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Racisme : les victimes racontent

Propos recueillis par Vincent Riou
21 minutes
Racisme : les victimes racontent

Le So Foot n°166, sorti en mai dernier, consacrait sa couverture et un dossier de douze pages au racisme : "Que ressentent au fond d'eux-mêmes ceux qui sont pris à partie sur des terrains de football, pour leur couleur de peau ou leurs origines ?" Quatre mois plus tard, à l'heure où Romelu Lukaku fait connaissance avec une partie des supporters italiens qu'il aurait préféré ne jamais connaître, cette question mérite malheureusement d'être remise sur le tapis. La parole est aux victimes.

Luc Sonor

« Après l’agression raciste violente comme celle dont j’ai été victime à 14 ans, tu en veux au monde entier, mais je n’ai pas eu la vengeance, la rancœur en moi, j’ai pris l’initiative de ne pas sombrer, de ne pas rentrer dans l’engrenage, qui est certainement ce que les racistes attendent comme réaction. Et puis on m’aurait descendu encore plus, avec les nerfs à vif, la colère en moi, je serais devenu quelqu’un de désagréable, donc la solution c’était de l’évacuer, l’enfouir, tout en gardant la souffrance évidemment au fond de moi, sans l’extérioriser. Bien sûr que j’ai une rage intérieure, mais je ne voulais pas qu’elle me gâche la vie, qu’elle gâche la personne que je suis. À Metz, j’ai eu une expérience du racisme incroyable. À chaque match à Saint-Symphorien, systématiquement, à un moment précis du match, il y avait un gars qui gueulait « sale nègre, dégage, sale singe, sale nègre« , je me disais « c’est pas possible« . Ça fait d’autant plus mal quand c’est dans votre stade. Je cherche à voir qui c’est, où, mais je ne le repère jamais. Et puis un jour, un de mes frères vient voir un match, et par chance il se retrouve deux rangs au-dessus de ce type.

À chaque match à Saint-Symphorien, systématiquement, à un moment précis du match, il y avait un gars qui gueulait « sale nègre, dégage, sale singe, sale nègre », je me disais « c’est pas possible ». Ça fait d’autant plus mal quand c’est dans votre stade. (…) Finalement, c’était un mec avec qui je buvais le café et jouais au baby-foot le matin à côté du club…

À la fin du match, il me dit qu’il l’a attrapé : « T’inquiète pas, tu ne le verras plus cet enfoiré, il en a pris pour sa dose. » Le lendemain matin, décrassage. Et comme tous les matins avant l’entraînement, je m’arrête dans un café pas loin du club dans lequel j’allais prendre mon petit-déjeuner avant l’entraînement. J’y jouais au flipper, au baby-foot…. Mais ce dimanche-là, j’y vais avec mon frère, qui marque un temps d’arrêt à peine entré. Il va vers un type, l’air remonté. Je lui dis : « Mais qu’est-ce qu’il y a ? Ce mec c’est un copain, je joue avec lui tous les matins. » « Mais couillon, un copain, ça ? C’est lui qui te traite de sale nègre au stade ! » Et le gars est parti en courant ! Cette histoire-là, elle est folle, hein ? Là pour le coup, on peut parler de racisme ordinaire ! Le mec avec qui tu bois le café et joue au baby tous les matins te traite de sale nègre dans l’anonymat du stade, c’est tellement vicieux… Tu te dis qu’on n’arrivera jamais à vaincre ça, à l’éradiquer, à mon sens. Ça, c’est la seule histoire de racisme à domicile, mais alors à l’extérieur… Les peaux de banane comme tous les autres, à Marseille, quand je jouais avec Monaco, et il y avait d’autres blacks, Weah, Mendy, on était nombreux… En fait, on en rigolait presque au bout d’un moment quoi, et les dirigeants voyaient bien que ça ne nous atteignait pas plus que ça, à tel point qu’on me faisait rentrer le premier à l’échauffement, et alors j’entendais des « Eh Sonor, le négro, tu pues, va te laver le cul ! » Franchement pour moi, ça faisait partie du métier quoi, j’allais quoi qu’il arrive vivre ça toute ma carrière, il fallait faire avec, je n’allais pas courir après chaque mec qui me traite de négro. Aujourd’hui, tant mieux, j’entends qu’il y a des débats sur le fait d’arrêter le match, à l’époque si on m’avait dit que c’était possible de le faire, je l’aurais fait, je serais sorti du terrain, je serais parti. Mais j’ai envie de dire à ceux qui le vivent : « Ça va les gars, vous en verrez encore d’autres hein. » Moi, je dis que face à ça, il faut gonfler les pectoraux, montrer qu’on est debout, si ça vous affecte, vous êtes foutu, et vous leur donnez du pouvoir en fait. Faut rester la tête haute, continuer à jouer, et basta. Après, on peut agir en empêchant ces gens d’être dans les tribunes, puisque c’est répréhensible et qu’on a les images. Rien n’interdit aux voisins de ces gens-là d’intervenir non plus.

