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Qui est Olivier Sadran, le président du Toulouse FC ?
Il y a presque vingt ans, il sauvait le TFC de la disparition. Aujourd’hui, il est un président critiqué et presque résigné à l’heure de sans doute retrouver la Ligue 2. Mais qu’est-il donc arrivé à Olivier Sadran, le "petit Aulas" du milieu des années 2000 ? Portrait d’un homme qui a vu s’éteindre la flamme à force de ne pas vouloir se brûler les ailes.
La plus belle relation d’Olivier Sadran est peut-être celle qu’il entretient avec le transport aérien. Il lui doit beaucoup. Sa réussite exceptionnelle, d’abord. Depuis 1996, il fournit les compagnies en plateaux repas. Aujourd’hui, son entreprise Newrest pèse 1 milliard d’euros et emploie 28 000 personnes dans le monde. Mais il lui doit aussi un peu de tranquillité. Loin du plancher des vaches et des pelouses de Ligue 1, il déconnecte de ses tracas terrestres concentrés ces derniers temps sur sa filière foot. « Il y a un endroit où je ne fais rien, c’est l’avion. C’est un endroit de plénitude où on est coupé de tout. Je ne veux surtout pas qu’on me mette le wi-fi » , avouait-il à So Foot en octobre 2013. À l’époque, le président du Toulouse Football Club sacrifie à deux choses qu’il déteste : verser dans l’introspection et parler à un journaliste.
Lui trouve les présidents français « trop sur le devant de la scène » et préfère fuir les micros après les matchs : « Quand vous « sortez » quand tout va bien, c’est de l’ego démesuré. Quand vous « sortez » quand tout va mal, c’est pour pleurer. » Alors, il ne sort pas, et laisse la lumière agressive des zones mixtes à ses homologues.
Le 6 janvier dernier, le président et propriétaire du Téfécé a pourtant bien été obligé de « sortir » . Au lendemain du licenciement d’Antoine Kombouaré, il brise enfin le silence. Contraint et forcé. Le TFC a consommé deux entraîneurs en trois mois, ne gagne plus depuis le 19 octobre en championnat et vient d’être dégagé de la Coupe de France par l’ogre du Loiret, Saint-Pryvé Saint-Hilaire (N2). Cette conférence de presse est l’aveu d’un échec. Pour les affaires courantes, adressez-vous à Jean-François Soucasse, président très délégué à la discrétion légendaire. Mais quand il y a le feu à la maison, Sadran renfile le costume du boss. « Les rares fois où Soucasse s’exprime, les joueurs, les employés et les supporters vont penser : « Oui, mais il dit quoi Sadran ? » » , résume un observateur de longue date du club. Et ce jour-là, Sadran reconnaît des erreurs, annonce des changements à venir. Une dernière banderille médiatique pour essayer de retrouver la paix sociale. Mais tout reste flou, et peu de choses neuves en ressortent. Quelques mois auparavant, il avait proposé le remboursement de l’abonnement pour les supporters les plus désabusés. Il donne presque l’impression de faire dans la contrition, pas le genre du personnage pourtant.
Mais à 50 ans, dont presque vingt à la tête du TFC, la 252e fortune française apparaît lasse, prête à passer la main. « Je serais ravi de trouver quelqu’un pour reprendre le club » , répète-t-il. « Le TFC ça doit être 3% de son activité, mais 97% de ses emmerdes, estime à la louche son ami Jean-Claude Plessis. La question que je me pose, c’est : pourquoi il continue dans le football ? Ses affaires sont florissantes dans le monde entier, mais il galère avec son équipe et n’en tire plus beaucoup de plaisir. » Il y a quelques semaines, l’ancien président de Sochaux lui a envoyé un SMS de soutien. Sadran a répondu depuis les États-Unis. Loin de Toulouse, loin de cette équipe qui fonce tête baissée vers la Ligue 2 sans le moindre début de révolte.
« C’est Dieu le père »
Entre Olivier Sadran et son club, le peu d’amour qu’il restait semble consumé.
Certains lui reprochent de préférer les canassons, ceux de sa fille, espoir de l’équitation. Les relations avec les supporters sont inexistantes, ou presque. S’il n’acte pas la rupture, c’est par obligation, parce que son statut d’actionnaire unique l’y oblige. Un peu par habitude, beaucoup par devoir donc. « J’ai le sentiment qu’il ne s’éclate plus. Et un Olivier qui ne s’éclate plus, ce n’est plus le même » , remarque Hugues Henry, son ancien directeur général (2001-2008). L’histoire a longtemps été belle, même romantique au départ. Celle d’une rencontre entre un club au bord du dépôt de bilan, par la faute de l’incurie de ses précédents dirigeants, avec un jeune entrepreneur local de 31 ans. Club qu’il mènera en haut.
