- Coupe du monde de futsal
Raphaël Reynaud : « Le futsal, c’est du basket avec les pieds »
L’équipe de France de futsal s’apprête à faire le grand saut : qualifiés pour la première Coupe du monde de leur histoire, les Bleus entrent en lice ce lundi face au Guatemala. Avant d’arriver en Ouzbékistan, le sélectionneur Raphaël Reynaud s’est posé pour nous parler de son fief, Blavozy, de son projet de jeu, de basket et de Dominique Bijotat.
La France n’avait encore jamais réussi à se qualifier pour la Coupe du monde. Est-ce déjà un exploit d’être là, parmi les 24 meilleures nations de la planète ?
Quand j’ai pris l’équipe il y a trois ans, ce n’était vraiment pas dans le tableau de marche. On avait prévu de se servir de ces qualifications pour faire grandir l’équipe en vue des qualifs de l’Euro 2026, qui est vraiment notre objectif. Après, l’équipe a grandi, elle s’est étoffée petit à petit. Les joueurs ont totalement adhéré au projet de jeu, on a performé et c’est devenu accessible.
À partir de quel moment as-tu commencé à te dire que l’équipe pourrait atteindre ces altitudes ?
Depuis que je suis dans le futsal, je dis qu’un jour on sera champion du monde. Je l’ai dit alors qu’on était très loin, autour de la 40e place mondiale. Je le dis parce que je crois fort en l’identité de nos joueurs et de notre futsal. Je me suis toujours construit avec l’idée qu’un jour, on serait champions du monde, avec moi ou un autre. Ça peut paraître prétentieux, mais l’idée est là depuis très longtemps. Évidemment, on passe pour un fou à ce moment-là, mais quand on met les outils, qu’on se donne les moyens de progresser, les choses deviennent un peu plus palpables.
Tout a commencé à Blavozy, en Haute-Loire, pour toi. À quoi ressemblait ta jeunesse là-bas ?
En milieu rural, il y a énormément de choses à faire dans les relations à l’autre et le monde associatif. J’étais en permanence avec les copains, on jouait au foot, au basket, au tennis, à faire du vélo… Grandir à Blavozy, c’est la plus belle chose qui me soit arrivée. Tout le village se retrouve le week-end, on profite de moments uniques. On ne mesure pas encore suffisamment ce que le foot et les clubs de foot sont capables d’apporter à notre jeunesse aujourd’hui, le bonheur que c’est de vivre dans ce milieu-là.
Le sport était omniprésent ?
J’ai commencé par le basket. C’est une passion familiale, maman était coach de l’équipe du Puy-en-Velay, je passais mon temps dans les gymnases à voir des matchs masculins et féminins. J’ai joué relativement longtemps en tant que meneur de jeu. J’adore faire jouer les autres, mettre en place les systèmes, réfléchir au jeu. C’est un poste qui est un relais de l’entraîneur en plus, donc ça me convenait parfaitement. En parallèle, j’étais aussi joueur de foot. J’étais numéro 6. Ce qui m’intéressait, c’était de compenser, d’équilibrer, d’être dans l’analyse de ce que faisaient mes coéquipiers pour pouvoir être là où il fallait. J’ai eu une carrière de joueur moyenne, niveau régional. Je joue toujours en vétéran à Saint-Pierre-Eynac, un petit village juste à côté de Blavozy. Il y a le derby bientôt, au mois d’octobre. Même si je rentre tard, je serai à l’heure pour le derby !
Dans ta chambre, c’était plutôt posters de foot ou de basket ?
C’était les deux, franchement ! J’avais un poster de Dominique Wilkins, un joueur d’Atlanta que j’adorais. Les Hawks perdaient à chaque fois au premier ou au deuxième tour de play-off… On avait un magnétoscope, donc je pouvais enregistrer. J’avais aussi le poster de Freddy Hufnagel, un joueur inspiré et différent. Au foot, c’était Platini. J’ai toujours cultivé les deux.
Quels étaient tes plans professionnels à l’époque ?
