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Rachid Mekhloufi, le cœur vert
La légende de Rachid Mekhloufi s’est écrit en parallèle de l’histoire de l’Algérie. Son histoire est celle d’un footballeur pétri de talent qui n’a pas eu peur de tourner le dos à la gloire, pour un pays qui n’existait pas encore, mais qui était déjà sien. Son histoire est aussi celle d’un créateur fabuleux, qui a contribué à donner ses premières lettres de noblesses à Saint-Étienne.
« La France, c’est vous. » Ces mots, Rachid Mekhloufi les entend de la bouche du général de Gaulle, le 12 mai 1968. Symbole du mouvement de libération nationale dix ans plus tôt, le meneur de jeu stéphanois reçoit des mains du président de la République une Coupe de France qu’il vient d’offrir à son club. Grâce à la reprise de volée de l’Algérien et à son penalty tiré deux fois, Saint-Étienne réalise pour la première fois de son histoire le doublé coupe-championnat. Dans le Forez, Rachid Mekhloufi a montré qu’il n’était pas seulement le « footballeur de la révolution » , mais aussi un footballeur d’exception. La pièce entre le joueur et l’ASSE s’écrit en deux actes, entrecoupés d’une parenthèse FLN.
Le premier acte dure quatre ans
Rachid Mekhloufi s’initie au sport du colonisateur à l’Union sportive franco-musulmane de Sétif. Au dessus du lot dès les équipes jeunes, il est repéré par des recruteurs de Saint-Étienne. Âgé de dix-huit ans, il prend alors la direction de la Loire. Sous l’aile de Jean Snella, l’attaquant se révèle très vite. Sa technique naturelle, sa créativité, sa capacité à renverser le jeu d’un coup lui valent rapidement l’étiquette d’espoir du football français. L’année 1957 est la sienne. Un titre de champion de France et un autre de champion du monde militaire viennent couronner une saison époustouflante. Avec ses vingt-cinq buts en championnat, le footballeur est présenté comme un modèle d’une intégration fraternelle réussie, en pleine crise d’Algérie française.
Il forme alors, avec le Camerounais Eugène Njo Lea et le Néerlandais Kees Rijvers, un trio d’attaque qui détonne. Capable de jouer en pointe ou en meneur de jeu très avancé, Rachid Mekhloufi inscrit définitivement son nom au panthéon des joueurs stéphanois, le 4 septembre 1957 à Ibrox Park. Ce soir-là, face aux Rangers, le natif de Sétif inscrit le premier but de l’histoire européenne stéphanoise. Sept mois plus tard, alors au sommet de sa jeune carrière et alors que la Coupe du monde en Suède avec l’équipe de France lui tend les bras, le joueur des Verts surprend son monde en rejoignant Tunis et l’équipe du FLN. La France du football pense alors que celui qui est considéré comme l’un des meilleurs joueurs du championnat vient de tourner le dos à une belle carrière.
« J’ai été deux types de joueur »
Après un break de quatre ans, l’histoire entre Rachid Mekhloufi et les Verts peut reprendre. À l’indépendance, contrairement à beaucoup de ses coéquipiers de l’équipe du FLN restés en Algérie, « le footballeur de la révolution » rentre à Saint-Étienne, « sa seconde ville de naissance » comme il aime l’appeler. C’est un homme profondément changé par ces quatre années passées à voyager dans le monde entier, pour faire entendre la voix d’une Algérie indépendante, qui retrouve le chemin des pelouses françaises. « J’ai beaucoup appris en regardant les autres, en voyant les Hongrois à l’invention créatrice toujours neuve, les Yougoslaves qui sont des artistes, mais aussi des battants. En Chine, au Viêt-Nam, j’ai aussi appris quelque chose, la joie de jouer et la simplicité dans le jeu, des qualités que nous avons un peu tendance à négliger » , raconte-t-il à Football Magazine dès 1967.
Au-delà de l’homme, le joueur qui quitte la France en 1958 et celui qui revient en 1962, n’ont plus rien à voir. Influencé par ce qu’il a vécu pendant ses années FLN, le style de jeu du Stéphanois a évolué. « J’ai été deux types de joueur. Au début, j’étais un joueur opportuniste qui se jetait sur la moindre occasion pour marquer un but. Je ne pensais qu’à marquer. Par la suite, après l’épopée de l’équipe du FLN, je suis devenu un magicien. Un grand tacticien, un grand technicien tout en restant buteur aussi » , expliquait à sofoot.com en septembre dernier celui qui a entre-temps abandonné sa nationalité française pour devenir algérien.
La rapide reconquête du cœur des supporters
L’ancien espoir du foot français craint la réaction du public pour son match de reprise. L’ASSE en deuxième division, l’affluence habituelle est en berne. Mais pour le retour de l’ancien enfant chéri, les supporters sont nombreux à faire le déplacement. L’accueil glacial se réchauffe dès le premier toucher de balle de Rachid Mekhloufi. Le joueur comprend à ce moment là « que les gens n’étaient pas venus voir le fellagha ou le déserteur. Ils étaient venus voir le footballeur » , déclare-t-il quelques années plus tard.
Durant cinq saisons et demie, le buteur métamorphosé en meneur de jeu donne du plaisir aux fans stéphanois. Son jeu devenu technique et créatif régale. « C’est de la race de ces joueurs qui, lorsqu’ils sont sur un terrain, inventent quelque chose, ils créent » , confie un autre ancien Vert, Jean-Michel Larqué, dans le documentaire Les Rebelles du foot. Un créateur, voilà ce qu’est devenu Mekhloufi. Il n’a plus la même obsession du but, même s’il continue de marquer. Ses années de joueur engagé lui ont appris à être plus altruiste, à être plus meneur d’hommes. Il devient alors l’un des meilleurs joueurs du championnat de France, et pour certains du monde.
Un doublé coupe-championnat en cadeau d’adieu
Cinq saisons après son retour dans le Forez, le départ de Rachid Mekhloufi est précipité par l’arrivée d’Albert Batteux sur le banc stéphanois. Le courant ne passe pas entre les deux hommes, qui se sont déjà côtoyés lors des quatre sélections en équipe de France du joueur. Malgré ses nombreuses années de bons et loyaux services, le successeur de Jean Snella lui ôte le brassard de capitaine. Mais le meneur de jeu n’est pas homme à partir par la petite porte. En grand footballeur qu’il est, il offre le doublé coupe-championnat à son club de cœur, avant de filer vers Bastia.
En 337 matchs, celui qui n’a jamais reçu de carton de toute sa carrière a remporté quatre titres de champion de France, une Coupe de France et est devenu le meilleur buteur de l’histoire du club avec 152 buts. Seul Hervé Revelli le dépassera quelques années plus tard. « Créer de l’inattendu, c’est bien là le secret des grands footballeurs. Rachid est le roi de l’inattendu » , expliquait à son sujet Robert Herbin. Voilà qui est dit.
Par Maeva Alliche