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Rabah Madjer : « Un gros travail psychologique nous attend »
Sélectionneur de l’Algérie pour la troisième fois de sa carrière, Rabah Madjer s’apprête à diriger son premier rassemblement. Déjà éliminés de la course au mondial russe, les Fennecs vont affronter pour du beurre le Nigeria, puis en amical la République centrafricaine. Deux matchs sans enjeux immédiats, mais importants pour la confiance. L’occasion pour le nouveau sélectionneur de revenir sur sa récente nomination et sur les maux du passé.
Bonjour Rabah, vous voilà à nouveau sélectionneur de l’Algérie. Comment s’est faite votre nomination ? Elle s’est faite le plus naturellement du monde. Le président m’a contacté, je suis allé le voir et il m’a fait part de son souhait de me voir prendre la tête de la sélection nationale. Par respect pour mon pays et pour la sélection, j’ai dit : « Si je peux faire quelque chose, je suis votre homme. »
Qu’est-ce qui vous a convaincu d’enfiler à nouveau le costume de sélectionneur ?C’est quelque chose que je ne pouvais pas refuser à mon pays. Si on a pensé à moi pour prendre en charge l’équipe nationale, ça veut dire que je peux lui apporter quelque chose. Surtout que notre équipe traverse une période très difficile : la non-qualification pour le Mondial en Russie, les défaites qui se sont succédé, les joueurs qui n’ont plus le moral, l’instabilité au poste de sélectionneur… C’est surtout un gros travail sur le plan psychologique qui nous attend pour que nos joueurs reviennent à leur meilleur niveau.
Avez-vous hésité à accepter le poste ? Absolument pas ! C’est la troisième fois que je reviens en équipe nationale. En tant que bon citoyen, je n’avais pas le droit de refuser. Maintenant, on va se mettre au boulot pour faire un gros match contre le Nigeria. Même si ça n’est pas un objectif pour nous, il peut nous permettre de repartir sur de bonnes bases.
Vous vous êtes déjà assis sur le banc des Fennecs en 1994 et entre 1999 et 2001 sans grande réussite. Qu’est-ce qui a changé depuis ?Je suis quelqu’un qui ne parle pas beaucoup, mais qui enregistre tout. Quand j’ai été nommé la première fois à 33 ans et demi, j’étais le plus jeune sélectionneur et j’ai surtout travaillé avec mon expérience de joueur et non d’entraîneur. Malgré ça, j’ai connu quelques difficultés et quelques malentendus avec les gars de la Fédération et j’ai quitté l’équipe nationale à un point de la qualification à la CAN 1996. Quand je suis revenu dans les années 2000, encore une fois, on a tout fait pour me poser des problèmes. Vous trouvez que c’est normal ? On avait construit une grande équipe et j’ai été remercié par des gens malintentionnés qui m’attendaient au tournant. Depuis, j’ai entraîné dans des pays du Golfe et j’ai été consultant pour de grandes chaînes télé. J’ai d’ailleurs beaucoup appris de mon expérience de consultant.
En quoi cette expérience vous a-t-elle aidé ?
Bien sûr, même si d’abord, il faut avoir un vécu de footballeur, être consultant, c’est un plus, vous apprenez beaucoup en voyant les erreurs des entraîneurs, en observant les systèmes de jeu. Je vais travailler avec mon vécu de joueur, d’entraîneur et de consultant, ça sera bénéfique pour moi et pour l’équipe.
Justement, lors de votre première conférence de presse, vous avez déclaré : « Mon vrai diplôme, c’est mon vécu de joueur. » Il y a pourtant des exemples de très grands joueurs qui n’ont pas réussi en tant que coach : Maradona, Platini, pour ne citer qu’eux…
Qui parle de diplôme ? C’est un groupuscule qui sert les intérêts des autres parce qu’ils n’ont rien trouvé à dire sur l’entraîneur Rabah Madjer.
Ils essayent de chercher ailleurs la faille pour faire plaisir à des personnes qui travaillent dans l’ombre, pour essayer de détruire cette équipe nationale et moi avec. Tout ce que je peux dire, c’est que je suis diplômé du ministère de la Jeunesse et des Sports comme entraîneur et éducateur, je suis diplômé de la Fédération algérienne de football et je suis diplômé de la Fédération française de football. J’ai passé mon stage à Clairefontaine et mon diplôme a été signé par Aimé Jacquet.
En quoi pensez-vous que votre aura, votre carrière de joueur peuvent vous aider dans vos rapports aux joueurs ? Avoir des diplômes, c’est une carte de visite, mais je ne vais pas sur le terrain avec ces bouts de papier. Je vais travailler avec mon vécu, avec mon expérience d’avoir été entraîné par de grands hommes auprès desquels j’ai beaucoup appris. Il ne faut pas oublier aussi que j’ai déjà entraîné d’autres équipes.
Justement comprenez-vous ceux qui déplorent que vous n’ayez pas entraîné depuis presque douze ans ? C’est n’importe quoi ! Le talent ne s’oublie jamais. Ces gens-là ne représentent que quatre ou cinq personnes qui se trouvent malignes. Moi, je dis à ces journalistes que s’ils arrêtent leur carrière pendant dix ans et qu’ils veulent revenir, qu’est-ce qu’on va leur dire ? On va leur dire « ah non vous avez arrêté dix ans » ? Mais non, c’est leur métier, ils savent très bien ce qu’ils ont à faire. Eh bien pour moi, c’est pareil.