Une seule fois, j’ai voulu sortir parce que je me faisais traiter de sale noir, c’était à Lens, jamais je n’aurais imaginé vivre ou entendre ça là-bas, pour moi c’était un public festif, exceptionnel, et c’est ce qui m’a le plus déçu et attristé. C’est Glenn Hoddle qui est venu me voir, un mec très sage, la classe à l’état pur. Quand il a vu ma tristesse de vivre ça, il est venu me dire « Luc, what is your colour ? », « alors si c’est une insulte pour eux, sois fier, toi, d’être ce que tu es ». Et je suis resté sur le terrain.

Une seule fois j’ai voulu sortir parce que je me faisais traiter de sale noir, c’était à Lens, jamais je n’aurais imaginé vivre ou entendre ça là-bas, pour moi c’était un public festif, exceptionnel, et c’est ce qui m’a la plus déçu et attristé. C’est Glenn Hoddle qui est venu me voir, un mec très sage, la classe à l’état pur. Quand il a vu ma tristesse de vivre ça, il est venu me dire « Luc, what is your colour ?« , « alors si c’est une insulte pour eux, sois fier, toi, d’être ce que tu es« . Et je suis resté sur le terrain. À l’époque, ce genre d’épisodes, ça ne faisait même pas une ligne dans un compte-rendu de match.

En fait, une expérience du racisme en civil, j’en ai vécu une seule et c’est encore une histoire de stade. J’avais joué un vendredi avec Monaco mon dernier match de la trêve hivernale. Avec Jocelyn Angloma, on prenait le même vol pour rentrer en Guadeloupe le lendemain du Clásico que lui jouait avec Marseille, au Parc des Princes. Il me propose donc de venir y assister. J’y vais, je pars avant la fin, je marche vers la sortie et je croise une bande de skins qui me reconnaissent. J’avais mes tresses, « Sonor, Monégasque, enfoiré », sale noir« , les mecs, ils étaient une vingtaine, ils me coursent, me balancent des caillasses. Je cours vers des CRS, qui me repoussent, genre « dégage de là », et je me retrouve sur une bande de pelouse à la limite du périph’ à reprendre mon souffle, avec deux skins en face, un avec un poing américain, l’autre avec une barre. Franchement, moi, je ne pouvais plus courir. Dans ma tête, c’était presque « tu tues ou tu meurs », quoi. J’avais un téléphone de l’époque, les anciens Mitsubishi, là, qu’on utilisait dans les voitures. Quand le mec avec le poing américain essaie de m’en coller une, je lui ai jeté mon gros portable dans la gueule, et je me remets à courir, et au bout d’un petit moment, un taxi parisien s’arrête, il me reconnaît, j’embarque, et il me dépose à l’hôtel. Là, j’ai eu chaud au cul. Je n’ai pas remis les pieds au Parc comme spectateur pendant des années. Quand Jocelyn m’a rejoint le soir à l’hôtel, il m’a dit : « Putain, je suis désolé« , « Bah non, c’est pas de ta faute ! » Jocelyn, c’est un frère, hein, mais on n’en parle pas, jamais, de ces histoires-là. »


