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Raheem Désir
En l'espace de onze mois l'an dernier, Raheem Sterling était passé du statut de joueur anglais le plus cher de l'histoire à celui d'homme le plus détesté du Royaume. Puis Pep Guardiola est arrivé et lui a redonné sa liberté. Ou comment réussir son bras d'honneur.
Il faut s’arrêter sur ce corps désarticulé pour prendre conscience de la puissance du coup de reins. Cet enchaînement, Raheem Sterling le connaît comme un numéro de cirque parfaitement rodé. Bien souvent, tout commence ainsi : deux regards qui se croisent, un pied droit qui déclenche la course et un pied gauche qui poursuit. L’exécution n’est majoritairement pas son rôle. Ce qu’aime Raheem, c’est tout ce qu’il se passe avant. Soit être libre, prendre le contrôle du temps, sentir que la balle lui appartient et voir l’adversaire tomber, si possible. Faire chuter son cavalier sur la piste est sans aucun doute le plus grand plaisir d’un ailier. Dimanche dernier, alors que l’Angleterre recevait la Lituanie à Wembley (2-0) pour sa cinquième sortie des éliminatoires à la Coupe du monde 2018, Sterling a repris les projecteurs sur son pas favori. Sa victime : Egidijus Vaitkūnas, un homme qui ne verra probablement pas le cours de sa carrière être bousculé par cette prise de vitesse. À l’inverse, le jeune international anglais avait besoin de mettre définitivement tout le monde d’accord et une passe décisive peut aider.
Oui, ce n’est que la Lituanie et personne ne se souviendra de cette rencontre dans cinquante piges, mais Raheem Sterling a bien prouvé que le futur des Three Lions passerait notamment entre ses jambes. Son sélectionneur, Gareth Southgate, ne voit pas forcément la chose différemment : « Nous n’avons pas beaucoup de joueurs dans ce pays qui peuvent éliminer aussi facilement un adversaire dans des situations de un-contre-un. Raheem sait le faire et le prouve de plus en plus à chaque fois. Il a le désir de toujours plus progresser et avec un joueur comme ça, c’est plus facile d’avancer. » Il y a un peu plus de huit mois pourtant, Sterling était devenu le symbole d’une Angleterre déchirée de partout sur le tableau d’un championnat d’Europe terrible en France. Le gamin de Kingston sortait alors d’une première saison silencieuse à Manchester City, marquée par un faible temps de jeu, une castration stylistique orchestrée par Manuel Pellegrini, mais surtout une étiquette de joueur le plus cher de l’histoire de son pays scotchée sur le front. Et il aura suffi de cinq minutes sur un tableau.
« On ne peut pas prendre du plaisir en deux touches »
Cinq minutes au cours desquelles Pep Guardiola, venu l’été dernier prendre la suite de Pellegrini à Manchester, a rendu à Raheem Sterling sa liberté. « L’an passé, à l’entraînement, chaque joueur était obligé de jouer en deux touches. Je ne pouvais pas dribbler. J’aime dribbler et j’aime prendre du plaisir avec mes partenaires. Mais on ne peut pas faire ça en deux touches, expliquait récemment l’ancien joueur de Liverpool. En cinq minutes, Pep m’a expliqué ce qu’il attendait de moi et comment il voulait que je me comporte sur le terrain tout en me disant que le reste m’appartenait. J’ai senti que j’avais plus de liberté pour m’exprimer. Aujourd’hui, je me sens plus libre. » Tout simplement car dans le dernier tiers du terrain, Guardiola ne donne souvent aucune consigne, histoire de laisser une totale expression à ses éléments sur les phases offensives. Sterling est donc redevenu le gosse insouciant de Liverpool, celui qui percute et provoque, déstabilise et est décisif. Et comme l’homme a compris dans le même temps que le métier de footballeur nécessitait des sacrifices – « Après l’Euro, j’ai compris qu’il fallait que je redevienne l’ancien Raheem avec une vie plus simple. Donc, j’ai joué, joué, joué. J’ai compris qu’il y avait un temps pour ses potes et un autre pour le reste. » –, le voilà ressuscité dans le cœur des supporters anglais et plus particulièrement ceux de Manchester City. Il n’y a plus de Judas, sauf à Anfield, et encore moins de Hated One, comme il s’était surnommé après le nul contre la Russie pour ouvrir le dernier Euro en juin dernier.
Le détail chiffré
Oui, aujourd’hui, Raheem Sterling est redevenu l’artiste qu’il devait devenir. Un mec capable de décider de l’issue d’une rencontre, de la faire basculer, mais surtout de s’intégrer dans un tout plutôt que de se perdre en solitaire. Reste un détail chiffré dont l’ailier anglais a pleinement conscience. En six saisons professionnelles, Raheem Sterling n’a jamais sauté la barre des neuf buts en Premier League. Pour l’instant, il pointe à six. « Je dois davantage utiliser mon instinct. Pour devenir meilleur, j’ai besoin de marquer davantage, je le sais, mais c’est mon objectif. Je ne peux pas me contenter d’offrir, je dois aussi me servir. » Il reste encore quelques semaines pour travailler l’égoïsme, mais tant qu’il reste la liberté, Raheem avance. Histoire, aussi, de prouver que l’Angleterre peut encore filer plus que des espoirs.
Par Maxime Brigand
Propos de Raheem Sterling tirés du Guardian et du Daily Mail.