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Ramadan : le modèle anglais
Le mois du ramadan vient de débuter. La Premier League a donc décidé d’autoriser des pauses afin de permettre aux joueurs musulmans de rompre le jeûne. Une décision qui peut sembler lunaire de notre côté de la Manche. Cette différence de traitement en dit long autant sur le foot que sur la façon dont la religion est pensée dans les deux pays.
Les très nombreux footballeurs musulmans évoluant en Premier League (mais aussi en Championship, League One et League Two), dont le plus célèbre d’entre eux, l’Égyptien Mohamed Salah à Liverpool, seront donc autorisés à rompre le jeûne lors de la rencontre, autrement dit à s’hydrater et à se sustenter sur le bord du terrain pendant un arrêt de jeu. Pour mémoire, le ramadan, un des cinq piliers de l’islam, implique de ne rien manger ni boire du lever au coucher du soleil. Il s’agit d’un des grands temps forts dans la vie du croyant ou de la croyante (au même titre que Kippour pour les juifs ou Noël pour les Chrétiens). Les arbitres officiels se rapprocheront en amont des compétiteurs concernés pour déterminer du moment idéal, en tenant compte au maximum du rythme de la rencontre. Cette mesure n’a de fait rien de surprenant en Angleterre. En 2021, lors d’un Leicester-Crystal Palace, le Français Wesley Fofana et le Sénégalais Cheikhou Kouyaté avaient pu profiter d’une interruption pour rompre leur jeûne. Signalons également un match en Allemagne opposant Augsbourg à Mayence durant lequel le défenseur tricolore Moussa Niakhaté avait pu en faire de même.
Prince William, Église et Hijabeuses
En France, pareille décision paraît impensable. Ne serait-ce que parce que la perception des cultes, et pour tout dire de l’islam, n’a rien de commun avec l’héritage culturel en ce domaine au Royaume-Uni. En Perfide Albion, l’anglicanisme a encore un quasi-statut de religion d’État, avec le roi à sa tête, ouvrant en retour une reconnaissance très communautaire des minorités. Ce qui n’empêche nullement évidemment ni l’islamophobie ni la discrimination (le prince William vient d’envoyer une lettre de soutien à l’équipe Alpha United Juniors, à Bradford, dont les plus jeunes ont été victimes d’insultes racistes).
Dans l’Hexagone, la laïcité républicaine s’avère plus rigoureuse, construite historiquement autour du besoin de contenir l’influence de l’Église catholique dans la société. Les associations sportives, dont les clubs de foot, doivent signer désormais par exemple une charte de laïcité si elles désirent recevoir une subvention publique. Les femmes voilées ne peuvent pas participer aux compétitions (d’où le combat des Hijabeuses). La pratique religieuse, surtout musulmane, est regardée avec suspicion, surtout depuis le durcissement du débat politique autour de l’islam.
Récupération politique et double buffet
Et de fait, le foot n’est jamais bien loin, que l’on mesure la taille de la barbe de Benzema ou le degré de pratique de Kanté. Eric Zemmour avait tenté de la sorte en 2018, au début de sa « croisade », de se servir d’un pseudo-scandale des repas halal, imposés selon lui à tous par le « gauchiste » Raymond Domenech, puis interdit, toujours d’après le polémiste d’extrême droite, par Didier Deschamps. Dans les deux cas, l’information était fausse (il existait deux buffets, puis des repas individuels à la demande). Plus récemment, lors de son arrivée au PSG, Christophe Galtier s’est vu accusé par Julien Fournier, ancien dirigeant de l’OGC Nice, d’avoir voulu contraindre les joueurs musulmans de Nice à ne pas jeûner. L’entraîneur parisien avait fermement démenti.
La LFP n’a probablement pas l’intention de se caler sur son homologue anglais. Et surtout davantage par peur de la polémique que des questions légales, réglementaires ou de la gestion du temps additionnel. Pour l’instant, nous allons en rester aux pauses canicules, qui risquent en revanche de se multiplier, du moins si l’on se réfère au dernier rapport du Giec.
Par Nicolas Kssis-Martov