Jocelyn Angloma

« C’est en arrivant en métropole que j’ai vraiment découvert le racisme, mais pas intensément, le football est quand même un milieu où on ne regarde pas forcément la couleur de la peau. Mais ça m’est arrivé au cours de matchs de subir des insultes, il y avait des « sales noirs » qui sortaient. Dans le championnat français, ça m’est arrivé à deux reprises au tout début de ma carrière à Rennes, les deux fois de la part du même joueur d’ailleurs. Je n’ai pas envie de citer son nom, il y a prescription, c’était un joueur qui avait un nom en D1 quand même. Je n’ai pas eu droit à des excuses, je n’en ai pas demandé, et puis j’ai toujours su réagir sur le moment pour marquer le coup, tu appuies un peu plus un tacle ou même ça m’est arrivé de répondre par un coup de poing, sans que personne ne sache pourquoi j’en étais arrivé là. Je n’avais pas été expulsé pour autant, il fallait faire ça subtilement. En Italie aussi, il m’est arrivé de régler ça sur le terrain – entre guillemets « régler », parce que ça n’enlevait rien à ce qui avait été dit. Mais on n’allait pas le crier sur les toits, c’était inimaginable de dénoncer une insulte dans une interview d’après-match, c’était parole contre parole de toute façon. Le football étant plus dans le combat qu’aujourd’hui, c’est sur le terrain qu’on avait la possibilité de se faire « justice ».

Les cris de singe en Italie, c’est arrivé souvent, et ensuite j’ai à nouveau connu ça quand j’y suis revenu avec Valence en Ligue des champions, je me souviens, j’y avais droit dés que je touchais la balle quand on a joué contre la Lazio.

Je peux vous dire qu’à mon époque, il y en a des noirs qui ont répondu à des insultes racistes en mettant des claques, aujourd’hui tout finit par se voir, donc on ferait des débats, mais pourtant c’est humain de réagir violemment, même si on est footballeur professionnel et que l’on doit montrer l’exemple, on n’est pas forcément en mesure d’adopter la bonne attitude. Si on pouvait être sûr que le joueur sera sanctionné, que la justice passe, à la limite on pourrait s’abstenir, mais c’est humain de réagir. Les cris de singe en Italie, c’est arrivé souvent, et ensuite, j’ai à nouveau connu ça quand j’y suis revenu avec Valence en Ligue des champions, je me souviens j’y avais droit dès que je touchais la balle quand on a joué contre la Lazio, je peux vous dire que c’est dur, alors on reste concentré sur son match, mais après, clairement, tout dépend des caractères, chacun réagit à sa manière, selon ses capacités émotionnelles et mentales. »


Joseph-Antoine Bell

« En fait, c’est un comportement ordinaire de penser qu’on est meilleur que les autres, ce n’est pas un sentiment qui ne porte que sur la race.

Je n’ai jamais vu un boxeur pleurer sur un ring, parce qu’il sait ce qui l’attend, et donc moi, tout ce que j’ai pu voir et subir ne pouvait pas m’atteindre.

L’homme va aimer sa fratrie plus que ses voisins, et ses voisins il va les aimer davantage que les gens du quartier d’à côté, etc. En Afrique, ce sentiment de supériorité se retrouve dans ce qu’on appelle le tribalisme, on va considérer que les gens de telle tribu sont bêtes, inférieurs. Quand on a assimilé ça, qu’on s’est posé des questions là-dessus, on a un début de réponse quand on est ensuite confronté au racisme, et donc en fait, vous êtes paré pour ne pas être atteint. Le racisme est suffisamment répandu pour que ce soit un honneur de le combattre. Moi quand je suis arrivé en France, j’étais blindé. Je n’ai jamais vu un boxeur pleurer sur un ring, parce qu’il sait ce qui l’attend, et donc moi, tout ce que j’ai pu voir et subir ne pouvait pas m’atteindre. Si quelqu’un fond en larme parce qu’il a été victime de racisme, je le comprends, je le plains, mais à mon sens, on ne peut pleurer que devant un ennemi insoupçonné.

J’ai souvent été victime du racisme dans les stades, les fameux jets de bananes notamment quand je revenais jouer à Marseille avec d’autres clubs, mais en vérité, les attaques aussi fortes soient-elles peuvent être ressenties comme mineures si vous êtes blindés. Et elles sont proportionnelles à la riposte qu’on porte en soi, et si comme c’était mon cas elles ne vous atteignent pas, elles vous indiffèrent, elles n’ont aucun effet sur vos performances, au contraire. »