Normalement, je suis fait pour être professeur d’EPS. Je fais des études en STAPS, mais j’ai basculé au dernier moment, je ne suis pas allé à l’écrit. Je passe mon temps à réfléchir au jeu, à regarder des vidéos de foot. C’est sympa, car je reviens en semaine, je gère les séances de joueurs plus âgés que moi. Mon club me propose de devenir salarié en tant que responsable des jeunes et des seniors, et j’accepte. Mon parcours doit ressembler à beaucoup d’autres à ce niveau : passionné d’entraînement, passionné de son village, sans arrêt en train de chercher comment se perfectionner. Je suis né entraîneur, j’ai commencé à être coach de basket vers 15-16 ans. Je voulais rester dans ce que j’aimais faire. Au grand dam de ma maman qui était prof de gym !
Qui t’a donné envie d’être coach ?
Dans le basket, c’est Pat Riley, coach des Lakers. Il avait la classe, il tenait Kareem-Abdul Jabbar, Magic Johnson, etc. Dans le foot, ce sont plus des gens qui m’ont accompagné en tant qu’éducateurs, des passionnés absolus de foot. Ils étaient sans le savoir des donneurs de confiance. Le plus important pour moi, c’est ça. Et puis maman, qui est entraîneuse de basket, avec une passion incroyable pour le jeu et pour les gens.
Ton expérience dans le basket te sert toujours aujourd’hui ?
Le futsal, c’est du basket avec les pieds, le mariage de mes deux passions. Ça me porte aujourd’hui, car il y a énormément de similitudes entre le foot et le futsal, évidemment, mais aussi entre le basket et le futsal. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de blocs. La gestion des écrans, c’est essentiel dans le futsal moderne. Si on ne sait pas les défendre, on est en difficulté, et c’est indispensable de pouvoir les utiliser quand on est pressé. On travaille sur les pick and roll, je m’en suis énormément inspiré. Plus on se rapproche du but, plus on sera dans cette approche. Il faut vraiment maîtriser la gestion des pick and roll aujourd’hui. Là, j’ai une petite longueur d’avance grâce à mon œil. De la même manière, les transitions ressemblent vraiment à des transitions de basket. Quand un joueur prend un shoot, à l’opposé, l’ailier adverse est déjà pratiquement sous le cercle. Ça existe aussi au futsal. On a beaucoup travaillé dans l’anticipation de perte et l’anticipation de récupération.
Tu as eu de bons résultats au niveau régional avec Blavozy, pourquoi ne pas avoir continué dans le foot ?
Quand le futsal est arrivé, ça a été un flash. C’est important dans la vie d’aller vers ce que l’on croit, et je crois profondément au futsal. C’est un sport mondial aujourd’hui, avec une résonance pas assez importante chez nous. Mais j’y crois profondément, je n’ai pas hésité deux minutes quand on m’a proposé de rejoindre les U21 à l’époque. C’était évident pour moi. Je n’ai même pas eu à choisir, quelque part.
Tu as été conseiller technique départemental, directeur technique régional, responsable du Pôle France futsal, etc. Ces expériences de « bâtisseur » t’ont poussé à avoir une vraie vision pour ton sport ?
C’est évident. Avoir ce parcours me permet d’avoir une vision globale de ce qui se fait en club et au niveau fédéral, et donc d’être en capacité de prendre des décisions en tenant compte de l’ensemble des éléments à notre disposition. Il n’y a rien de plus valorisant quand on crée le Pôle France. Le jour de la naissance du pôle, c’est la naissance d’un enfant dont l’idée a germé six ans plus tôt. C’est hyper valorisant. Quelque part, c’est aussi valorisant que de gagner contre le Brésil, puisque c’est une étape qui permettra demain de battre le Brésil.
Tu as parcouru l’Europe pour te construire en tant que coach. Qu’est-ce que tu cherchais dans cette démarche ?
Pour construire une identité de jeu, ça me semblait essentiel d’aller voir ce qui se passait ailleurs. J’ai voyagé dans différents clubs pour m’imprégner de la façon dont le futsal était perçu et pratiqué, en Espagne, en Tchéquie, au Portugal, en Italie. Ça m’a permis de comprendre comment fonctionnent les différents futsals et de ne pas faire un copié-collé, ce qui était important pour moi. On est toujours en carence de culture. Pour un gamin, c’est très compliqué de s’acculturer au futsal, contrairement par exemple à l’Espagne, au Portugal, à la Russie, où les matchs passent régulièrement sur les grandes chaînes, ce qui permet sans même s’en rendre compte de regarder des matchs. C’était important pour moi de construire une véritable identité dans laquelle chacun peut se reconnaître pour rattraper un peu ce retard culturel. Sinon, on aurait passé notre temps à courir après l’Espagne et le Portugal. Il fallait totalement changer de matrice, c’est ce que j’ai essayé de faire. Il y aura des limites, mais ça fonctionne plutôt bien aujourd’hui.
