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Qui veut la peau de ce diable de Damso ?
Star en Belgique francophone, Damso est moins connu du grand public flamand. Pourtant, le rappeur bruxellois, trois fois disque de platine, a été désigné par l’Union belge de football (URBSFA) pour interpréter l’hymne des Diables rouges lors du Mondial russe. Mais une polémique liée à certaines de ses paroles est venue chambouler ce scénario de communication, pourtant très bien rodé.
Les temps changent, les modes aussi. En 1986, au Mexique, la Belgique réalise la meilleure campagne de son histoire en Coupe du monde. Dans les bars de tout le Plat Pays, les radios crachent un tube devenu culte sur 45 tours : E viva Mexico. Un air de kermesse qui mêle bonne humeur et chauvinisme à papa, le tout sur un texte facile à retenir. Trente et un ans plus tard, en novembre 2017, son interprète, Grand Jojo, peste contre celui qui lui succédera en Russie, le rappeur Damso. L’auteur de Bruxelles Vie et de Macarena opère dans un style radicalement différent, mais excessivement populaire auprès de la jeunesse du monde entier.
« Le rap n’a rien à voir avec le football. Je comprends très bien qu’il y ait une grosse clientèle pour ce genre de musique,[…]mais ça n’a rien à voir, ça n’est pas du tout festif ! » râlait Grand Jojo, aujourd’hui âgé de 81 ans, à l’annonce de l’Union belge. En cette journée internationale des droits des femmes, il s’est trouvé plusieurs soutiens de poids : des politiques du Nord comme du Sud du pays, qui reprochent à Damso des textes jugés sexistes et misogynes.
Adoubé par les Diables et leur jeune public
Nul n’est prophète en son pays dit le proverbe. Et pour comprendre l’importance du phénomène Damso, il suffit de regarder les chiffres de vente des rappeurs belges dans leur terre natale. « C’est le premier rappeur à avoir été certifié disque d’or depuis le groupe Starflam en 2001 » , explique Martin Vachiéry, auteur de Yo ? Non peut-être !, un documentaire de référence sur le rap bruxellois. Pour sa première tournée, le natif de Kinshasa, arrivé en Belgique à l’âge de neuf ans, sa seule date bruxelloise est hébergée par la prestigieuse salle de Forest National. « Normalement, c’est une consécration que les artistes belges connaissent au bout de dix ans de carrière, poursuit Martin Vachiéry. Lui, il y a eu droit pour sa première fois. » Dès lors, le choix de la Fédération nationale de football de le nommer interprète de l’hymne officiel des Diables en Russie paraît tout trouvé.
Car Damso n’est pas qu’un champion des ventes de disques. Son personnage est caractéristique de l’évolution de la Belgique au fil des décennies : plus mélangée, plus jeune, plus urbaine. Une évolution qui se retrouve au sein du groupe des Diables rouges, loin de l’époque où l’équipe nationale représentait surtout des gars de petits villages de province. Radja Nainggolan, Romelu Lukaku ou Marouane Fellaini n’en sont que quelques exemples. « Damso est un artiste très apprécié au sein de la sélection, commente Martin Vachiéry,et pas seulement auprès des joueurs francophones. » Lors de l’officialisation du partenariat entre le rappeur et l’Union belge, ce sont Eden Hazard et Michy Batshuayi qui lui remettent un maillot floqué de son nom. Un honneur pour Damso, qui devient alors le porte-étendard de l’un des derniers ciments de son pays d’adoption : le football.
Entre mépris de classe et conflit générationnel
Mais tout bascule ce mardi, lorsque le Conseil des femmes francophones de Belgique s’indigne publiquement de ses antécédents musicaux. Sont visées, entre autres, plusieurs punchlines de ses titres Pinocchio ou Vitrine, lors desquelles il a collaboré avec Booba et Vald. Dans une lettre ouverte envoyée aux différents sponsors de l’équipe nationale, l’organisme dénonce des textes « remplis de dégoût, de mépris et de violence verbale envers les femmes » . La présidente du Conseil, la députée libérale bruxelloise Viviane Teitelbaum, s’était déjà offusquée du choix de Damso en novembre dernier. Depuis, elle a été rejointe par la secrétaire d’État à l’Égalité des chances Zuhal Demir (N-VA, extrême droite) qui, dans une émission télévisée flamande, déclarait ne pouvoir « imaginer que l’Union belge veuille associer la marque Diables rouges à cela » . Le Vice-Premier ministre Alexander De Croo (Open VLD, libéral) lui a emboîté le pas sur Twitter : « On peut chanter ce que l’on veut, mais pas marquer des buts de cette façon. »
Son costard est désormais taillé des deux côtés de la frontière linguistique, bien que Damso demeure encore un illustre inconnu auprès du grand public flamand. « Il faut rappeler que l’on est en année électorale, précise Martin Vachiéry, pour qui ce genre de polémique sert à trouver des voix auprès de ce que j’appellerais « l’ancien monde », le monde de la génération qui consomme les médias traditionnels comme la radio et la télévision, qui sont délaissés tant par le jeune public que par les nouveaux artistes comme Damso. » Le phénomène n’est pas propre à la Belgique, mais il illustre bien l’incompréhension entre les générations qui ne se reconnaissent plus à travers la musique qu’elles écoutent. « Je pense même que l’on peut parler d’une certaine forme de mépris de classe, conclut Martin Vachiéry. Il y a chez certains une incapacité complète à comprendre ce qu’est le rap, ce qu’il exprime, ses nuances, son second degré, son décalage et son aspect fictionnel. Bref, tout ce qui fait que c’est de l’art. Et il faut saluer l’Union belge qui n’est toujours pas revenue sur sa décision malgré la polémique, car elle sait que Damso est représentatif d’une grande partie de la jeunesse belge et joue en ce sens, le rôle fédérateur que l’on attend de lui. »
Chaque choix musical de la Fédération lui vaut en effet de sévères critiques. « Quand on avait choisi Stromae(en 2014, ndlr), il était trop francophone. Quand ce furent Dimitri Vegas et Like Mike(en 2016, ndlr), il n’y avait pas assez de paroles. Et puis quoi ? On critiquera le choix d’une femme parce qu’il ne s’agit pas d’un homme, d’un blanc parce qu’il ne s’agit pas d’un noir ? C’est risible » , se défend une source interne auprès du journal Le Soir. En attendant de connaître les paroles de Humains – le morceau en question –, détracteurs et amoureux de Damso peuvent tuer le temps en écoutant de la grande musique :
Par Julien Duez, à Bruxelles
Propos de MV recueillis par JD
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