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Quini, 25 jours en enfer
Aujourd’hui confrontés, Sporting de Gijón et FC Barcelone entretiennent depuis des années une relation privilégiée. Plus encore que David Villa ou Luis Enrique, Quini est bien le transfuge le plus connu entre les deux clubs. Et pour cause, il a été kidnappé durant 25 jours.
« Je suis un Sportinguista depuis le berceau et je le serai jusqu’à ma mort. » Et actuellement, je suis l’entraîneur du FC Barcelone. À quelques heures de retrouver son Sporting de Gijón de cœur et de formation, Luis Enrique rappelle que les liens entre le fanion du Molinon et celui du Camp Nou sont étroits. De David Villa jusqu’à Abelardo, actuel entraîneur des Rojiblancos des Asturies, en passant par Julio Salinas, nombreux ont été les grands joueurs à avoir défendu ces deux liquettes. Le plus fameux reste, encore aujourd’hui, Enrique Castro Gonzalez, plus communément appelé Quini. Insatiable buteur récompensé par cinq trophées de Pichichi, international espagnol confirmé aux 35 capes, il a écrit sa carrière entre Sporting (de 1968 à 1980, puis de 1984 à 1987) et Barça (de 1980 à 1984). Son palmarès, lui, se résume à deux Copa del Rey, une défunte Copa de la Liga et une Coupe des coupes. Mais son plus grand fait d’armes reste d’avoir connu un enlèvement de 25 jours. Un épisode qui a profondément marqué le football espagnol, et en particulier le FC Barcelone. Quant à l’intéressé, il n’a jamais voulu porter plainte contre ses agresseurs. Le syndrome de Saragosse ?
Doublé, pistolet et 350 millions de pesetas
La légende veut que le jeune Quini, somnambule, revenait en pleine nuit à l’école. Plus tard, après un passage de quatre ans au FC Barcelone, idem : il retourne à sa casa de Gijón. Pourtant, le premier mars 1981, après une écrasante victoire face à l’Hercules d’Alicante (6-0) et un doublé dans la poche, il ne revient pas chez lui. Sa femme, apeurée, appelle dans la soirée la direction blaugrana qui s’empresse de contacter les forces de l’ordre. La discrétion est de mise jusqu’au lundi soir, lorsque la police communique publiquement que la voiture de Quini a été retrouvée dans une station service. Son propriétaire, lui, manque à l’appel. Plus d’une journée durant, personne ne sait donc où se trouve celui qui est alors le Pichichi de la Liga. Personne, sauf trois hommes. Trois délinquants qui enferment dans le coffre leur voiture, le temps d’un déplacement à Saragosse, un Quini claustrophobe. Le lundi soir, enfin, une demande de rançon est envoyée au grand quotidien catalan La Vanguardia. Dans la foulée, la Guardia Civil organise une mini-conférence de presse en présence du président du FCB et de la femme du malheureux kidnappé.
« Il serait malvenu de faire des révélations qui pourraient empêcher à la justice d’agir » , déclare fébrilement un porte-parole de la police qui ne dispose que d’un indice : un groupe appelé PRE demande une rançon de 350 millions de pesetas. Les jours se suivent, et les bonnes nouvelles restent en grève. Les joueurs barcelonais ne s’entraînent quasiment plus, la femme de Quini enchaîne les montées de stress, et ses parents, restés en Asturies, publient une lettre ouverte dans les colonnes de tous les grands quotidiens nationaux. Pour sa part, Nicolau Casaus, vice-président du FCB, explique être « prêt à donner (s)a vie pour sa liberté » . La psychose est totale à Barcelone, et tout particulièrement dans le vestiaire azulgrana. Alors au coude-à-coude avec un Atlético de Madrid où ils se déplacent dès le 8 mars – la Fédération refusant de bouleverser son calendrier -, les Barcelonais enchaînent les désillusions. Quand certains envoient leurs ombres sur les prés, d’autres décident de ne plus jouer, à l’instar de Bernd Schuster : « Je ne jouerai pas, car en plus d’avoir des pieds, j’ai un cœur qui ne souhaite que le retour de Quini. » La quête de la Liga devient alors utopique.
Quini : « Je lui ai dit qu’il pouvait m’appeler quand il voulait »
Mobilisée en force, la police espagnole ne trouve aucun motif d’espoir pour libérer Quini. Ce jusqu’au 25 mars, lorsque, quelques jours plus tôt, les ravisseurs baissent finalement leur demande de rançon à 100 millions de pesetas. Pour ce, le FC Barcelone devra déposer cette somme sur un compte d’une banque suisse. Les forces de l’ordre des deux pays unissent alors leurs efforts et font tomber le secret bancaire. Ainsi, lorsque ledit Victor Manuel Diaz Esteban, électricien de 26 ans, se rend à Genève le 25 mars pour retirer en liquide un million de pesetas, il est illico arrêté. L’interrogatoire, musclé, se termine par un aveu : Quini se trouve, ce depuis 24 jours, dans un cagibi d’un garage de Saragosse situé rue Jerônimo Vicens. Mari Nieves, sa femme, peut respirer, son époux est, bien qu’amaigri et barbu, libre. Par la suite, le Barça perdra cette Liga et se portera partie civile lors du procès des trois malfrats. Tout le contraire d’un Quini qui n’a jamais porté plainte. En 2013, il va même jusqu’à forcer le destin et rencontrer l’un de ses agresseurs : « Il n’arrêtait pas de s’excuser. Moi, je lui ai donné mon numéro et je lui ai dit qu’il pouvait m’appeler quand il voulait. »
Par Robin Delorme