- Mondial 2022
- Quarts
- France-Angleterre
Rabiot, le Phoenix éternel
Boudeur lors du Mondial 2018 pour avoir été membre des « réservistes », tricard par la suite au PSG avant de rallier la Juventus après un divorce délicat avec son club formateur en 2019, Adrien Rabiot, 27 ans, aura mis le temps pour revenir par la grande porte de l’équipe de France. Le milieu de terrain, libre en juin prochain, rappelle enfin au monde entier pourquoi Carlo Ancelotti avait décidé de le lancer dans le grand bain à 17 ans.
Le Paris Saint-Germain n’a pas toutes les qualités du monde, mais on peut au moins reconnaître au club de la capitale une certaine excellence dans la formation. Récemment, ils n’étaient pas loin de huit anciens Titis à figurer dans le groupe des Bleus : Mike Maignan, Presnel Kimpembe, Alphonse Areola, Moussa Diaby, Christopher Nkunku, Matteo Guendouzi, Kingsley Coman et Adrien Rabiot. Pour diverses raisons, blessures ou choix, ils ne sont que quatre au Qatar, et un seul est titulaire : Adrien Rabiot. Au regard de son talent intrinsèque, c’est tout sauf une surprise. Mais quand on se penche sur son parcours, la prise de pouvoir du gaucher de 27 ans a demandé du temps. Trop de temps. Beaucoup trop de temps. Surtout quand on a été lancé dans le grand bain du monde professionnel à 17 piges par un certain Carlo Ancelotti dans un club comme le Paris-SG où la concurrence, à l’époque, s’appelait Thiago Motta, Marco Verratti, Blaise Matuidi, Mathieu Bodmer, Javier Pastore ou encore Clément Chantôme.
Rabiot, élégant gaucher à la chevelure virevoltante, a toujours choisi des chemins compliqués. Son parcours en jeune en atteste : Créteil, Alfortville, Créteil, Manchester City, Pau, le Pôle espoir de Castelmaurou, avant d’atterrir au Paris-SG en 2010, à 15 ans. Le fruit d’une histoire familiale délicate avec un père atteint du locked-in syndrome, un état neurologique paralysant (il décédera en 2019 après douze années passées dans cet état), de choix sportifs exigeants et d’infortune. Les Rabiot, car sa mère et agent Véronique est primordiale dans sa vie, ont toujours pris le temps pour trouver le meilleur point de chute au talent du fiston. En gros, Adrien Rabiot se mérite. C’est donc à Paris que la carrière du grand bouclé va se lancer, là où il va s’épanouir et se lier d’amitié avec une génération dorée : Kimpembe, Coman, Maignan, Ongenda, etc. Mais le gamin du 94, capable d’enfiler plus de 200 matchs dans le PSG le plus concurrentiel de l’histoire, va pourtant prendre son temps avant de s’installer chez les Bleus malgré une première cape à 21 ans, en 2016. D’une part parce que la concurrence en équipe de France est très dense entre 2016 et 2020 : Pogba, Kanté, Tolisso, Lemar, Ndombele, Matuidi, Nzonzi, Sissoko, Payet, etc. D’autre part parce que Rabiot est victime de ses choix.
2018-2020, le trou noir
En refusant de s’embarquer dans le train des réservistes avant le Mondial 2018, Rabiot se met en marge des Bleus pendant deux ans. Et comme, durant le même temps, son histoire avec le PSG se termine en mélodrame en 2019 (placardisé pendant 6 mois pour avoir refusé de prolonger son contrat), le jeune milieu est vu comme un élément perturbateur pour n’importe quel effectif. Lui ne dit rien. Jamais. Et ce silence ne le sert pas beaucoup puisqu’on ne connaîtra jamais réellement sa version des faits. Pis, quand, après avoir enfin retrouvé les Bleus en septembre 2020, sa mère est pointée du doigt après l’élimination de l’équipe de France lors de l’Euro 2020 pour s’être empoignée avec d’autres familles de joueurs lors du fiasco suisse, c’est encore Rabiot qui écope. Et comme c’est Véronique Rabiot, qui elle aussi n’arrose pas la presse, l’affaire prend des proportions gigantesques. On se dit alors que son avenir en équipe de France est scellé. Il a laissé passer sa chance. Une fois de plus.
Un an plus tard, alors que la Juventus, club avec lequel il est en fin de contrat, a tout fait pour se délester de son salaire l’été dernier, Adrien Rabiot apparaît pourtant comme le milieu le plus équilibrant de cette équipe de France. Le Phoenix Rabiot est de retour. Cette fois, il semble être définitivement accroché au wagon bleu. Le gaucher est arrivé à maturité. Il est prêt pour le très haut niveau, il l’a toujours été, mais les obstacles étaient trop nombreux. Alors que tous les clubs du monde vont le courtiser dans les prochaines semaines pour le signer, sans indemnité de transfert, l’été prochain, le Duc a décidé d’aligner des performances de haut vol durant ce Mondial. Il équilibre les Bleus comme personne, il court, presse, bonifie, marque des buts importants, s’époumone, joue avec justesse, perfore, coulisse, bref, il est partout. Avec Kylian Mbappé, Dayot Upamecano et Antoine Griezmann, il est le grand bonhomme de ce début de Mondial réussi des Bleus.
Qui l’aurait cru au moment de la cascade de forfaits ?
Face à l’Angleterre, pays où il a côtoyé sommairement les jeunes de City durant un bref passage à 13 ans, le natif de Saint-Maurice peut enfoncer le clou et confirmer, ainsi, qu’il est le nouveau patron de l’entrejeu de l’équipe de France. Après tout, Paul Pogba et N’Golo Kanté, fragilisés par leur corps, ne sont pas là, et le duo Tchouaméni-Rabiot apporte quelque chose de nouveau dans cette équipe de France. Et puis quoi de mieux qu’une nouvelle masterclass en 16/9 pour donner le tournis à tous les clubs européens ? Au PSG, on imagine bien la direction se réunir autour d’une table et se dire : « Quand même, le milieu gaucher des Bleus, libre l’été prochain, c’est pas mal du tout comme profil, si seulement on formait des jeunes de cette qualité, on pourrait s’appuyer dessus… » Oh, wait.
Par Mathieu Faure