En prenant la tête de l’équipe de France, tu savais donc précisément ce que tu voulais ?
Oui, je savais exactement ce que je voulais mettre en place, où je voulais aller et comment. Je me suis construit dans ce sens-là en me disant : « Si un jour on fait appel à moi, je serai en capacité de répondre positivement et de proposer quelque chose qui me semble cohérent pour la suite. »
Pour prendre un exemple, tu as immédiatement installé un préparateur physique, ce qui était nouveau pour l’équipe de France.
C’est lié au projet de jeu. Basculer dans le haut niveau, ça ne peut se faire qu’en augmentant les normes d’entraînement. En moyenne, les joueurs sont passés de 2,5 à quasiment 7 séances par semaine tout compris. Notamment avec l’idée de préparation physique. L’exigence du projet de jeu imposait la présence d’un préparateur physique. On ne veut pas subir, on veut récupérer le ballon le plus haut possible, affecter l’adversaire défensivement et offensivement, mettre du rythme, etc. Les joueurs ont conscience que leur comportement individuel est vraiment au service d’un travail de sape qui porte ses fruits. On est souvent menés, mais à force, on arrive à revenir et à gagner les matchs. On a joué de la même manière contre le Brésil et contre la Slovaquie, pour moi il n’y a pas de différence. Le manque d’expérience pourrait nous porter préjudice, donc on va simplement essayer de garder nos repères, notre projet de jeu, notre identité.
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Pour compenser ce déficit d’expérience, des personnalités ayant vécu de grands moments sont intervenues auprès du groupe, notamment Dominique Bijotat.
Il est venu témoigner de l’aventure olympique qu’il a vécue, et c’était incroyable. Il a senti que les valeurs de l’équipe étaient un peu les leurs quand ils ont été champions olympiques à Los Angeles. Djibril Cissé est aussi venu nous parler de sa Ligue des champions en 2005, et José Alcocer du récent titre de champion d’Europe avec les U17. Dans chaque grand tournoi qui va au bout, il y a un supplément d’âme, tous l’ont dit. L’équipe doit être supérieure à l’individu. Ça, on le sait, mais quand on l’entend, c’est d’autant plus intéressant et on peut emmener les joueurs avec nous.
Tu as aussi retenu une phrase bien précise de Dominique Bijotat…
J’ai assisté à l’une de ses conférences à la fédé, et il a prononcé cette phrase, qui dit qu’ils n’avaient pas la meilleure équipe, mais qu’ils étaient imbattables. J’avais l’impression qu’il parlait de mon équipe ! Je me suis permis de lui passer un coup de fil, et il m’a rappelé tout de suite en me disant : « J’ai vu le match de ton équipe contre la Croatie et je me suis reconnu dans ce qu’elle renvoie. » Ça a été le début de cette histoire incroyable avec Dominique Bijotat, je lui serai toujours reconnaissant. La photo de 1984, je la montre tout le temps dans mes causeries ! Sa phrase est devenue notre credo. Elle colle parfaitement. Ça ne veut pas dire qu’on est complètement imbattables, mais c’est une question d’état d’esprit, de capacité à maintenir des valeurs qui nous permettent d’espérer l’être.
Quel est le but que tu as fixé pour ce tournoi ?
Notre objectif est de sortir des poules, mais ce sera aussi de surperformer. Nos joueurs sont en bonne santé, on peut compter sur l’ensemble de l’effectif. On a des fourmis dans les jambes, on est pressés d’en découdre. Il y a une dynamique avec les JO, les gens vont nous découvrir. En fonction de ce qu’on leur donnera, je pense qu’on sera en capacité de les amener avec nous et de changer de galaxie.
Maintenant que vous avez battu le Brésil et que vous vous présentez à la Coupe du monde, tu passes toujours autant pour un fou quand tu dis que la France sera championne du monde ?
En tout cas, plus personne ne me le dit. (Rires.) On nous prend un peu plus au sérieux. Après, ce n’est pas grave, ce sont les fous qui ont fait avancer ce monde ! Ça ne me dérange pas du tout.
Propos recueillis par Quentin Ballue