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Raiola, Mendes et le paradoxe du pompier pyromane
Incompétente pour juger de la régularité, ou non, de la commission pharaonique de Mino Raiola dans le cadre du transfert de Paul Pogba à Manchester United, la FIFA se retrouve dans une situation qu'elle a elle-même créée. Aujourd'hui, il faut faire marche arrière. Et demander à la FIFA d'être un arbitre compétent.
C’était une autre époque. Une époque où Sepp Blatter, Jérôme Valcke et Markus Kattner constituaient un trident redoutable à la tête de la FIFA, mais où le 1er avril était déjà la date des mauvaises blagues. Nous sommes en 2015, et ce jour-là entre en vigueur le Nouveau règlement de la FIFA sur la collaboration avec les intermédiaires, présenté l’année précédente aux associations membres par la circulaire n° 1417, signée du Français qui préfère moins de démocratie pour plus de Coupe du monde. En introduction, la FIFA veut « procéder à une réforme en profondeur du système des agents de joueurs » . En conclusion, elle précise que « l’actuel système d’octroi de licences sera définitivement abandonné » . Quant au développement, il peut se résumer ainsi : l’institution-mère refile le bébé aux fédérations nationales, soit la charge du contrôle des « intermédiaires » . Deux ans plus tard, qu’en est-il ? Si les hommes ont disparu des radars officiels et tentent d’esquiver les fourches judiciaires, le texte, lui, est toujours là. Et il peut aboutir à des situations ubuesques, comme l’a rappelé avec force l’affaire Pogba – Raiola.
Mépris de classe et avantages comparatifs
« Cette situation pointe les limites du choix de la FIFA de retirer les agents de sa sphère d’influence » , pose d’entrée maître Redouane Mahrach. Et l’avocat spécialisé en droit du sport de détailler sa pensée : « En cas d’illégalité avérée, Raiola pourrait être condamné par la Fédération dans laquelle il est intermédiaire, en l’espèce l’Italie ou l’Angleterre. Une Fédération pourrait le sanctionner, lui dire : « Je vous interdit pour X temps de travailler chez nous. » Mais il peut alors continuer à sévir dans d’autres pays ! Alors que la FIFA, elle, aurait pu le sanctionner au niveau mondial. » Oui, mais elle a décidé que l’encadrement des agents ne serait plus son affaire.
Selon ses propres termes, la FIFA a relevé « l’inefficacité du système d’octroi de licence d’agent de joueurs, qui faisait que de nombreux transferts internationaux étaient conclus sans agent licencié » et a donc voulu instaurer « un nouveau système, plus transparent, qui serait plus facile à administrer et à mettre en œuvre au niveau national. » Maître Mahrach perçoit une autre raison : « La FIFA a toujours eu un peu de mépris pour les agents, considérant que son cœur de métier est constitué des footballeurs, des clubs, des arbitres. Pour elle, les agents sont périphériques. » Vrai. Mais l’avocat voit plus loin : « Les agents, c’est difficile à gérer. Il y a beaucoup de contentieux et la FIFA n’a pas nécessairement envie de mettre en œuvre les moyens de s’en occuper. Il n’y a pas d’enjeu pour elle, le rapport coûts / avantages est négatif, donc elle a botté en touche. Et c’est une catastrophe. »
« Rien n’oblige personne à plafonner »
En amont d’éventuels litiges, d’autres questions demeurent : les différents pays encadrent-ils l’activité des agents d’une manière uniforme ? Si non, cela pose-t-il un problème de concurrence entre eux ? La première réponse est évidente, à écouter le fondateur du cabinet RMS avocats : « La France a une loi qui encadre la profession. Très peu de pays ont ça ! Sinon, ce sont des réglementations internes. Et rien n’oblige personne à plafonner. » En effet, en France, le plafond des commissions perçues par un agent est légalement fixé : 10% des revenus hors primes variables pour les agents de joueurs, 10% du montant du transfert pour ceux mandatés par les clubs pour négocier avec leur vis-à-vis. Loin, très loin, des 49 millions touchés par Mino Raiola sur les 127 millions déboursés par Manchester United.
Reste la question de la compétition entre les marchés. À la veille de la décentralisation de 2015, un président de Ligue 1 s’exprimait anonymement dans les colonnes du Journal du dimanche : « Un intermédiaire européen qui a le choix entre la France ou l’Italie pour son joueur ne va pas s’embêter à passer devant une commission ou à partager sa commission avec un agent français ! Il enverra direct son joueur en Italie. Finalement, cela va pénaliser encore un peu plus les clubs français. » Maître Mahrach tempère cette accusation de concurrence déloyale : « C’est vrai, les agents que je côtoie me disent parfois : « C’est difficile de placer en France, les commissions, la législation… » » Mais si, de fait, la France oblige aussi les mandataires à posséder le statut officiel d’agent, sanctionné par un concours, l’argument financier serait lui plus discutable : « En pratique, rares sont les clubs qui paient 10%, on est plutôt à 7-8% dans tous les pays. Il faudrait faire une étude statistique, mais je n’ai pas le sentiment que ça pèse sur la compétitivité. D’ailleurs, on n’a jamais vu autant de bons joueurs arriver en France que lors de ces dernières années. » Un point pour la défense.
Troncs et feu de forêt
En définitive, la pratique courante, celle de 90% des « petits » agents, en matière de chiffre d’affaires, est inégalement encadrée, mais elle l’est : par la loi en France ou par la pratique en Angleterre où, selon un mister Mahrach enregistré auprès de la FA, les clubs pratiquent un « professionnalisme plus exacerbé. Vous appelez un club, ils commencent par vous dire :« Vous m’envoyez le mandat. Vous ne l’avez pas ? Revenez plus tard. » En France, il ne faudra le mandat qu’au moment de la signature, il peut y avoir des intermédiaires dans les discussions, l’agent peut ne s’interposer qu’à la fin. » Et puis il y a les gros, ceux qui font l’actualité, Jorge Mendes et Mino Raiola.
S’ils ne sont pas forcément les troncs qui cachent la forêt, la majorité des agents ne dealant pas avec Ángel Di María ou Paul Pogba, ils peuvent en revanche être des locomotives emmenant la profession sur de mauvais rails. C’est en tout cas ce que constate maître Redouane Mahrach au travers de son activité : « Des agents vont se sentir plus libres de faire n’importe quoi. Ils me disent : « Il n’y a pas de raison que je ne fasse pas comme Raiola ! » Alors que l’exemple devrait descendre d’en haut et que le mauvais exemple est très préjudiciable au fonctionnement des institutions. » Une remarque qui s’applique à d’autres domaines, de même que celle qu’être puissant permet de mieux filouter, ou l’inverse. Quoi qu’il en soit, le cas Raiola le montre, des sanctions au plus haut niveau sont indispensables pour être effectives, en faisant par exemple appel à la FIFA. Soit le paradoxe du pompier pyromane.
Par Eric Carpentier