- Euro 2016
- 8es
- Croatie-Portugal
Rakitić, le marcheur blanc
Il est blond, a les yeux bleus, mais n'est pas le beau gosse de cet Euro. Le physique ne faisant pas tout sur un terrain, Ivan Rakitić est depuis le début de l'Euro le plus élégant. Plus que jamais, Ivan Rakitić est le frisson de ce début de championnat d'Europe dans le sillage d'une sélection nationale entraînante. La vie en détails.
Et si rien n’avait commencé sur un terrain de football ? C’est une histoire d’espaces, de création, de détails. Un intermède de quelques mois, rien de plus, passés au cœur de l’un des plus grands fleurons mondiaux de l’architecture, Herzog & de Meuron. Il raconte : « J’aime l’idée de construire quelque chose à partir de rien du tout.(…)Dans l’architecture, comme dans le football, il faut soigner les détails. Sans eux, une construction peut s’écrouler. Si tu les négliges en foot, tu finis par perdre 5-0. » Si le premier tour de cet Euro 2016 a bien livré une conclusion, c’est que plus que jamais, le football repose sur le détail et la science de l’espace. Ivan Rakitić est un orfèvre et un homme de goût. S’il comparaît il y a quelques semaines Lionel Messi à Antoni Gaudí, l’essence de sa comparaison tient dans la suite de sa réponse : « Comme aujourd’hui sur le terrain, je n’aurai été que son assistant. » Au final, l’international croate n’a jamais cherché la lumière. La victoire est pour lui une œuvre totale, le point final de courbes dessinées sur un simple rectangle avec la science du jeu, et le milieu de terrain doit rester à vie un serviteur. L’Euro 2016 est déjà le sien. On se tait, on profite et on savoure. Comme si la raie sur le côté – certes forcée par son destin capillaire – avait définitivement fait courber le monde. Point break.
L’éloge de la simplicité
Au départ, il n’était pourtant qu’un « Suisse blond » , un anonyme avec une dégaine d’habitué de Lacanau. Et il y a eu Séville, le passage du « blond qui ne comprenait rien à la vie » à « l’homme » . Une femme aussi, Raquel, harcelée dans un café de Séville avant de devenir celle qui lui glissa un anneau au doigt. L’histoire d’Ivan Rakitić, c’est finalement celle du mec normal mais plutôt doué, qui s’est fait une place de VRP dans un parterre d’étoiles. Et qui est devenu roi incontesté pour un pays qui ne connaissait rien de lui. La Croatie n’était pas une évidence, mais Bilić a su trouver les mots. Voilà, nous sommes en 2016, et l’Europe du foot prend des gifles tous les trois jours. Par la fraîcheur d’une équipe croate qui vient de retourner l’Espagne en acceptant de se courber, avant de se retrouver les mains pleines dans une moitié de tableau aussi excitante qu’une nuit au Macumba. Il y a Luka Modrić oui, mais surtout Ivan Rakitić. Son rôle est plus avancé qu’au Barça, il distribue, ouvre le jeu, récupère et offre l’émotion nécessaire dans un championnat d’Europe : qu’on aurait aimé voir ce lob sur De Gea prendre une autre dimension. De l’art de rendre le football simple.
Maître du temps
Car c’est définitivement l’impression que laisse derrière lui Rakitić. Il rend les choses simples, il purifie la complexité, et plus que tout : il marche. C’est la marque des grands. Wayne Rooney marche, Iniesta marche, Toni Kroos marche et Ivan, donc, marche. L’impression est assez frappante, car ces hommes dictent le rythme, ils ne subissent rien. On peut parler de maîtres du temps avec un objectif simple : faire gagner du temps à son équipe, en faire perdre à l’adversaire. Contre l’Espagne, certains observateurs ont parlé de l’impact perdu durant 90 minutes par Sergio Busquets, mais, au-delà de la fatigue, les Espagnols n’ont simplement pas réussi à contenir les poumons de Rakitić. C’était écrit, après avoir fait oublier Xavi dans l’entrejeu du Barça par un génie tactique à la Kasparov, le Croate devait définitivement faire passer un cap à sa sélection nationale. C’est fait dans le jeu, pas encore dans les faits. Il le fait aussi par le geste, comme on l’a vu à Saint-Étienne lorsqu’il a tenté de calmer les supporters énervés de son pays. L’avènement définitif de la vague blonde et des yeux bleus.
Par Maxime Brigand
Propos d'Ivan Rakitić tirés de son interview dans So Foot n°137, encore dans vos kiosques.