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Raí: « Je suis soulagé »

Propos recueillis par Mathieu Solal
Raí: « Je suis soulagé »

L’ancien capitaine de la Seleção et du PSG, désormais dirigeant d’ONG, étudiant à Sciences Po Paris et actionnaire du Paris FC, revient sur l’élection brésilienne et évoque l’avenir du football de gauche.

Quelques jours après le deuxième tour de l’élection présidentielle brésilienne, comment vous sentez-vous ?Je suis soulagé. L’élection a été très serrée, car le pouvoir a utilisé la machine de l’État pour servir la candidature de Bolsonaro, en se plaçant à la limite de la légalité. De l’argent a par exemple été donné aux Brésiliens, et des lois ont été changées in extremis. Malgré tout cela, c’est bien le projet le plus démocratique, ouvert et généreux qui a gagné.

Les manifestations et blocages opérés ces derniers jours par les soutiens de Bolsonaro vous font-ils craindre un coup d’État militaire ?Non, je suis plutôt serein, même si je continue de suivre la situation de près. Bolsonaro a toujours motivé les gens à aller contester les institutions démocratiques, en utilisant les fake news. Ces mouvements ne sont que le reflet de cette attitude. Une partie mineure, mais tout de même importante, de ses soutiens manifeste, mais cela devrait se calmer dans les prochains jours. Le Brésil a évolué, et je suis sûr qu’il n’accepterait pas un nouveau coup d’État.

Bolsonaro a eu des propos racistes et cela n’a pas empêché des joueurs noirs ou métis de le soutenir. Il a mené des politiques sexistes, contre les pauvres, ce qui est très clair pour moi, mais l’est beaucoup moins pour certaines personnes de mon milieu.

Vous avez été très actif médiatiquement pendant la campagne. Décririez-vous votre engagement plutôt comme pro-Lula ou anti-Bolsonaro ?Je crois dans les idéaux portés par le PT (le Partido dos Trabalhadores de Lula, NDLR). J’admire beaucoup toute l’histoire de Lula, mais j’attendais tout de même de voir si un autre leader allait émerger, car il est toujours sain d’avoir un renouvellement. Mais quand il est apparu que Lula, qui a réussi à mobiliser tous les grands mouvements de la société civile, était le seul à pouvoir battre Bolsonaro, je n’ai pas eu le moindre doute, car l’urgence était de mettre un terme au processus de destruction qu’il a engagé. Quatre ans de plus de destruction de l’environnement auraient par exemple provoqué des dégâts irréversibles. J’ai donc essayé d’expliquer aux indécis que soutenir Lula n’était pas seulement un vote utile, mais un vote nécessaire. Entre la nécessité de satisfaire les besoins de base des Brésiliens, de lutter contre la misère et la pauvreté et de revenir sur les décisions absurdes et inhumaines prises sous le mandat qui s’achève, Lula a désormais une très grande responsabilité. Immédiatement après l’élection, on a vu, avec toutes les félicitations qu’il a reçues, qu’il permettrait de rétablir l’ouverture à l’international du Brésil. Et vu ce qui est arrivé à Lula et à sa famille ces dernières années, tout son combat, son passage en prison, sa sortie après l’annulation du jugement, ses 77 ans, plus rien ne le retient, et je suis convaincu qu’il va faire un mandat très positif.

Le monde du football professionnel, notamment les joueurs en activité, s’est beaucoup plus mobilisé pour Bolsonaro que pour Lula. Comment l’expliquez-vous ?C’est très difficile à comprendre. Il a eu des propos racistes, et cela n’a pas empêché des joueurs noirs ou métis de le soutenir. Il a mené des politiques sexistes, contre les pauvres, ce qui est très clair pour moi, mais l’est beaucoup moins pour certaines personnes de mon milieu. Ils se sont laissés tromper par des fausses informations, des valeurs affichées par Bolsonaro, qui a réussi à rendre secondaires dans beaucoup d’esprits des principes de base, comme le respect des droits humains. Pendant la pandémie, il se moquait des gens qui perdaient leurs proches, il a dit à une femme qu’il n’allait pas la violer parce qu’elle était moche, et beaucoup prennent cela comme une blague, alors que c’est très sérieux. Si ces gens reviennent vers des valeurs simplement humaines, ils se rendront compte, petit à petit, qu’ils sont du mauvais côté de l’histoire.

Bolsonaro a aussi réussi à s’approprier le maillot auriverde. Pendant la campagne, le porter dans la rue marquait un soutien à sa politique. Quel effet cela vous fait-il à vous, ancien capitaine de la sélection nationale ?
Bien sûr, je me suis senti mal de ne plus pouvoir le porter. Bolsonaro a mené une stratégie très bien pensée. Il a vu que ses adversaires principaux affichaient des couleurs rouge pour Lula ou bleue pour Cardoso et a vu l’opportunité à saisir en transformant un symbole national en symbole nationaliste. Mais maintenant qu’il a perdu, je vois déjà autour de moi des gens qui se remettent à porter le maillot auriverde. Alors je ne suis pas trop inquiet. Ce n’est qu’une question de temps et d’intelligence, pour que les Brésiliens se réapproprient leur maillot.

