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Rabbi Yacob
L’Angleterre a adopté Tévez, Mascherano, Zabaleta ou encore Agüero. Mais aussi un Argentin au nom moins clinquant depuis quatre saisons : un certain Claudio Yacob. Milieu de terrain défensif au style rudimentaire, le joueur de West Bromwich cache derrière ses tacles un homme introverti au sens artistique.
Le premier tango a débuté sur des pas pétaradants, il y a dix huit-ans, de celui qu’on surnommait « Bazooka » , alias Horacio Carbonari. Depuis, plus de cinquante-cinq compatriotes argentins se sont succédé outre-Manche. Il y a eu des déconvenues et des incompréhensions symbolisées par Verón, Crespo ou encore Di María. Des réussites, aussi, incarnées par Mascherano, Tévez et plus récemment Agüero. Il ne jouit pas d’une exposition similaire, mais par ses nombreuses chorégraphies exécutées dans l’ombre, Claudio Yacob peut prétendre à cette seconde catégorie.
Depuis qu’il a rejoint l’Angleterre et la Premier League en 2012, le milieu de vingt-neuf ans a fait son trou. Durablement et à pas feutrés. Au sein d’une terre où il s’épanouit à la fois en tant que joueur et homme. « C’est un pays très organisé, ce qui fait que j’aime l’Angleterre et les gens se respectent mutuellement, racontait-il, enjoué, il y a quatre ans. Ce qui est saisissant quand vous venez d’Amérique du Sud comme moi, c’est que les gens ici s’arrêtent quand quelqu’un traverse la route. Je trouve ça incroyable. Les gens sont très polis. » Courtois, avenant, Claudio l’est également en dehors des terrains.
De « La Flaca » à « Silent Assassin »
Avant les combats livrés outre-Manche, les premiers émois ont eu lieu au pays. En Argentine. Né à Carcarañá, dans la province de Sante Fe d’où sont notamment issus Gabriel Batistuta et Lionel Messi, Yacob s’est construit très tôt avec la passion du ballon rond d’un paternel qui voue un culte à Diego Maradona. « Le premier cadeau que j’ai reçu de mon père a été un ballon et il y avait énormément de passion pour le foot chez moi, confiait-il en 2012. Mon frère cadet, Diego, est aussi professionnel et joue en seconde division en Argentine (Club Atlético Juventud Unida, ndlr). » Les premières lignes de son parcours, Claudio les trace au sein de son club formateur du Racing Club de Avellaneda. Là-bas, où il finit par hériter du brassard de capitaine, son physique famélique et ses cheveux longs lui valent le sobriquet de « La Flaca » ( « la maigrichonne » en VF) : « Quand je suis arrivé au Racing de Buenos Aires, j’avais quatorze ans et j’étais plutôt fin, c’est pourquoi on m’a surnommé ainsi. »
Derrière la dégaine singulière, les qualités du milieu défensif ne passent pas inaperçues. Retenu pour disputer le Mondial U20 avec l’Albiceleste, il soulève le titre aux côtés du Kun, Banega et Di María. En 2011, à vingt-trois ans, c’est avec les A qu’il honore deux sélections, les seules jusqu’ici. Un an plus tard, l’heure de grandir est venue, et Claudio choisit de s’envoler pour West Bromwich, un club qu’il a reconnu au départ ne pas savoir situer sur la carte de l’Angleterre. Sous la tunique des Baggies, l’Argentin a nourri davantage son profil de joueur dur sur l’homme. Milieu hargneux qui ne rechigne pas aller aux duels, il a au fur et à mesure développé une réputation d’adversaire difficile à manœuvrer. Entre coups de pute et taquets assénés. Toujours au bord de la limite acceptée, mais sans jamais la franchir (33 cartons jaunes, 1 rouge en 126 matchs de Premier League). Ce qui lui a d’ailleurs valu de la part de son compère Ben Foster le surnom de « Silent Assassin » .
La fourmi travailleuse
Agir sous silence, Yacob en a fait sa marque de fabrique. Et l’assume sans sourciller : « Je pense que je fais juste mon job. Je prends l’entraînement très au sérieux, comme si j’étais en match. Je crois que c’est mon secret. » Un état d’esprit qui a immédiatement séduit Tony Pulis à son arrivée à West Brom, l’an dernier. Le coach gallois, réputé pour son style de jeu très défensif et basé sur l’impact physique, l’a érigé en un point d’équilibre nécessaire aux côtés de Darren Fletcher pour sa capacité à annihiler les actions adverses. Si les Baggies effectuent un début de saison plus que satisfaisant (7es de Premier League), ils le doivent en grande partie à leur paire argentino-écossaise.
« Claudio, on dirait un joueur des années 90. C’est celui qui fait le sale boulot et qui le fait très bien, explique le latéral belge Sébastien Pocognoli, actuellement prêté par West Brom à Brighton et resté très proche de lui après leur dernier exercice commun. C’est une fourmi travailleuse qui a le rôle d’essuie-glace devant la défense. Avec lui, tu sais que tu vas au moins avoir une embrouille par match. Il est dans l’intimidation, met des coups. Et contre Chelsea, avec Diego Costa, la tension monte encore plus. (rires) »
Peinture, les Beatles et Jim Carrey
L’allure abrupte du milieu sud-américain, qui a prolongé récemment jusqu’en 2018, ne laisse toutefois pas transparaître une part de personnalité insoupçonnée. « Il n’est pas bling-bling, n’a pas de compte sur les réseaux sociaux, poursuit Pocognoli. Une fois, avec Cristian Gamboa, on lui avait demandé pourquoi il ne se mettait pas plus en avant. Il nous a répondu : « Je m’en fous de tout ça. Je gagne ma vie, j’ai une famille. Pourquoi devrais-je faire ça ? » » Quand il ne passe pas son temps à apprécier le génie audiovisuel de l’acteur canadien Jim Carrey – un homme qui l’inviterait d’ailleurs bien à une « dinner party » –, il délaisse les crampons et les tacles pour donner des coups de pinceau. « J’ai commencé à faire de la peinture, car j’étais stressé quand je vivais à Buenos Aires, s’épanchait-il en 2012. Un jour, je suis passé devant une boutique et il y avait un couple en train de peindre. Aussi, Roberto Ayala, l’ex-défenseur de Valence avec qui j’ai joué au Racing, avait l’habitude de peindre dans la chambre qu’on partageait. Il a aiguisé un peu plus mon intérêt. J’ai pris quelques leçons et cela me permet d’oublier le foot, de m’évader. »
L’apprenti peintre est en outre un mélomane averti aux goûts finalement peu répandus dans son milieu : « En tant que footballeur, vous avez besoin de différentes choses, car vous êtes sous grande pression, donc j’ai commencé à jouer de la guitare au Racing. J’aime jouer de la musique folk. Je ne suis pas un maître en la matière, mais j’aime ça. » Tout comme les Beatles. En fan inconditionnel, Yacob a visité le célèbre Cavern Club, à Liverpool, où le groupe iconique s’est produit à maintes reprises et espère entreprendre prochainement d’autres voyages initiatiques. Toujours sur un air de tango, bien évidemment.
Par Romain Duchâteau
Propos de Sébastien Pocognoli recueillis par RD, ceux de Claudio Yacob extraits du Guardian