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Qui était Patrice de Peretti, dit Depé, icône des Ultras de l’OM ?
Papin sur le terrain, Tapie au carnet de chèques et... Depé au mégaphone. La période dorée de l’OM, c’est aussi celle de Patrice de Peretti, dit Depé. Une décennie de folie, de l’école buissonnière jusqu’à la mort mystérieuse, à 28 ans. Retour sur la trajectoire sulfureuse du Kurt Cobain du mouvement ultra français.
Cravates rayées, pantalons à pinces, chemises à manches courtes et visages de nuit blanche. Mai 93, l’OM vient de gagner la coupe d’Europe des clubs champions. L’équipe au grand complet fait le paon au siège du conseil régional sous les yeux de Jean-Claude Gaudin. En plein milieu de la cérémonie, Bernard Tapie se saisit du micro : « Avant que vous ne remettiez la suivante, j’aimerais offrir ma médaille à celui qui symbolise tellement cette ville, Depé » . Surgit alors de derrière le staff un type torse nu et en sueur, qui se précipite sur la coupe aux grandes oreilles, la soulève comme s’il avait lui-même propulsé le corner d’Abedi Pelé dans le but de Sebastiano Rossi à Munich, et se met à danser comme un forcené. Précision : Depé n’est pas footballeur. Il est supporter. Ce moment parfait, il l’a rêvé depuis ses plus jeunes années. Il lui a consacré ses jours, ses nuits, ses repas, ses vacances. C’était sans doute trop : en mai 1993, Depé vient d’avoir 21 ans ; il lui reste à peine sept ans à vivre. « Comme tous les héros, on sentait bien qu’il n’allait pas durer jusqu’à 80 ans », disent de lui ses amis dans le documentaire qu’ils lui ont consacré, Ferveur Depé.
Dockers vs skinheads
Ce qui a fasciné tant de gens chez Patrice de Peretti, c’est justement cela : son goût extrême pour la ferveur, qui lui aura fait cramer tant de choses. Son avenir professionnel, pour démarrer. Lorsque ses parents décident de quitter les quartiers nord de Marseille pour s’installer à Allauch, en périphérie, celui que l’on a toujours appelé Depé (ou Pépé, par ses très proches hors du stade) refuse catégoriquement de faire le voyage. Inscrit au collège, il fugue, tape l’incruste prolongée chez ses potes, et met un terme final à sa scolarité. Il est vrai qu’il a mieux à faire : on est alors en 1986 et l’OM, avec l’arrivée de Bernard Tapie, suscite un engouement sans précédent en ville. Le petit Patrice, qui n’a jamais été très doué pour le foot, se met à traîner aux abords du stade. Il y retrouve ses amis du quartier populaire de la Belle de Mai, qui viennent de fonder un nouveau groupe de supporters, les South Winners. Catalogué comme rustre au départ, Depé arrive néanmoins assez vite à grimper les échelons. Son signe distinctif, c’est son allure : carrure d’ouvrier de chantier, cheveux longs, pantalons mal ajustés, chaussures défoncées, T-shirts de fortune. Son principal atout, sa voix éraillée. Responsable du mégaphone, le môme n’a pas d’équivalent pour haranguer son quart de virage. Et à l’époque, il y a fort à faire.« Parfois, j’entends parler des gens qui semblent nostalgiques de ces années. Je les regarde bien : ils ne devaient pas y être. Car non seulement on était peu nombreux, mais il fallait en plus veiller à se faire respecter », se remémore Rachid Zeroual, partenaire des premières virées.
