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Qui veut la peau des renards ?
Il y a le tableau d'ensemble et ce qu'il se passe derrière. Cette semaine, le Guardian révélait que la Football League venait d'ouvrir une enquête autour d'un montage financier obscur caché dans les comptes de la saison 2013-14 de Leicester. Hier, c'était une sombre histoire de dopage. Comme si le succès des hommes de Ranieri dérangeait. Alors, vraiment ?
Leicester est une secousse. Elle est terrible, destructrice et illogique. Rien ne devait se passer comme ça. Mais le football vit pour ce genre d’histoires, ces moments classés hors du temps. Dimanche dernier, sur les coups de 16 heures, en sortant de la pelouse du Stadium of Light de Sunderland, il y avait un peu plus que des larmes derrière les lunettes de Claudio Ranieri. Concernant l’entraîneur italien, on peut parler d’une revanche contre le temps. À 64 ans, ses traits n’ont jamais semblé aussi creusés. Pourtant c’est un vent de fraîcheur. Il y a trente ans, Ranieri débutait sa carrière de professeur au niveau inter-régional avec l’équipe de Vigor Lamezia à Lamezia Terme, en Calabre. L’homme a traversé un pan de l’histoire du football, a dirigé des équipes dans quatre championnats majeurs (Serie A, Premier League, Ligue 1 et Liga) et a même mené la barque d’une sélection nationale, la Grèce, pendant quatre petits matchs. C’était sa dernière expérience avant d’atterrir, finalement, à Leicester l’été dernier.
La bousculade de l’establishment
Le propriétaire thaïlandais des Foxes, Vichai Srivaddhanaprabha, avait alors été clair avec lui : « Claudio, c’est vraiment une année très importante pour le club. C’est très important pour nous de rester en Premier League. On doit se sauver. » La barre avait été placée à quarante points. Aujourd’hui, à cinq journées de la fin du championnat, Leicester affiche 72 points au compteur et tabasse la logique en dominant la Premier League alors qu’un auparavant, le club se battait pour ne pas sombrer en Championship. Dans une lettre ouverte publiée sur The Players’ Tribune, Ranieri a donc dû s’expliquer. « Je pense que notre histoire est importante pour tous les supporters de football à travers le monde. Cela donne de l’espoir pour tous les jeunes joueurs qui ont déjà entendu qu’ils n’étaient pas assez bon. Ils peuvent se dire : « Comment puis-je arriver au top niveau ? Si Vardy peut le faire, si Kanté peut le faire, peut-être que je peux le faire aussi. » De quoi avez-vous besoin pour y arriver ? Un gros nom ? Non. Un gros contrat ? Non. Il suffit simplement d’ouvrir son esprit, d’ouvrir son cœur, d’avoir les batteries rechargées et de courir libéré. »
La suite est un problème culturel. Partout, ce qu’il est en train de se passer à Leicester est perçu comme un rêve éveillé. En Angleterre aussi, par endroits. Sauf que la belle histoire dérange aussi, beaucoup. « Oui, c’est une situation qui vient perturber l’establishment. En France, quand Montpellier a terminé champion devant le PSG, dans notre esprit cocardier qui aime l’histoire de David contre Goliath, quasiment tout le monde était ravi. La mentalité britannique est différente » , pose Vincent Chaudel, consultant chez Kurt Salmon. Car cette saison, Leicester a réalisé un peu plus qu’un exploit. Hier, on aimait parler d’un Big Four qui se partageait chaque saison la couronne. C’est désormais terminé. Il n’y a qu’à regarder le tableau pour s’en rendre compte : désormais, West Ham, Liverpool, Tottenham, Arsenal, Manchester United, Manchester City, Arsenal et Chelsea, voire Leicester, peuvent décrocher la timbale. Le tout dans une période où les droits TV explosent dans le Royaume. Vincent Chaudel : « Les clés de répartition du football anglais sont assez égalitaires. Le dernier touche environ 130 millions alors que le premier récupère 230 millions concernant les droits télés. Le niveau augmente avec l’argent, c’est normal. Et quand on rajoute l’aventure humaine, la gestion, on peut avoir un scénario à la Leicester. »
Gros montage et fausse seringue
Culturellement, l’Angleterre aime son nombril et préfère son championnat à la Coupe d’Europe. C’est comme ça. Reste que depuis quelques semaines, derrière le rêve actuellement traversé par les hommes de Claudio Ranieri, des affaires naissent dans la presse britannique dont la dernière en date, révélée par le Guardian cette semaine, a poussé les responsables de clubs anglais à demander des réponses. En cause : une enquête ouverte par la Football League autour des résultats financiers du club lors de la saison 2013-14 et la suspicion d’un montage financier créé par Vichai Srivaddhanaprabha pour surfacturer les revenus liés aux sponsorings et à la vente de maillots. Pour expliquer le problème clairement, le propriétaire thaïlandais de Leicester détient la société King Power qui gérait, depuis son arrivée à la tête du club 2010, les intérêts commerciaux de l’institution. En janvier 2014, ces droits ont été réattribués à la société Trestellar Ltd. Le hic est là car aussitôt cette société a revendu ces mêmes droits à King Power pour le triple de la somme initiale. Un montage qui aurait permis au club de réduire son déficit annuel de 11 millions de livres, soit 13,7 millions d’euros. « C’est pour faire des jeux d’écriture. Cela peut expliquer différentes choses et différentes pratiques. Parfois, ce n’est que pour faire un ajustement au niveau d’un groupe, d’autres fois, cela peut aussi cacher des pratiques plus illicites, ce que l’enquête doit maintenant expliquer » , détaille Vincent Chaudel.
L’affaire est financière, sombre, mais ne peut en rien gâcher ce qu’il est en train d’arriver aux hommes de Ranieri. Depuis plusieurs semaines, plusieurs enquêtes tournent pourtant autour du club anglais. Car avant cette histoire de montage financier, Leicester avait dû démentir par communiqué les informations révélées par le Sunday Times, autour des pratiques du docteur Bonar. Un dossier qui a depuis été passé sous silence – merci Panama Papers – mais qui pourrait bien rebondir avec violence dans les prochaines semaines. D’ici là, Leicester sera probablement champion et Ranieri aura séché ses larmes. Ce qui était hier « un rêve » s’est transformé en objectif. Rien, ni personne, ne pourra y faire quelque chose. C’est la logique irrationnelle du sport même si la claque est cette saison à la fois violente et agréable. Personne ne peut attraper la queue des renards. Pour le moment ?
Par Maxime Brigand