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Rabiot, la sentinelle déserte
Présent dans le groupe France depuis deux ans, titulaire indiscutable au PSG, Adrien Rabiot regardera, sauf blessure d'un des 23, le Mondial dans son canapé. Une demi-surprise, car le Parisien n’a jamais été au niveau avec les Bleus et, surtout, il paie sa volonté affichée et répétée de ne pas jouer en sentinelle au PSG. Et quand on doit passer plus d’un mois ensemble, les volontés personnelles des uns au détriment du collectif...
Le comble de l’ironie ? Rater le train des Bleus la saison où Adrien Rabiot s’installe dans le onze de départ du PSG à la suite du départ de Blaise Matuidi. Car du temps de jeu, Adrien Rabiot en a eu cette saison (49 matchs avec le PSG dont 19 au poste de sentinelle). Ce n’est donc pas sur ce critère que le « Versaillais » a été rétrogradé chez les suppléants en équipe de France. Non, le gaucher paie pour autre chose. Ses prestations sportives avec les Bleus, déjà, où il s’est manqué à chaque sortie cette saison : Allemagne, Russie et surtout en Bulgarie. À Sofia, dans un match qualificatif, il doit remplacer au pied levé N’Golo Kanté qui sort sur blessure. Dans son pur style, le gaucher met un temps fou pour entrer dans son match. Moralité, il se fait bouger à chaque contact. Et quand le micro se présente à lui, la vérité éclate : « C’était assez dur parce qu’il faisait froid, je n’étais pas chaud. C’est compliqué. J’avais aussi la peur de me blesser. Quand on entre dans des conditions comme ça… » Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. En club, alors qu’il est censé incarner le futur du club, sa position a longtemps été une source de débat interne, mais aussi en public. Son meilleur match au PSG ? Le huitième de finale aller contre le Barça. Oui, le fameux 4-0. Thiago Motta blessé, Adrien Rabiot a joué devant la défense. Ou derrière les milieux. Étincelant, bluffant, brillant. L’avenir à ce poste dans la capitale, pense Unai Emery.
Mais le garçon, un peu têtu, n’en fait qu’à sa tête et ne va cesser de le répéter dans la presse par la suite. Que ce soit dans L’Équipe magazine, en zone mixte ou à Téléfoot, Rabiot le dit sans détour, son poste, c’est numéro 8. Extraits : « J’ai déjà eu des questions sur ça et on m’a demandé où je préfère jouer, j’ai dit que c’était relayeur, mais quand je joue sentinelle, j’essaie de faire du mieux possible. » « Je suis à disposition du coach, tout le monde sait que je suis plus à l’aise en numéro huit. Le club a besoin d’un milieu de plus, un numéro six de métier. Il y travaille, c’est important de recruter un six. » « Relayeur ? Je m’y sens libre, je peux bouger un peu plus, être plus offensif, me retrouver plus souvent devant le but. Je suis moins à rester dans une zone, comme en sentinelle où je dois être très vigilant. » « Emery m’a conseillé de le prendre comme quelque chose qui allait me permettre d’engranger de l’expérience. Je suis donc son conseil. Et avec la venue de Lass(Diarra), je devrais moins dépanner à ce poste, ce qui est une bonne chose. »
Thiago Motta avait tout vu
Quand c’est à ce point martelé, ce n’est jamais anodin. Quelle image cela donne-t-il du joueur de 23 ans ? Pour le grand public, celle d’un capricieux qui fait passer son cas personnel avant celui du groupe. Mais aussi celle d’un jeune joueur qui ne souhaite pas écouter ou entendre les conseils de ses aînés. Récemment, Thiago Motta – pourtant pas le dernier né quand il s’agit de parler du poste de sentinelle – a donné son avis sur le cas Adrien Rabiot. « Il a un potentiel énorme et peut jouer partout, en sentinelle et même défenseur central. Il comprend bien le football. Il doit améliorer certaines choses pour le poste de sentinelle et aussi garder sa liberté d’arriver dans la surface, car il marque. Il doit parfaire son positionnement et se gérer quand il a le ballon en s’appuyant sur ses partenaires. Il faut lui expliquer comment le faire. Il n’aime pas évoluer devant la défense… J’ai réfléchi à la situation d’Adrien, et on en a beaucoup parlé. Je l’apprécie beaucoup, comme joueur et garçon. Il est intelligent. Après, ça dépend comment tu lui expliques les choses. Ce n’est pas quelqu’un à qui tu dis « fais ça ou ci »et basta. On ne peut pas le lui imposer. Il jouera, mais il ne sera qu’à 60 %. Pour être à 100 %, il doit être convaincu que c’est le mieux pour lui et l’équipe. » Le futur entraîneur des U19 du PSG voit juste. Chaque mot est millimétré : « Le mieux pour lui et l’équipe. » Tout est dit. Une vérité qui tient en si peu de mots.
Emery : « Rabiot préfère jouer 8, mais moi je préfère qu’il joue 6 »
Et si cela ne suffit pas, Unai Emery, qui a longtemps milité pour Adrien Rabiot en sentinelle, s’est aussi livré sur la position de son jeune joueur dans un entretien accordé à Tactical Room et traduit sur le site Culture PSG : « Parlons de Rabiot. C’est un 8, mais qui est plus à l’aise pour jouer 6 que 10. Même s’il reste davantage un 8 qu’un 6. Quand tu veux jouer avec un 6, un 8 et un 10 fixes, Rabiot se retrouve avec une difficulté : il a besoin de courir, courir, courir, et non de jouer de façon statique dans une position fixe, et encore moins quand il s’agit de se retrouver dos au jeu. Rabiot n’aime pas vraiment jouer n°6, il préfère jouer 8, mais moi je préfère qu’il joue 6. C’est pour cela qu’après l’élimination face au Real, je lui ai dit qu’il jouerait 6. Parce qu’à ce poste, il peut se retrouver face au jeu, avec un rayon d’action large, permuter avec Verratti. C’est dans ces conditions qu’il est le plus compétitif. »
Reste maintenant à mesurer l’impact qu’aura ce premier coup d’arrêt dans la carrière d’Adrien Rabiot. Sur le papier, le gaucher avait tout pour se procurer un sauf-conduit jusqu’en Russie. Mais le haut niveau demande plus. Plus d’implication. D’envie. De sacrifices. De références lors de rencontres internationales et donc avec le maillot des Bleus. C’est donc chez lui, seul, que le Parisien va devoir attendre pour, éventuellement, embarquer pour la Russie en cas de blessure dans l’entrejeu. Ce n’est sans doute pas la fin de saison qu’il avait imaginée. Déçu, il doit l’être. Surpris, non. Comme le dit si bien son coéquipier Thomas Meunier, à un moment, tout se voit. Tôt ou tard.
Par Mathieu Faure