Kaba Diawara

« Même si on est né ici, que l’on ne connaît qu’ici, des histoires de racisme, on en rencontre. Ce ne sont pas les exemples qui manquent. Il y a une histoire qui m’a marqué, quand j’étais gamin. Elle peut paraître risible tellement ce sont des bêtises : j’habitais dans un petit village du Haut-Var à côté de Brignoles, j’avais 8 ou 10 ans, on jouait au foot, et puis après on allait en vélo dans un champ à côté pour manger des cerises, on montait dans un arbre, et là il y a un vieux qui arrive, on était quatre ou cinq, et comme par hasard, qui est-ce qu’il prend à partie ? Moi, le seul noir. OK c’est son champ, mais les cerises, si elles n’étaient pas mangées par nous, elles l’auraient été par des oiseaux ou seraient devenues pourries, et puis ce n’est pas quatre cerises qui allaient changer la donne. Et alors il me sort : « Va cueillir des cerises au Sénégal ! » On s’enfuit avec nos vélos, et lui me course avec un cyclomoteur, moi j’ai eu peur, je me souviens que j’avais vraiment dû appuyer sur les pédales pour le semer. Donc voilà, tous les gamins allaient en fonction des saisons se servir en fruits dans les champs autour, mais il y avait deux poids, deux mesures dans la réaction, à cause de la peau. En rentrant, j’ai raconté ça à ma mère, et deux ou trois jours plus tard, on croise le gars en allant à l’école. Je lui montre, elle va le voir et elle l’engueule. Il s’est excusé. Moi, j’avais très peur quand elle y est allée : une femme qui va réagir comme ça auprès d’un homme…

Vous pouvez demander à tous les enfants de l’immigration, on sait qu’on doit faire plus attention. Ce n’est pas qu’on n’est pas chez nous, mais on ressent qu’il faut faire plus pour se faire accepter, et qu’on nous pardonnera moins qu’aux autres, on a grandi avec ça. Peut-être que c’est plus simple pour mes enfants, la société a changé, elle s’est métissée, les mentalités ont quand même évolué.

Jusqu’au lycée, j’étais le seul noir de ma classe. On faisait un cours sur l’esclavage et tout le monde se retournait vers moi, comme si c’était des gens de ma famille dont on parlait… Donc t’es né en France, à Toulon, mais tu te sens différent, et ça touche.

Jusqu’au lycée, j’étais le seul noir de ma classe. On faisait un cours sur l’esclavage et tout le monde se retournait vers moi, comme si c’était des gens de ma famille dont on parlait… Donc t’es né en France, à Toulon, mais tu te sens différent, et ça touche. Mais on s’y habitue à force !

Au foot à cette époque, il est évident qu’il faut aussi en faire plus à valeur égale pour sortir du lot. On n’était pas nombreux, les noirs, dans les équipes. Et alors en jeunes, tu entendais assez régulièrement des « sales noirs » de tes adversaires, des parents, des gens qui regardent autour. On a grandi, on s’est construit comme ça sur le terrain ou dans la société, le problème c’est que ça puisse encore exister en 2019, qu’on n’accepte toujours par les différences. Dans nos clubs, ça n’arrivait pas, on était en famille, les parents des coéquipiers nous prenaient comme leurs enfants. Je n’ai eu des problèmes qu’avec ceux des équipes adverses.

Plus tard, quand j’étais pro, je me suis fait prêter six mois à Ferrol en D2 espagnole par le PSG. Et alors le capitaine, le gars, il m’appelait « négro », alors OK ça veut dire noir, et tout, mais moi, je n’ai pas grandi comme ça, tu ne m’appelles pas « négro ». Toute l’équipe m’appelait Kaba, lui non, il ne voulait pas, c’était « négro ». Donc un jour, je n’ai même pas fait l’effort de parler, ou plutôt je lui ai dit en français que la prochaine fois, ça allait mal se passer en le collant au mur et il a compris, il a arrêté. Moi, je suis rancunier, donc on ne s’aimait pas, on ne se parlait pas, mais au moins, il avait compris, quoi. Cette année-là, on avait fait un match à Gijón et dès l’échauffement, c’était des « négro, négro » qui partaient de la grande tribune. J’étais le seul noir, hein. Moi, mes premiers souvenirs de foot, j’avais sept ans, c’était la Coupe du monde 82, et Gijón avait accueilli des matchs, donc c’était associé à ça et je m’en réjouissais d’y jouer… Je me retrouve finalement là, devant ces gens stupides, et au bout de cinq minutes, je marque ! Qu’est-ce que je n’avais pas fait… Là, ça redoublait de « négro ». « Donc je n’ai pas le droit de jouer, de marquer, c’est ça ?« 

Je me souviens aussi bien au PSG de la tribune Boulogne, dès mes débuts avec Bordeaux en 1995. Ils nous envoyaient nous échauffer de leur côté, avec les cris de singe, « sans papier, sans papier, ouh ouh« . Bon, moi, j’avais pété un câble, je n’avais jamais été confronté à ça, ça m’avait choqué, j’étais stagiaire, et quand je suis entré et que j’ai marqué, je voulais aller célébrer vers eux, et les noirs de l’équipe m’avaient rattrapé et dit de laisser tomber. C’est dingue, ils avaient eux-mêmes des noirs dans leur équipe, quoi !