À l’époque, les Winners doivent en effet partager le virage sud avec les Ultras, dont certains membres, pour les situer rapidement, se déclarent adeptes du combo Doc Martens-Fred Perry… Tant et si bien que « se faire respecter », pour Rachid, Depé et Camille, le troisième larron de la bande, signifie en réalité lancer une « opération nettoyage ». « Leurs ennemis, c’était les skins. Les fafs, ils pouvaient avoir un maillot de l’OM sur le dos, ça ne changeait rien pour Depé. À côté, le mec de banlieue avec son maillot de Paris, il n’en avait rien à foutre », explique Anton Coste, membre des MTP et ami intime de Depé. Avec leurs adhérents dockers, taxis ou bouchers de profession, les Winners organisent une descente dans les sous-sols d’un parking du cours Julien où les skins locaux ont l’habitude de se réunir pour organiser leurs ratonnades. Jeunes loups 1, vieux fachos 0. Suite au coup de poing, la légitimité du groupe dépasse le cadre du football. Et Depé devient un personnage en vue. Fortement impressionné par les fans grecs de l’AEK Athènes, qui avaient retourné Marseille en 1989 avec à peine cinquante éléments sauvages, l’Olympien décide d’adopter leur look : mégaphone, écharpe… et rien d’autre. Pour les télévisions et le grand public, Depé, ce sera désormais avant tout un torse nu. Qu’il promène partout, même à Berlin contre Moscou en 1992, par -12 degrés. « Sur le retour de Berlin, il était fiévreux, on avait peur de le perdre », se rappelle Zeroual. « Parfois, il fallait voir ses mains, c’était Findus », confirme Guy Cazadamont, responsable des supporters puis de la sécurité du club. En 1994, Depé est devenu tellement symbolique de son club et de sa ville qu’il tourne dans le clip de la chanson Santa Maradona, que la Mano Negra vient tourner à Marseille. « Dans la vidéo, on le voit faire le tour du stade en courant. Lui et Manu Chao étaient vraiment devenus potes. Ils passaient des soirées sur la Plaine, à jouer de la guitare jusqu’à pas d’heure, à s’endormir sur les bancs, se faisant réveiller au petit matin par le marché en train de s’installer », raconte Anton Coste.
Manipulé par Tapie ?
En réalité, Patrice de Peretti tombe à point nommé. Désireux de s’installer sous étiquette socialiste dans le fauteuil du maire de Marseille, Bernard Tapie voit d’un œil intéressé l’émergence de ces nouveaux supporters qui ont choisi Che Guevara pour emblème. En 1990, Depé est donc officiellement salarié par l’OM. Homme à tout faire ou assistant du jardinier, son rôle n’est pas bien défini. L’important, c’est surtout que Patrice puisse enfin avoir une maison à lui : le Stade Vélodrome. Quand il ne peut pas compter sur l’hospitalité des gens qui l’entourent, le charismatique supporter passe ses nuits en tribune, seul. Il confiera un jour ne rien apprécier davantage que le lever du soleil sur l’enceinte, au petit matin. Durant la journée, alors qu’il est censé travailler, Depé alpague les joueurs à l’entraînement, leur tape la bise et la discute. « Depuis le terrain, on le reconnaissait très distinctement. Alors quand on le croisait ensuite, on s’arrêtait pour bavarder » , illustre Didier Deschamps. « À l’époque, on s’entraînait en périphérie. En rentrant, je le déposais en ville, parce qu’il n’avait pas le permis », sourit de son côté Éric Di Meco.