La victoire de Bolsonaro sur le terrain footballistique marque-t-elle aussi une défaite du « football de gauche » brésilien, un manque de descendance pour la « Démocratie corinthiane » lancée par votre frère, Sócrates, dans les années 1980 ?Oui, sans aucun doute. La Démocratie corinthiane était à mon sens une exception, un mouvement très bien organisé, qui a réussi à toucher le football. Mais globalement, le milieu reste très machiste, conservateur, souvent émaillé de manifestations racistes, avec seulement une certaine résistance de gauche. De mon côté, j’essaie de passer un message, d’éclairer, mais il est difficile d’aller à contre-courant. Cela dit, le moment politique très fort qu’ont vécu les Brésiliens, l’intérêt qu’ils ont manifesté pour l’élection, y compris les soutiens de Bolsonaro, ouvre une opportunité pour parler de politique de manière un peu plus profonde.

Quelle est la bonne attitude à adopter pour lutter efficacement contre l’extrême droite ? La diaboliser au risque de se couper définitivement de son électorat, ou lui répondre argument pour argument au risque de la banaliser ?Pour le Brésil, en tout cas, la première chose est de montrer toute l’opacité de ce qui a été fait. Par exemple, Bolsonaro a énormément abusé de son droit à frapper de secret pendant 100 ans les éléments qui entourent une décision considérée comme importante pour le pays. On peut aussi parler de toute la destruction du système de protection de l’Amazonie opérée par le ministre de l’Environnement, qui est suspecté d’être lié à la mafia du bois, ou des décisions absurdes prises pendant la pandémie. Il faut dire, montrer ce qui a été fait et aller au bout des conséquences que cela a eues. Dans un second temps, maintenant que Lula a le pouvoir, il faut réussir à renforcer la présence de l’État. Car dans le fond, la proportion de soutien à l’extrême droite au Brésil n’est pas plus élevée qu’ailleurs. Il y a entre 20 et 25% de la population qu’il sera difficile de faire bouger. Mais les autres, par exemple les évangélistes, s’en remettent à la foi avant tout parce que les besoins de leurs quartiers ne sont pas satisfaits, que leur communauté ne peut vivre dignement. Quand l’État n’est pas présent, on croit à autre chose. C’est pourquoi il faut que Lula aille encore plus loin que lors de ses premiers mandats dans les plans de soutien pour les quartiers et régions les plus pauvres, et aussi dans l’éducation. Personnellement, c’est ce qui me passionne depuis 25 ans et que j’essaie de faire avec les associations que j’ai fondées : entrer dans ces quartiers pour donner accès aux gens à autre chose.

L’amour que je porte au PSG est venu avant les Qataris. (…) C’est toute la difficulté du football : avoir de l’amour pour un club, sans rien pouvoir contrôler de ce qu’il devient.

Vos études à Sciences Po participent-elles de cet engagement ?Absolument, oui. J’ai commencé un master en politique publique en janvier. J’aime beaucoup être à l’université, car elle provoque mes neurones, me confronte à des idées nouvelles. Et là, en plus, ce master est directement lié au projet de mon association, Gol de Letra, dans une petite ville du Nordeste. L’idée est de donner accès à l’éducation, à la culture, à l’art, au sport, par une politique publique qui intègre tous ces éléments qui sont souvent traités de manière distincte, alors qu’ils se touchent. Je développe beaucoup d’idées, pour faire en sorte que la ville assume le développement humain, que des gens de classes sociales et de générations différentes puissent venir pour recréer du commun, en proposant des activités ludiques qui permettent à chacun d’avoir l’esprit plus ouvert. Ce master me permet aussi de vivre à Paris, que j’adore, dans l’effervescence culturelle qui caractérise cette ville.

Cette dimension sociale, vous voulez aussi la rendre importante au Paris FC, dont vous êtes devenu actionnaire cette année. Quel est le projet, exactement ?C’est encore frais, et j’en suis encore à prendre connaissance de ce qui se passe dans le club. Mais avec Pascal Rigo, qui a investi avec moi dans le club, nous avons un intérêt commun très important pour le social et les valeurs, et notre réflexion va avancer petit à petit. Il y a déjà des exemples de clubs, notamment en Suède, qui parviennent à incarner des valeurs, un peu dans le même sens que la Démocratie corinthiane. La difficulté est qu’il faut à la fois que le message corresponde à une réalité, et que le club occupe un espace qui reste légitime aux yeux du public. Les footballeurs ont de plus en plus d’influence, et on sent qu’il existe une demande de ce type de projets, pour que le football ne soit pas qu’un business.

Ne voyez-vous pas de contradiction entre d’un côté votre engagement pour la démocratie et la dimension sociale du football, et de l’autre, vos bons rapports avec le PSG sous pavillon qatari ou votre absence d’appel au boycott de la Coupe du monde ?Le football crée des situations difficiles, parfois même pour les supporters. Par exemple, ici, le club de Flamengo, qui est le plus populaire, compte 35 millions de supporters, est dirigé par des soutiens de Bolsonaro et a été instrumentalisé par lui le jour même de l’élection. Et beaucoup des supporters ne se reconnaissent pas dans tout cela, mais gardent leur amour pour le Flamengo, qui est venu avant cela. C’est un petit peu pareil pour le PSG : l’amour que je lui porte est venu avant les Qataris. Et je sais que parmi les gens qui représentent le club, parmi les supporters, une bonne partie s’identifie aux valeurs que je porte. C’est toute la difficulté du football : avoir de l’amour pour un club, sans rien pouvoir contrôler de ce qu’il devient.

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