Si un mec vient dans la rue et me traite de « sale noir », il a intérêt à faire 2 mètres et peser 150 kilos. Sinon, je vais lui en coller une, je le couche direct. Mais ça, ça ne m’est jamais arrivé. Ils le font dans la foule justement, anonymement. C’est trop facile. Quand on est joueur, qu’est-ce qu’on peut faire ? Si on répond par la violence ou que l’on sort de notre match, il a gagné.

Sinon en France, je me souviens évidemment être allé jouer en Corse, et il y avait beaucoup de cris quand tu étais noir, ça partait un petit peu en vrille, et puis par la suite, je suis allé y jouer, en Corse, à Ajaccio, et j’y ai passé un an et sans jamais connaître aucun problème, à la ville ou au stade. Les gens ne sont donc pas racistes, j’y ai encore des amis, en fait tu te rends compte que c’est vraiment pour te déstabiliser, c’est grave, mais voilà, il y en a un qui s’y met, les autres suivent… Après, même vis-à-vis des adversaires, quand j’y jouais, je n’ai pas le souvenir de dérapages, les choses avaient évolué je pense dans le bon sens depuis mon début de carrière, et c’est vrai en général que ça s’était calmé. C’est pour ça que la recrudescence à laquelle on assiste aujourd’hui est un vrai retour en arrière.

En réalité, les gens qui le font aujourd’hui dans les divisions supérieures sont à peu près sûrs de se faire prendre, et comme c’est répréhensible, c’est fou qu’ils continuent, ou alors c’est vraiment une idéologie qu’ils assument. Le stade est un exutoire pour certains, si tu les en prives, quelque part, tu les tues, mais si pour les éduquer, il faut qu’ils aillent pointer un temps au commissariat et rester assis sur un banc pendant le match, par volonté ou de force, les gens finiront par arrêter. Sinon, ils seront privés de leur passion, c’est tout. Ça n’arrêtera pas le racisme, mais au moins ça ne se passera plus en place publique. Je vous assure, si un mec vient dans la rue et me traite de « sale noir », il a intérêt à faire 2 m et peser 150 kilos. Sinon je vais lui en coller une, je le couche direct. Mais ça, ça ne m’est jamais arrivé. Ils le font dans la foule justement, anonymement. C’est trop facile. Quand on est joueur, qu’est-ce qu’on peut faire ? Si on répond par la violence ou que l’on sort de notre match, il a gagné. »


Marina Makanza

« Quand j’ai été victime de cris de singe un jour en Biélorussie avec les U19, ça m’a inspiré du dégoût, limite je n’avais plus envie de jouer, mais des formes de racisme plus ordinaires, j’en ai été victime en France dans la vie civile. Quand j’entre dans un magasin avec trois personnes et qu’il y en a déjà vingt dedans, c’est moi qu’on va suivre, la seule noire.

Quand j’entre dans un magasin avec trois personnes et qu’il y en a déjà vingt dedans, c’est moi qu’on va suivre, la seule noire.

Clairement, c’est du racisme. Je me souviens aussi quand je jouais en Allemagne à Fribourg, on est dans un train, des policiers entrent, et c’est moi dont on contrôle le titre de transport, l’identité, un truc poussé quoi, seulement moi. Ce qui m’avait fait plaisir c’est qu’une dame est intervenue pour leur dire que c’était de la discrimination, ce contrôle. Alors des histoires comme celles-ci, j’en ai pas beaucoup d’autres, mais il faut y faire face, quoi, ça arrive, malheureusement. Et une seule fois suffit pour être touché dans sa chair, qu’on soit blanche, noire ou jaune, on ne peut pas oublier, ça marque à vie, même les gens qui n’en sont pas victimes, mais seulement témoins. »