Quand il s’avance à la barre du tribunal de commerce de Toulouse, ce 16 juillet 2001, Olivier Sadran est un quasi-inconnu. Parfait autodidacte ( « j’ai fait un brillant passage d’une semaine en fac de sciences éco » ), il débute en vendant des repas lui-même aux ouvriers du chantier du métro toulousain. Il investit ensuite dans la restauration aérienne avec Catair, 600 employés à l’époque. « Olivier est un fonceur » , resitue Hugues Henry. Il faut bien ça pour reprendre un club ruiné, promis à retrouver le niveau amateur. « Il n’y avait plus rien. Mais alors rien, poursuit Henry. Tout ce qui n’avait pas été volé avait été saisi. On n’avait même plus un jeu de maillots. Deux mois après, AZF explose et on se retrouve sans stade ni bureaux. » S’il a disputé une finale de championnat de France scolaire avec son lycée de Colomiers, le jeune entrepreneur suit de loin les résultats des Violets ( « je n’allais pas au stade, j’ouvrais La Dépêche le dimanche et je commentais. J’étais toulousain, quoi » ) et se méfie du monde du football. « Il n’avait pas une très bonne image de ce milieu, confirme Henry. Philippe Bouloux (patron de Teddy Smith et qui participe au tour de table pour reprendre le club à l’époque, N.D.L.R.) voulait prendre des anciens joueurs. À 9h, le premier jour, il était au téléphone avec Courbis et d’autres. À 10h, c’est parti au clash avec Olivier. Ce n’était pas du tout notre projet. Olivier voulait tout reconstruire à la base, avec le centre de formation. »
Sadran a toujours été seul maître à bord. « C’est Dieu le Père. Il décide de tout, confirme Yves Dussert, président de l’Association de défense des intérêts des supporters toulousains (Adist). Mais il faut lui reconnaître qu’il ne fuit jamais ses responsabilités en payant les trous financiers à chaque fin de saison. » Depuis quelques mois, les « Sadran démission » résonnent davantage dans les travées du Stadium quand la colère du public se portait auparavant sur Alain Casanova ou Dominique Arribagé. Et au sein même du club, des tensions ont éclaté avec Sadran, pas toujours facile à vivre au quotidien. Certains ne veulent même plus évoquer leur histoire avec Olivier Sadran, à l’image de l’ancien responsable du recrutement du centre de formation, Jérôme Fougeron.
Le totem d’immunité est tombé. Difficile, pour autant, d’envisager le départ de l’homme qui a sauvé le club et lui a redonné une âme après l’horrible période Labatut-Rubio.
L’aventure des Pitchouns restera malgré tout l’une des belles histoires du football français des années 2000. De retour d’un crochet par Bastia, Nicolas Dieuze la prend en cours. Une saison finalement bouclée en tête du championnat de Ligue 2. « Avec les Pitchouns, il y a eu un élan de sympathie, une identification à l’équipe, à ces gamins de la région qui aimaient leur club. » L’attaquant – à l’époque – tombe sous le charme de son président. « Il avait ce charisme qui te donnait l’envie de le suivre. Il voulait redonner un élan à ce club, comme moi il en avait marre qu’on nous rabâche les oreilles avec la génération Márcico. » Le nouveau patron aime partager la vie de son groupe : à l’orée de la saison, il organise un barbecue à domicile qui se terminera par une partie de volley dans la piscine. Présent à tous les déplacements, il lui arrive par moments d’enfiler les crampons. « Un jour, il m’avait même chopé la cheville, sourit Dieuze. Moi, je jouais tranquille, en mode décrassage. Lui était à fond. Comme toujours. » Julien Cardy, autre Pitchoun, a aussi le souvenir d’un président « qui ne veut pas mettre de distance » . Comment ? En demandant à ses joueurs de le tutoyer. « Je n’y suis jamais arrivé, ce n’était pas mon truc, avoue le milieu de terrain. Il était proche de nous, je crois qu’il se reconnaissait dans les valeurs de ce groupe. »
La stabilité jusqu’à l’ennui
Jamais il ne prononce lui-même le mot, mais ses proches le formulent pour lui : Olivier Sadran est nostalgique de cette époque dorée. « C’est la période où il a pris le plus de plaisir, confirme Hugues Henry. Tout est compliqué, mais vous êtes en mission commando. » L’ancien directeur général développe une théorie personnelle pour expliquer comment la lassitude surgit un jour : « Quand vous repartez de zéro ou pas loin, vous êtes dans le « plus ». Quand on termine quatrième de National et qu’on monte, c’est un « plus », quand on est champion de Ligue 2 dans la foulée alors qu’on avait prévu quatre ans pour remonter, c’est un « plus ». Quand vous vous sauvez à la dernière journée la saison suivante avec 12 points à la trêve, aussi. L’année suivante, quand vous faites venir Dalmat et Moreira, vous tournez à 24 500 spectateurs de moyenne, c’est encore du « plus ». Et le « plus » a duré jusqu’en 2008 avec le tour préliminaire de la Ligue des champions. »
Une qualification miraculeuse à mettre au crédit de Johan Elmander, mais aussi du Lillois Nicolas Fauvergue. Olivier Sadran marque le coup : quelques semaines plus tard, il fêtera la troisième place en plongeant dans un lac pyrénéen. Une histoire de pari perdu avec les deux Nicolas : Douchez et Dieuze. « On était en stage de pré-saison et on avait vu ce lac magnifique, raconte l’Albigeois. On est avec le président et on parie que si on se qualifie pour une Coupe d’Europe, on reviendra la saison prochaine pour le traverser à la nage. La preuve que ce n’était pas vraiment un objectif. »
Après les montagnes russes des années Baup (une troisième place suivie d’un maintien à la dernière journée la saison suivante), le patron veut retrouver de la stabilité. Son modèle de départ, finalement. Hugues Henry l’a imaginé avec lui et en détaille le mécanisme, mais aussi la faiblesse. « Notre modèle, c’est de dire qu’il existe deux risques majeurs pour un club intermédiaire de Ligue 1 comme nous. Jouer les trois premières places et les trois dernières. Dans le premier cas, le président engage de l’argent qu’il n’a pas. Donc si on ne prend pas le risque du haut et je fais en sorte de ne pas prendre le risque du bas, je construis une équipe pour évoluer entre la 8e et la 12e place. Le problème, c’est qu’au bout d’un moment, les gens se font chier et ne viennent plus au stade. Et vous finissez par glisser. » Voilà tout le paradoxe. Cohérente économiquement, cette gestion a peut-être fini par user la passion des débuts chez le principal intéressé. Surtout quand avec Newrest, il vole de succès en succès, signe des contrats records avec la SNCF ou Qatar Airways. Un menu bien plus excitant que ces cinq dernières saisons à trimer entre la 13e et la 18e place.
