- Espagne
- Liga
- 9e journée
- Real Madrid/FC Barcelone
- Portrait
Qui étais-tu, Telmo Zarra ?
Toujours meilleur buteur de l'histoire de la Liga avec ses 251 buts, Telmo Zarra revient sur le devant de la scène. Pour autant, outre son record, on ne connaît pas grand-chose du génial attaquant basque des années 50. Retour sur la carrière du plus grand joueur espagnol du XXe siècle.
251 : un chiffre qui obsède l’Espagne du football. Toujours aujourd’hui, c’est le rondelet total du meilleur artificier de l’histoire de la Liga. Ce record de Telmo Zarra, attaquant de l’Athletic Bilbao de 1940 à 1955, n’est plus qu’à deux banderilles d’être battu par Lionel Messi. La fin d’une ère, la renaissance d’un mythe. Justement, de ce mythe, on ne connaît pas grand-chose. Alors que son nom pourra sans doute être rangé à la seconde ligne des buteurs du championnat espagnol dès ce Clásico, un retour dans les années pré et post-guerre civile s’impose. C’est en janvier 1920 que le jeune Telmo Zarraonandia Montoya, de son nom complet, voit le jour. Septième fils d’une fratrie de dix, il grandit, ballon au pied, dans la province basque de Biscaye dont la capitale est Bilbao. Très tôt, il passe outre le refus paternel de pratiquer le football. Si bien que dès la fin des années 30, il signe son premier contrat pro avec l’Erandio Club, en seconde division. Un match entre les sélections de Biscaye et de Guipuscoa, et un septuplé plus tard, l’Athletic Bilbao décide d’en faire son nouvel étendard, lui qui a été décimé pendant la guerre civile. L’Histoire – avec un grand H – commence.
« La meilleure tête d’Europe après Churchill »
Elle sera faite de buts, de beaucoup de buts. En vrac, Telmo Zarra reste le meilleur buteur de la Copa del Rey (81 buts), le meilleur buteur de l’Athletic Club (333 buts toutes compétitions confondues), le joueur avec le plus de trophées de Pichichi (6), celui avec le plus grand nombre de buts en finale de Coupe du Roi (4)… Collectivement, il ne remporte qu’une seule Liga (1942-43) pour cinq Coupes, alors appelées Copa del Generalisimo, Franco n’étant pas du genre à se la jouer modeste… Justement, le tyran espagnol fait, en 1950, de Zarra le visage de cette Espagne qui gagne. Cette année-là, lors de la Coupe du monde organisée au Brésil, le Basque devient le héros d’un football jusqu’ici réduit à la portion congrue sur la scène internationale. À Rio de Janeiro, d’un violent coup de tête face à l’Angleterre, il envoie la Roja, pour la première fois de son histoire, en demi-finale d’un Mondial. Sitôt ce but inscrit, Franco est à la réception d’un télégramme passé à la postérité : « Nous avons vaincu la perfide Albion » .
Ce coup de casque victorieux est vécu en Espagne par la narration de Matias Prats. Le commentateur de la radio – unique – espagnole s’emporte, frôle la crise cardiaque et fait craindre l’hystérie. Tant et si bien que, propagande étatique oblige, il est obligé d’enregistrer une seconde version, plus en phase avec le message politique de Franco et ses sbires, du but. Les buts de la tête de Zarra marquent pour longtemps l’imaginaire commun des Espagnols. Un an plus tard, en 1951, lors d’un déplacement amical en Suède, il récidive et inscrit un cabezazo, que l’on pourrait traduire par un « terrible coup de tête » . Émerveillée, la presse scandinave le décrit alors comme « la meilleure tête d’Europe après Churchill » . Une saillie qui est reprise par tous les organes médiatiques d’Espagne : plus qu’un simple buteur, Telmo Zarra passe à l’état de légende vivante. Avec la sélection espagnole, il ne joue que 20 petits matchs pour autant de buts. Jamais il ne tirera gloire ni profit de ce statut : Zarra est un grand parmi les seigneurs.
« On m’appelait Telmito le peureux »
Car la personnalité de Telmo Zarra est loin des fastes franquistes de son temps. Dans une longue interview accordée à El Pais en 1997, il met à mal tous les clichés renvoyés par la propagande du régime franquiste : « J’ai toujours été très peureux et gêné. Même quand je jouais, je l’étais. À Asua (son village natal, ndlr), on m’appelait Telmito le peureux. J’ai toujours été très prudent. Si le défenseur était très dur et que j’y allais avec un désavantage, j’essayais de ne pas arriver au ballon. » Pour Don Zarra, ses plus belles récompenses sont les médailles d’honneur remises par des clubs adverses. Ainsi, Málaga puis Deportivo La Corogne lui remettront respectivement l’insigne d’or et l’encensoir d’argent. Le motif : il a refusé de marquer alors qu’un joueur adverse était au sol, blessé. Lors de la saison 1951-52, il s’est même sacrifié alors qu’il allait violemment heurter Arnau, gardien de l’Atlético de Madrid. Selon ses dires, « je préférais me blesser plutôt que de blesser un adversaire » .
À l’instar d’un Dominique Rocheteau, il n’a jamais vu rouge. Ou presque : « C’était lors de la finale de Coupe de 1944. Le jeu était arrêté suite à une bousculade. Alvaro (Gainza, son coéquipier, ndlr) était au sol et un coéquipier m’a dit en rigolant de lui marcher dessus. Toujours sur le ton de la blague, je l’ai fait. Mais Escartin (l’arbitre) m’a vu et… à la maison. » Autre preuve de sa modestie, il n’a jamais voulu honorer le contrat qui le liait avec l’Athletic Bilbao : alors que son dernier bail avec les Leones lui promettait un salaire de 850 000 pesetas et un match de gala pour lui rendre hommage, il n’a jamais réclamé son dû. Il aura fallu, 42 ans plus tard, une rencontre impromptue dans un restaurant de Bilbao avec José Marian Arrate, alors président de l’Athletic, pour que cet engagement soit respecté par le club. Depuis, de nombreux hommages lui sont rendus. Ainsi, en 2006, Marca a nommé à son nom le trophée du meilleur buteur espagnol remis chaque fin de saison. Enfin une breloque que ne pourra décrocher Lionel Messi.
Par Robin Delorme, en Espagne