Vous êtes entouré de Djamel Menad et Meziane Ighil, qui ont tout deux entraîné en Algérie. Comment comptez-vous travailler avec eux ? Ce sont des amis, des professionnels, il y a un grand respect entre nous. La dernière décision me reviendra, mais je suis quelqu’un qui consulte, qui demande conseil, je ne suis pas un individualiste. Avec Djamel et Meziane, on parle beaucoup, des joueurs qu’on peut sélectionner, de la préparation à mettre en place… On fait un travail d’équipe.
En juin dernier, vous nous confiiez : « Je pense que l’Algérie est une usine de footballeurs, il en sort quotidiennement et c’est là notre plus grande chance. » Maintenant que vous êtes à la tête de la sélection, comptez-vous vous appuyer sur cette usine de footballeurs ?
Attention, il ne faut pas tomber dans le piège. Ce n’est pas parce que j’ai dit que l’Algérie est une usine de footballeurs qu’il n’y aura que des joueurs évoluant dans le championnat algérien en équipe nationale. Nos joueurs locaux ont été marginalisés pendant des années et des années, ils n’avaient aucune ambition de pouvoir un jour évoluer en sélection. Aujourd’hui, la sélection sera composée de joueurs évoluant en Algérie, mais aussi dans d’autres championnats. Les meilleurs joueurs doivent faire partie de l’équipe nationale. Mais il ne faut pas vouloir tout changer d’un coup au risque de prendre une gifle. C’est pour ça que je suis très prudent, je vais doucement, mais sûrement. Je compte prendre des joueurs des deux côtés, mais en cherchant les profils les plus adéquats pour l’Afrique, c’est très important.
Ces dernières années, en tant que consultant télé, vous n’avez pas été tendre avec certains joueurs, notamment ceux qui évoluent en Europe. Ne craignez-vous pas que vos relations soient un peu tendues avec ces derniers ?
Encore une fois, il ne faut pas écouter ceux qui essayent par tous les moyens de déformer mes propos envers les joueurs qui évoluent à l’étranger. Si j’avais un problème avec ces joueurs, pourquoi je me serais déplacé à Porto pour remettre le Ballon d’or algérien à Yacine Brahimi ? Pourquoi je me serais déplacé à Leicester pour rencontrer Ryad Mahrez et Islam Slimani ? Les gens qui disent cela sont dangereux, ils essayent par tous les moyens de déformer mes propos. Je n’ai jamais eu de problème avec ces joueurs-là, je les respecte. Après, quand vous êtes consultant et que vous faites une analyse de match, c’est normal de critiquer un ou deux joueurs. Il ne s’agit alors pas d’attaques, mais d’analyses constructives.
Vous parlez d’un groupuscule qui en a après vous. Mais de qui s’agit-il et pourquoi en ont-ils après vous ?Tout le monde sait, tout le monde connaît ces gens qui m’attaquent. Ils servent l’intérêt de certaines personnes, mais je n’ai pas envie de rentrer dans les détails. Moi, ce qui m’intéresse, c’est que je sais ce que je suis en train de faire, je sais que les gens qui travaillent avec nous sont très professionnels, je sais que les joueurs viennent de bonne foi par amour de la sélection nationale. Je ne donne pas d’importance à ce qui se dit dans la presse et à ceux qui nous attaquent.
Vous nous expliquiez en juin dernier avoir précédemment échoué par manque de confiance des dirigeants à votre égard. Maintenant que vous avez celle de Kheïreddine Zetchi, le président de la Fédération algérienne, êtes-vous confiant ? On a parlé sincèrement avec le bureau fédéral et le président Zetchi, et ils m’ont donné carte blanche. Nous travaillons la main dans la main dans un intérêt commun, c’est-à-dire la réussite de l’équipe nationale.
Vous vous apprêtez à diriger votre premier rassemblement. Que comptez-vous dire aux joueurs pour leur faire oublier la non-qualification en Coupe du monde et pour les faire passer à autre chose? C’est à eux de me dire, c’est eux qui ont vécu une période difficile, c’est eux qui ont joué les matchs. C’est à eux de me dire ce qu’il s’est passé, pourquoi l’équipe nationale n’a plus d’âme, pourquoi l’équipe nationale est dans le coma. Et je vais bien sûr les écouter, car ce n’est pas normal qu’une équipe nationale qui était en huitième de finale de la dernière Coupe du monde n’arrive pas à se qualifier pour la Russie. Je suis un entraîneur qui parle beaucoup avec ses joueurs, on va beaucoup discuter pour essayer de trouver des solutions ensemble pour leur redonner le moral, pour qu’ils retrouvent confiance, et pour qu’Inch’Allah l’équipe nationale prenne un nouveau départ.
De quoi avez-vous besoin pour redonner « le prestige du passé à cette sélection » comme vous le souhaitiez en juin dernier ?
Je n’ai besoin que de stabilité, de sérénité et de silence.
Propos recueillis par Maeva Alliche