Oumar Dieng

« Le racisme dans les stades, quand je l’ai vécu jeune joueur, j’en parlais avec mes partenaires de club, là il n’y avait pas de couleur dans l’effectif, ils me prenaient en charge, ils me réconfortaient parce que j’en souffrais intimement. J’en parlais beaucoup à mon père aussi, il me motivait mon papa : « Ça existe depuis la nuit des temps, tout ce qui ne tue pas rend plus fort, mon fils. » Et alors après, quand c’est de nouveau arrivé, je le prenais comme une force, à chaque fois que j’étais pris pour cible, insulté, je me disais que c’est parce que j’arrivais à annihiler l’attaquant adverse, et qu’ils cherchaient à me faire perdre ma confiance, ma concentration. Aujourd’hui, le fléau continue d’exister en 2019, on a la VAR, mais on n’a toujours pas réussi à identifier les gens auteurs de ces actes abominables et criminels pour les isoler, les interdire de stade, on n’investit pas pour y arriver.

On ne naît pas raciste, c’est certain, on le devient, donc il y a un travail en amont à faire à l’école, ce n’est pas un tabou, il faut en débattre.

On ne naît pas raciste, c’est certain, on le devient, donc il y a un travail en amont à faire à l’école, ce n’est pas un tabou, il faut en débattre. Et puis il faut appliquer la loi fermement, or on voit des gens passer en comparution immédiate et faire de la prison pour des faits moins graves, j’ai l’impression, et moi, je n’en vois pas, de supporters condamnés pour des cris racistes au stade, donc ça ne dissuade personne de continuer. Sans ça, il n’y aura pas d’avancées. Et le petit Guano, il n’est pas payé pour aller débusquer le ou les responsables, il y a les stadiers, les arbitres, la fédé, les caméras pour ça. C’est donc que la faille, elle est dans les institutions, ça devrait être un cheval de bataille au plus haut niveau. C’est un fléau qu’on a laissé gangrener, sinon on aurait déjà condamné des gars à des peines exemplaires. »


Cédric Kanté

« J’ai eu conscience du racisme par procuration. Nous, à Strasbourg, on n’avait pas autant de police dans les quartiers, moins de contrôles d’identité qu’en région parisienne, mais j’ai des cousins qui me racontaient leur quotidien. J’habitais le quartier de la Meinau, donc aller au stade pour nous, c’était une sortie qui dépassait même le foot. Quand j’ai grandi, il y avait la tribune Ouest où il y avait beaucoup de skinheads, on l’évitait ou on courait vite quand on passait à proximité, pour ne pas tenter le diable, risquer l’affrontement.

Quand j’ai eu la chance d’être capitaine de l’équipe, à la fin de la saison 2005 – quand on gagne la Coupe de la Ligue –, j’ai un pote qui travaille aux Dernières Nouvelles d’Alsace qui me confie qu’ils ont reçu des courriers de gens qui se demandaient comment un bronzé pouvait porter le brassard de Strasbourg, représenter l’Alsace…

Il fallait éviter les regards, c’était connu, il valait mieux ne pas s’y balader, ça a beaucoup changé, mais à l’époque, c’était comme ça quoi, ancré dans les esprits, presque accepté comme un truc folklorique, il y avait une tribune avec des skins. C’était un phénomène répandu, les skins, dans le centre ville de Strasbourg ou ailleurs en Alsace, il y en avait pas mal, mais pas dans mon quartier populaire de la Meinau ! C’est particulier comme impression, cette tribune dans le stade, où une catégorie de personnes n’est pas trop d’accord pour que l’on soit là. Je sais que quand j’ai eu la chance d’être capitaine de l’équipe, à la fin de la saison 2005 – quand on gagne la Coupe de la Ligue –, j’ai un pote qui travaille aux Dernières Nouvelles d’Alsace qui me confie qu’ils ont reçu des courriers de gens qui se demandaient comment un bronzé peut porter le brassard de Strasbourg, représenter l’Alsace. Franchement, je suis plutôt lucide par rapport à tout ça, donc ça ne m’avait pas choqué, mon pote était presque plus peiné que moi. Il avait attendu la fin de la saison pour me le dire, pour me ménager. Ce sont des réflexions que l’on fait souvent lâchement, les mecs ne venaient pas à l’entraînement me dire que je n’étais pas légitime comme capitaine, donc c’était des courriers au journal local, aujourd’hui ce serait sur les réseaux sociaux, ce n’est jamais très courageux. »

Chez les entraîneurs, des nerfs à manager

Propos recueillis par Vincent Riou

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