’on bosse ensemble. Je ne regarde pas tous les matchs, mais si je peux le voir prendre plaisir sur un terrain comme il le fait en studio, je trouve ça cool. Mon père et mes frères sont vraiment des experts en foot, alors que moi non, mais quand je le vois sur le terrain, j’arrive à voir qu’il se passe quelque chose quand il a le ballon. Il attire l’attention, il fait parfois des choses auxquelles tu n’avais pas pensé. Et surtout, peu importe le challenge que tu lui mets, il va y aller.
Parce qu’il travaille ?Oui, c’est ça. Et ça fonctionne aussi pour la musique, tout le reste. Crois-moi, si demain il a envie de devenir avocat, je peux te promettre que dans dix ans, tu le verras dans un tribunal !
Propos recueillis par Brice Bossavie