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Quino, l’illustrateur allergique au ballon
Jeudi, Joaquín Salvador Lavado Tejón, dit Quino, est mort à l'âge de 88 ans. Avec le personnage de Mafalda, petite fille idéaliste et philosophe, le bédéaste satirique argentin n’a jamais hésité à moquer le football, exutoire d’un monde répressif.
Alors que l’Argentine fêtait la veille les cinquante-cinq ans de la naissance de Mafalda dans les pages du quotidien Primera Plana, son géniteur a passé l’arme à gauche, laissant derrière lui plus de cinq décennies d’illustrations de génie. Quino était un mythe, et sans aucun doute le dessinateur de langue espagnole le plus populaire de la planète. Pour ça, ce fils d’immigrés andalous a dû quitter son pays d’origine au moment du coup d’État militaire de 1976, la faute à ses dessins satiriques que ne goûtait que très peu la dictature argentine. Trois ans après avoir mis de côté Mafalda et s’être principalement consacré au dessin humoristique, il rejoint alors une autre terre de football : l’Italie.
Mais le ballon rond, Quino s’en cognait au point de le comparer au golf, son sport de prédilection. « Si quelqu’un provoque un penalty, pourquoi toute l’équipe doit-elle payer, surtout le gardien de but qui n’a rien à voir avec cela ? Au golf, on ne peut blâmer personne. Peut-être un peu le vent, comment ils ont coupé cette putain d’herbe. Mais si la balle n’arrive pas jusqu’au trou, c’est de votre faute », confiait-il en 2000 à l’AFP. Pourtant, en 2013, sur le plateau de la chaîne de télévision Todo Noticias, il révélait qu’il adorait écouter José María Muñoz, célèbre commentateur argentin de football, et que son équipe préférée était le Club Atlético Independiente. Mais dans sa vie, l’illustrateur n’est allé au stade que deux fois tout au plus, et il ne s’intéressait en réalité que très peu au football. Ce qu’il confia également à TN : « Ce n’est pas quelque chose qui m’attire en tant que sport, mais cela m’intéresse beaucoup en tant que phénomène social. »
« L’énergie qui s’échappe des stades pourrait être inversée pour améliorer la réalité »
C’est bel et bien en tant que phénomène social de masse que Quino a traité le football dans ses illustrations et histoires humoristiques. Il aimait notamment se moquer de la place prépondérante pris par ce sport dans le quotidien des Argentins, la starification des joueurs ou encore la violence dans et autour des stades. « Je ne pense pas que ce soit une bonne chose que le football serve d’exutoire à un monde plein de répression, car l’énergie qui s’échappe des stades pourrait être inversée pour améliorer la réalité », expliquait-il en 2012 dans une interview accordée à Diário Uno, quotidien argentin basé à Mendoza, ville d’où est originaire Quino. Ce dernier adorait tourner en dérision le sport roi, remettant perpétuellement en question la passion excessive qui en découle. L’exemple parfait est cette planche de douze vignettes mettant en scène un supporter de football qui arrive chez lui, découvre sa compagne avec un autre homme, mais continue à réclamer le penalty non sifflé pour son équipe.
Le personnage de Mafalda, qui aimait les Beatles, ne supportait pas la soupe et croyait qu’il était possible d’atteindre la Lune avec un soda à réaction, a également tancé le ballon rond à plusieurs reprises. Que ce soit via son père, qui écoutait avec passion les matchs de l’Albiceleste à la radio, ce dont elle se moque à chaque fois allégrement. Ou bien ses camarades, comme c’est le cas dans une planche horizontale où sa meilleure amie, Susanita, regarde et commente à tue-tête un match mettant aux prises Miguelito et Manolito, avant de se fâcher avec eux et d’interpeller Mafalda de manière faussement candide. Autant de situations burlesques qui confortent le football dans ses clichés grivois, pathétiques et sinistres. Une manière propre à Quino de critiquer sournoisement et habilement le monde qui l’entourait, à commencer par le football. Un spectacle qu’il a aimé écouter et regarder comme tous les Argentins, mais qu’il a également critiqué comme tout bon satiriste qui se respecte.
Par Maxime Renaudet