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Ralf Rangnick, que la révolution recommence

Par Maxime Brigand
6 minutes
Ralf Rangnick, que la révolution recommence

Chef de projet à Hoffenheim, puis architecte de l'empire Red Bull et plus globalement théoricien du contre-pressing en Allemagne, Ralf Rangnick devrait, sauf surprise, choper, à 62 ans, le poste dont il rêvait à la fin des années 1990 : celui d'entraîneur de l'AC Milan, où il devrait également enfiler la casquette de directeur technique. Attention, révolution en préparation.

C’est la suite de l’histoire du type qui aime comparer une équipe de foot à un « orchestre » et qui le justifie ainsi : « Si tu as un concert le samedi soir, tu dois avoir joué avec le même rythme et la même intensité que sur scène pendant la semaine… » Mais comment faire ? À écouter Ralf Rangnick, il suffirait d’entrer « dans l’esprit des joueurs » : son plaisir depuis plus de vingt ans est un plaisir qu’il maîtrise assez pour être considéré aujourd’hui comme un homme qui transforme tout ce qu’il touche en or. Au départ, pourtant, Rangnick était un mec dont certains aimaient se moquer. Hiver 1998, sur un plateau de la ZDF. Sapé comme un prêtre en soutane, Ralf Rangnick, la quarantaine et des lunettes d’informaticien posées sur le nez, est invité à expliquer le succès de son équipe, Ulm, qui roule alors sur la 2. Bundesliga. Fin du libero, passage à une défense à quatre à plat, marquage en zone couplé à un pressing agressif et coordonné : voilà pour les ingrédients. « Notre objectif est de prendre du temps et de l’espace au porteur du ballon, et donc à notre adversaire » : voilà pour le projet central. « Toutes ces discussions n’ont aucun sens » : voilà pour la réaction de Franz Beckenbauer himself. Sur le moment, Rangnick passe pour un clown et dérange. Plus de vingt ans plus tard, l’Allemagne du foot lui cire les pompes et le remercie chaleureusement alors que Jürgen Klopp vient d’être couronné champion d’Angleterre grâce notamment au contre-pressing expliqué sur un plateau de télé en 1998. « On était simplement en avance sur notre temps », sourit Ralf Rangnick, désormais élevé au rang de professeur dans son pays et à propos de qui l’un de ses anciens collaborateurs, Alexander Zorniger, qui a fait monter Leipzig en deuxième division il y a quelques années, est clair : « Ralf, c’est un tueur. »

Appel nocturne avec Sacchi et poste d’une vie

Alerte : l’assassin est sur la route du retour et s’apprêterait désormais, sauf immense surprise, à mettre son approche à l’épreuve d’un pays latin, l’Italie, et d’un club majuscule, l’AC Milan, où il se serait déjà engagé pour trois ans afin d’enfiler les casquettes d’entraîneur et de directeur technique, le tout avec une enveloppe comprise entre 120 et 160 millions d’euros pour les transferts. Comme toujours avec Rangnick, avoir le plein contrôle du laboratoire était indiscutable, et l’administrateur délégué du Milan, Ivan Gazidis, aurait accepté de prendre ce risque tout en se séparant de deux légendes : Zvonimir Boban, directeur général du club qui a quitté ses fonctions en mars, et Paolo Maldini, directeur technique et qui va donc être poussé vers la sortie, puisque Rangnick va occuper cette fonction. Pour l’Allemand, c’est surtout le poste d’une vie : au début des années 1990, il passait des journées entières à martyriser deux magnétoscopes achetés avec son père spirituel, Helmut Gross, un ancien ingénieur civil qui a théorisé le contre-pressing, devant des matchs du Milan de Sacchi.

Un Sacchi avec qui il a pu échanger en avril 2011, la veille de sa victoire historique (5-2) avec Schalke 04 face à l’Inter à San Siro : « Le CEO du Milan, Adriano Galliani, était venu à notre hôtel, et on avait discuté un peu, parce que certains journaux italiens avaient publié des articles sur moi. Il m’a alors dit qu’il était encore en contact avec Arrigo Sacchi, il l’a appelé et m’a passé le téléphone. On a parlé pendant une trentaine de minutes, d’un peu de tout : des années 1980, de l’influence qu’il avait eue sur moi, des heures passées devant son Milan… C’était sympa. Après, il a dû trouver ça bizarre qu’un coach allemand ait été aussi affecté par son travail. »

« Il est prêt à rentrer dans la tronche de tout le monde »

Également fan de Zeman, auprès de qui il avait passé plusieurs jours lors de l’été 1991, Rangnick débarque dans un pays dont il connaît le foot par cœur, mais surtout dans un club qui a eu une histoire XXL avant lui, ce qui n’était pas le cas d’Hoffenheim ou de Leipzig. Là est la principale interrogation : le laissera-t-on tout casser et imposer ses idées aussi facilement ? À voir, mais cela sera nécessaire, au risque d’échouer et de rapidement voir Ralf Rangnick, un type plus qu’autoritaire, se tirer. « Dans tous les cas, il est prêt à rentrer dans la tronche de tout le monde. C’est comme ça qu’il a réussi à se construire et à construire une génération de coachs dont la majorité a embrassé sa philosophie », complète Zorniger. L’Allemand a plusieurs cartes dans sa poche : sa capacité à imposer une identité claire à ses équipes, sa faculté à mettre tout un club à sa botte et son génie dans le recrutement, lui qui affirme « avoir un catalogue extrêmement clair » de ce qu’il attend « d’un latéral droit, d’un arrière central, d’un 6, d’un 8, d’un buteur… » C’est ce qui a, par le passé, fait la différence et fait changer de statut Rangnick.

La mission qu’il a désormais sous le nez est immense et l’homme déboule avec deux rêves clairs. Le premier : ramener le Milan, qui n’a plus été champion d’Italie depuis 2011 et qui n’a plus tapé un podium depuis 2013, au sommet. Le second : pousser encore un peu plus les limites du football. « Aujourd’hui, tout va à 2000 à l’heure, y compris en matière de football. Les staffs sont plus importants que jamais, les analystes sont de plus en plus nombreux… Le football n’a jamais été aussi décorticable, et c’est ce qui me fait dire que le jeu ne s’arrêtera jamais de progresser, expliquait Ralf Rangnick au printemps à So Foot. Selon moi, on est encore très loin d’avoir fait le tour de la question. Je pense notamment que la réflexion intellectuelle des joueurs va devenir encore plus importante dans les années à venir, que le jeu va se décider dans des espaces-temps encore plus réduits. Tout va s’accélérer encore plus, et les joueurs vont devoir être encore plus prêts physiquement. C’est aussi le sens de la vie… » C’est aussi l’objectif de la révolution qui se prépare dans un Milan qui vit un déconfinement royal – quatre victoires en cinq matchs, dont trois succès face à la Lazio, à la Juve et la Roma – sur lequel il faudra s’appuyer demain. Des premiers noms sont déjà annoncés (Szoboszlai, Tonali, Upamecano). En avant.

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Par Maxime Brigand

Tous propos recueillis par MB et issus du SO FOOT #175.

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