Julien Cardy se met à la place de son ancien patron. « Il est là depuis 19 ans et il galère à jouer le maintien depuis cinq ans. Ce sont des années qui comptent double ou triple en matière de lassitude. » De ses liens forts avec l’effectif, il ne reste presque rien. Sadran assiste aux matchs au Stadium, et c’est à peu près tout. Avec un supplément gueulante les soirs de crise. « Il reconnaît lui-même que le football n’est plus vraiment sa priorité. Il n’a plus la même énergie qu’à son arrivée au club » , avance Yves Dussert. On le dit revenu de ce milieu où des gamins de 14 ans ont déjà leur agent. En 2016, il claque la porte du conseil d’administration de la LFP. « Il aurait pu tous les croquer à la Ligue, regrette Henry. Il est monté très vite en puissance, on parlait de lui comme du Petit Aulas, mais il a eu moins le temps. Au début, c’était nouveau et puis ça l’a ennuyé. » Sadran revendique détester les mondanités, fuir les pince-fesses, et préférer un bon resto avec des copains que frayer avec les politiques et les grands patrons de la région. Pas facile, de fait, de réussir à attirer ce fameux partenaire qui pourrait l’aider à développer le club. Tel Pathé à Lyon au début des années 2000, pour filer la métaphore avec Jean-Michel Aulas. Un observateur du club ose même une comparaison avec l’univers de DC Comics. « Il est un peu comme Bruce Wayne, qui resterait dans son manoir à regarder Gotham brûler. »
Retrouver « l’étincelle »
Dans les changements évoqués le 6 janvier, certains ont cru voir en creux les départs de Soucasse, Arribagé et Ali Rachedi, officiellement retraité, mais toujours influent dans le recrutement. Pour leurs détracteurs, ces hommes incarnent le copinage qui gangrène le club.
À l’automne dernier dans France Football, la légende des Violets Beto Márcico a même sorti les vissés pour tacler la garde rapprochée. « Le seul qui a du pouvoir dans ce club, c’est Sadran. Les autres préfèrent rester tranquilles avec leur salaire, que personne ne les emmerde. Il y a un vrai manque de personnalité aux côtés du président et c’est alarmant. » Aujourd’hui, l’heure n’est plus à l’alerte. L’alarme sonne, et personne n’est en capacité de l’éteindre. La relégation se profile et, cette fois, il faudra beaucoup plus que la patte gauche de Bodiger. Peut-être un électro-choc ? Jean-Claude Plessis veut croire que « l’étincelle » reviendra chez le jeune quinqua. « Un passage par la Ligue 2 lui permettra de remettre de l’ordre dans son club, de se fixer un nouveau défi. Il n’est pas le premier, ni le dernier à en passer par là. » En attendant, Olivier Sadran a amorcé un semblant de reprise en main du club, grâce au recrutement. À sa demande, il a fait venir le gardien croate Lovre Kalinić, pour suppléer Baptiste Reynet, dont il n’était pas satisfait. En cette période de crise, il en profite pour asseoir un peu plus son interventionnisme dans le secteur sportif. Pour l’heure, il doit donc garder la main sur un club toujours moins attractif pour un éventuel repreneur. « Je peux juste souhaiter au club de perdurer bien au-delà de moi, de continuer à ce que les Toulousains continuent à voir des matchs de Ligue 1 dans leur ville, disait-il en 2013 à So Foot. On est tous des enfants gâtés. On est blasés de ce qu’on a, mais on ne sait pas ce que c’est que de ne plus l’avoir. » Les Toulousains en auront déjà une vague idée à la fin de cette saison.
Par Alexandre Pedro, avec Arthur Stroebele