Les footballeurs qui l’ont connu à l’époque où l’OM ne gagnait pas toutes les semaines en gardent peut-être un moins bon souvenir. Car quand Depé était mécontent, il n’hésitait pas à le faire savoir. « Je me souviens d’une défaite lors d’un OM-Nantes, à l’automne 96. À la fin du match, il s’est faufilé dans les couloirs du stade. Il a poussé la porte des vestiaires, on l’a rattrapé de justesse », souffle Cazadamont. À chaque crise sportive, Depé est là pour rappeler aux joueurs les « valeurs » marseillaises : le traditionnel mouillage de maillot. « Lors de la saison 92-93, avant un déplacement à Glasgow, on n’avait pas été bien à Strasbourg, il avait gueulé sur les joueurs. Notamment sur Desailly. Quelque part, Tapie l’utilisait. Pour lui, c’était un moyen de faire pression sur son effectif », analyse Gilles Rof, alors journaliste à France Bleu Provence et réalisateur de Ferveur Depé. Ce que confirme Nanard, à sa manière : « Depé, c’était un précurseur. Il redoublait d’imagination pour galvaniser les joueurs. Les supporters comme lui, je leur ai donné du pouvoir, mais jamais plus que ce que j’ai voulu. Dire que je le faisais rentrer dans le vestiaire, c’est une plaisanterie. » Anton Coste, lui, a une autre vision des relations Depé-Tapie : « C’est plutôt lui qui a utilisé la direction, au final. Il y trouvait largement son compte, puisqu’il pouvait ainsi vivre de sa passion et qu’il n’avait pas de problèmes à faire salarier ses potes par le club. »
La recette du match sur un siège de métro
Sensation d’être arrivé ? Crise d’ego ? Après la victoire de 93, le porte-voix des Winners a le blues. Lui explique qu’il souffre de ne pas avoir plus de responsabilités dans l’association. Ses potes répondent qu’ils ont moyennement envie de faire confiance à un type capable d’oublier les recettes d’un déplacement sur un siège de métro. À l’arrivée, Patrice fait son balluchon et quitte le local. Mais il ne part pas seul. Ses amis, qui viennent tous du même quartier de la Plaine, plaque tournante de la vie nocturne populaire du centre de la ville, le poussent à créer son propre groupe de supporters. Les fans du virage nord, qui rêvent de concurrencer le sud, sont prêts à lui faire une place. L’aventure MTP (pour Marseille Trop Puissant) peut alors commencer. Depé en sera le seul chef, l’emblème absolu. À seulement 22 ans. Le lancement des MTP coïncide avec l’affaire VA-OM et le retour de Marseille en D2. Un drame pour le club, mais quasiment une aubaine pour Depé, qui retrouve là l’énergie des débuts. Ses journées, il les passe à quadriller la ville à pied à la recherche de nouveaux membres assez motivés pour l’accompagner dans la grande aventure du championnat des sous-préfectures. Le week-end venu, il entasse ses recrues dans des cars bondés, empile jusqu’à dix-huit personnes dans une Peugeot J9. Ceux qui n’ont pas les moyens de payer leur place sont embarqués gratuitement. Un temps, contre l’avis des chauffeurs, Depé fait également monter un chien décoré aux couleurs de l’OM dans les véhicules.
Au final, les voyages tiennent plus de la colonie de vacances que du déplacement professionnel : visites de centres-villes, barbecues, haltes à la belle étoile. C’est aussi l’occasion d’amuser la galerie. Un matin, les employés de la mairie d’Épinal chopent Depé et sa bande en train de se laver dans la fontaine municipale. Ils tentent de les faire déguerpir en versant un produit ménager dans l’eau. Sourire aux lèvres, Depé s’en badigeonne les aisselles. Dans les tribunes, Depé fait du Depé : il hurle à la mort, insulte les supporters mous du genou, invente des mots. Mais la vérité, c’est que le cœur y est de moins en moins. L’arrivée au club de Robert Louis-Dreyfus, le règne de Jean-Michel Roussier et ses idées de floquer des maillots dorés ne le branchent pas plus que ça. « Depé s’est rendu compte que le football était en train de changer. Que les joueurs étaient devenus des mercenaires », analyse Di Meco. « Le foot, le jeu, c’était vraiment secondaire pour lui. Il y avait des matchs où il ne savait même pas qui était l’équipe en face », se souvient Anton Coste. En 1997, lorsque le comité d’organisation de la coupe du monde 98 crée le personnage de Footix, le supporter comprend que plus rien ne sera comme avant. C’est d’ailleurs lui qui a le premier l’idée d’utiliser le terme pour désigner les « faux » supporters. À l’arrivée, Depé ne regardera même pas la finale France-Brésil, préférant passer la soirée à boire des coups dans un bistrot sans TV plutôt que s’agiter devant un écran géant.
