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Qui est Mohamed Kanno, le milieu saoudien révélation de la Coupe du monde 2022 ?
Face au Mexique, l’Arabie saoudite a une belle carte à jouer pour rallier les huitièmes de finale de la Coupe du monde. Pour y parvenir, elle peut notamment se reposer sur un milieu de terrain longiligne qui fait des merveilles depuis le début du tournoi : Mohamed Kanno.
Il existe plusieurs manières d’apporter sa pierre à l’édifice lorsque l’on s’apprête à marquer l’histoire. Mohamed Kanno, lui, a choisi l’élégance. Face à l’Argentine au Lusail Stadium, il s’est dégagé de ses grands compas – qui auraient immédiatement tapé dans l’œil de Christian Jeanpierre – une élégance rare. Celle d’un joueur qui se trouve au bon endroit, au bon moment, et qui n’a qu’à étendre ses membres pour intercepter une passe ou pour stopper une contre-attaque. Lorsque l’on marche sur l’eau, il n’y a plus rien d’impossible, et Kanno le sait mieux que quiconque : c’est d’ailleurs pour cela que même avant de rentrer aux vestiaires et que l’Argentine mène 1-0, Kanno s’offre un petit pont d’anthologie sur Cristian Romero. Le monde aurait dû savoir, à ce moment précis, ce qui allait survenir ensuite.
La toma del caño que le hicieron a Cuti Romero… qué locura pic.twitter.com/hk4MWx2N1O
— Miguel Rapetti (@MiguelRapetti) November 22, 2022
La Russie et la bande d’Al-Hilal
Si Kanno et l’Arabie saoudite ont fini par faire tomber l’Argentine, et qu’ils se sont sabordés eux-mêmes ensuite face à la Pologne, il y a une constante : au milieu de terrain, le numéro 23 saoudien crève l’écran. Il est un pion essentiel dans l’Arabie saoudite d’Hervé Renard : c’est lui qui dicte le tempo, équilibre son équipe et même, parfois, apporte le danger. Face à la Pologne, Kanno aurait même pu s’offrir un tour de piste dans la peau du buteur sans une détente parfaite de Wojciech Szczęsny.
Peu s’en souviennent, mais en réalité, Kanno avait déjà montré sa bouille au monde il y a quatre ans, en Russie. Il avait joué un quart d’heure face à l’Uruguay (défaite 1-0) dans un relatif anonymat, et n’avait surtout pas affecté le parcours des Faucons comme il peut le faire aujourd’hui. En club, Kanno joue pour Al-Hilal, le plus grand club saoudien actuel, qui est le pourvoyeur numéro un de joueurs pour la sélection nationale. Face à l’Albiceleste, neuf des onze titulaires – dont Kanno – évoluent actuellement pour le club de Riyad dix-huit fois champion d’Arabie saoudite et quatre fois vainqueur de la Ligue des champions asiatique. Une place au soleil du football asiatique que Kanno est allé se faire lui-même.
Le nonchalant de Khobar
L’histoire de Mohamed Kanno commence bien avant les spotlights de la Coupe du monde au Qatar. C’est à Khobar, une cité à l’est du Royaume qui regarde dans les yeux de Bahreïn, que la pieuvre des Faucons voit le jour en 1994. Quatre ans après son grand frère, Abdullah, qui est aussi footballeur et défenseur actuellement en troisième division saoudienne à Al Safa. C’est dix-neuf ans plus tard, en 2013, que Kanno goûte à ses premiers matchs pros à Al-Ettifaq. Papa Waigo, attaquant international sénégalais qui a sévi en Italie et en Angleterre, s’en souvient très bien. Il avait 29 ans quand il a vu les grandes guiboles du jeune Kanno débarquer dans son vestiaire. « C’était un jeune qui n’avait pas d’expérience et qui découvrait un peu tout, se remémore Waigo. Il avait quelque chose en plus, mais il n’avait pas les codes du haut niveau. Il était là, il était calme. Je l’aimais beaucoup, il avait un peu la mentalité africaine, il aimait beaucoup les rythmes afrobeats. » Ironie du sort, c’est face à Al-Hilal qu’il inscrit son premier but en pro lors d’une défaite 5-1, géant asiatique qu’il ne rejoindra que quatre ans plus tard après s’être aguerri en deuxième division. Oui, car à l’issue de la saison 2013-2014, Al-Ettifaq est relégué et ne remontera qu’en 2016 avec un Kanno transformé en cadre de l’équipe.
À Al-Hilal, Kanno est une évidence dès sa deuxième saison sous l’égide de Jorge Jésus et de tous ceux qui suivent, comme Leonardo Jardim. Là-bas, il côtoie des joueurs à la réputation européenne comme Bafétimbi Gomis ou Sebastian Giovinco. Il remporte quatre fois le championnat, deux fois la Ligue des champions asiatique et, surtout, s’impose puis devient un cadre des Verts depuis l’arrivée d’Hervé Renard en 2019. Même s’il a été suspendu quatre mois par la Fédération saoudienne en début d’année pour avoir signé une promesse de contrat avec Al-Nassr, le rival d’Al-Hilal, tout en ayant dans la foulée prolongé avec son écurie actuelle. Un imbroglio qui n’a pas dégoûté le staff francophone de la sélection, séduit par son profil hybride qui se situe entre Paul Pogba et Blaise Matuidi, toutes proportions gardées.
Bonne nouvelle : depuis le début de la compétition, il s’est même enfin décidé à enfiler des crampons vissés pour améliorer son équilibre et ses appuis. « Il est bon techniquement et dans la vision du jeu, mais je le trouve encore un peu trop nonchalant lorsque son équipe perd le ballon », analyse Papa Waigo qui suit ses matchs du Sénégal. Préjudiciable pour le voir rallier le Vieux Continent après la compétition ? « Ça va dépendre de sa capacité à évoluer au niveau de sa mentalité. Il faut un temps d’adaptation en Europe : il y a la langue, le froid, beaucoup de paramètres qui entrent en jeu et il a déjà 28 ans », conclut son ex-coéquipier. Avant cela, surtout, il y a un dernier round face au Mexique qui pourrait permettre à l’Arabie saoudite d’égaler sa meilleure performance en Coupe du monde, obtenue en 1994 aux États-Unis lors de sa première participation. Ça, c’est du concret pour Kanno.
Par Andrea Chazy, à Doha
Propos de PW recueillis par AC