✊ Hommage à Depé, qui nous a quittés il y a 20 ans…@VGCU84 | #TeamOM ?⚪️pic.twitter.com/i6Ciows73I
— #TeamOM Officiel (@TeamOM_Officiel) July 28, 2020
Enfant gâté
À 27 ans, le supporter refuse de s’embourgeoiser. Il ne possède ni appartement ni permis de conduire, squatte chez ceux qui veulent bien l’héberger, s’habille avec les vêtements qu’ils lui prêtent. En secret, Depé caresse un nouveau rêve : il veut fuir en Argentine. Dans un désir partagé de connaître la ferveur des matchs de Boca Juniors et le goût des feuilles de coca. Ses lectures trahissent ses envies de voyages :The Americansde Robert Frank, Café Lehmitz d’Anders Petersen ou encore Le Peuple du premier homme, un bouquin qui retrace à partir d’aquarelles l’expédition du prince Maximilien sur le Missouri au début du XIXe siècle. Lorsqu’il s’écroule chez ses parents pour deux ou trois jours le temps de recharger les accus, le supporter star ne décolle pas du canapé, d’où il regarde Planète. « Le contact n’a jamais été rompu entre lui et nous. Il est toujours venu nous voir, n’a jamais oublié les fêtes ni les anniversaires. Il avait sa chambre, ses clés. Il a toujours tout eu. Je lui ai même loué un studio pendant un an à la Plaine, à côté de son local. On lui a tout payé. C’est ce qui nous chagrine un peu, d’ailleurs. Il a voulu se donner une image de je ne sais pas quoi alors que c’est un enfant gâté », raconte son père, Jean-Marc de Peretti, dessinateur industriel de profession.
À ses proches, Depé confie qu’il arrêtera tout dans un délai de deux ans. D’ici là, le supporter a encore le temps de participer à quelques actions : il figure en première ligne dans les incidents du PSG-OM de 1999, en marge duquel des wagons entiers de la RATP sont saccagés ; quelques mois plus tard, il est aussi de la partie quand il faut s’expliquer avec les pare-brise des voitures de Pirès et de Dugarry à la Commanderie. C’est l’époque où « l’OM fait rire la France du foot », selon les mots de Di Meco. La pire saison contemporaine du club, pourtant, Depé ne la vivra pas. Il est retrouvé mort le jour du premier match de l’année contre Troyes, le 28 juillet 2000. « J’étais barman à l’époque, et il dormait chez moi. Quand je suis rentré de ma nuit de boulot, il est venu m’ouvrir la porte puis il est retourné comater devant la télé. Puis, au petit matin, je l’ai découvert inanimé. Il était mort. Il n’y avait pas eu de signes avant-coureurs : il n’était jamais malade », raconte Anton Coste.
LSD, Ganja et rupture d’anévrisme
Vingt ans plus tard, la mort de Depé reste encore un sujet tabou à la Plaine. Rupture d’anévrisme, ça fait quand même fortement penser à overdose. Si ses anciens camarades se contentent d’une formule polie (« il a vécu de tous les excès »), personne n’ignore que Depé distribuait la ganja par poignées entières lors des déplacements. Ni qu’il allait beaucoup plus loin que l’herbe. « Lors des voyages, il ne se cachait pas. Une des formules courantes, c’était de dire que le docteur Hoffmann (le découvreur du LSD, N.D.L.R.) faisait le voyage avec nous », se rappelle un abonné. Pour son ami Rachid, c’est son entourage qui lui a fait mettre le nez partout : « Son seul défaut, c’est d’avoir trop donné aux autres. Il n’a jamais dit non et certains se sont servis de lui. Maintenant, on a l’impression que tout le monde le connaît. Mais tout le monde connaît Elvis Presley à ce rythme ! S’ils avaient vraiment été ses amis, ils lui auraient conseillé de se marier, de faire des enfants. » Depé n’aura laissé ni veuve, ni orphelins. En fait, il n’aura même pas laissé de tifo : la banderole de son groupe a pris feu lors de la minute de silence qui lui a été consacrée au stade le jour de sa mort. Aujourd’hui, ne reste donc de Depé que sa maxime préférée, taguée sur les murs du Stade-Vélodrome : « Les joueurs passent, les supporters restent. » Cela vaut aussi pour leur légende.
Par Romain Canuti - Tous propos recueillis par RC
1/ Article paru initialement dans le SO FOOT #81 puis réédité pour le Hors-Série Tribunes de SO FOOT.
2/ Photo de homepage : capture d'écran issue du documentaire "Ferveur Depé"