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Qui est Fabrizio Toffolo, l’ancien leader des Ultras de la Lazio Rome ?
Cris de singe, saluts mussoliniens, bastons et accusations de malversations financières... Fabrizio Toffolo, ancien leader des Irriducibili de la Lazio, est l’un des personnages les plus sulfureux du monde ultra. Du haut de ses seize ans d’interdiction de stade, il raconte son histoire. En sirotant un thé.
Ces quinze dernières années, Fabrizio Toffolo s’est rendu seulement trois fois au stade. D’ailleurs, il n’y remettra certainement plus jamais les pieds. Il a fait un calcul : depuis qu’il supporte la Lazio, il a passé plus de temps assigné à résidence, en prison, et à pointer au commissariat qu’en tribune. En tout, seize années cumulées d’interdiction de stade. Il s’est trouvé trois explications. La première : « Je ne suis pas un saint, c’est vrai. » La deuxième : « Je suis persécuté par des magistrats de gauche. » La troisième : « Je dérange, alors on a essayé de m’éliminer. » La justice a donné des réponses un peu plus détaillées : violence, dégradation, tentative d’extorsion, association de malfaiteurs, menaces. Une mauvaise réputation liée pour une bonne part à la carte de visite du bonhomme : Fabrizio Toffolo est l’un des leaders historiques des Irriducibili de la Lazio, le groupe ultra le plus sulfureux du monde. Le curriculum du groupe témoigne des spécialités locales : bagarres à répétition, cris de singe, banderoles antisémites, sympathies affichées envers Mussolini, messages de soutien au criminel de guerre Arkan… Une sorte de mal absolu faite curva qui fit dire un jour à Lilian Thuram qu’il refuserait de jouer à la Lazio tant que ses horribles supporters seraient présents au stade. Alors ? Alors première surprise : pour raconter son histoire, un jour d’hiver, il y a quelques années, Toffolo a donné rendez-vous dans le quartier étudiant de Rome, San Lorenzo. Une zone historiquement liée à l’AS Roma et plutôt marquée à gauche. Lorsqu’il descend de sa vespa, pile à l’heure fixée, il est accueilli chaleureusement par des gamins qui traînent dans le parc à côté : « Ciao Fabri, comment ça va ? » « Ciao », répond-il poliment. Puis Fabrizio Toffolo s’assoit, et commande un thé. Tranquille et posé.
« C’est ma bande de potes contre la tienne »
La première fois que l’Italien a mis les pieds dans un stade de foot, c’était avec son cousin, en tribune latérale. Fabrizio a 11 ans, c’est la saison 1975-1976. La Lazio reçoit le Torino, et s’incline lourdement. Trois, quatre buts d’écart ? Fabrizio ne sait plus exactement. En revanche, il garde en mémoire ces types debout, là-bas, derrière le but. « Je regardais sans cesse les ultras, ils avaient quelque chose en plus par rapport aux autres spectateurs. À la fin du match, quand on est sortis de la tribune, il y a eu des incidents. Je me souviens de l’odeur des bombes lacrymogènes, du bruit des sirènes de police, des scènes de panique. J’avais 11 ans, et je n’avais pas peur. Mon cousin voulait qu’on détale. Moi, je voulais rester, ça m’attirait. Si ça n’avait tenu qu’à moi, j’aurais sauté au milieu du truc. » Ce coup de foudre pour le coup de poing avec le supporter adverse ne quittera plus le jeune Toffolo. À 15 ans, il fait son premier match en virage, son premier déplacement, et sa première baston. « C’était à Pérouse, en 1980. Quand on arrive au stade, on charge les ultras adverses. Je me fais choper par la police. C’est ma première arrestation, je me prends l’interdiction de revenir à Pérouse », raconte-t-il en buvant une gorgée de thé. Le concept peut sembler absurde, il est des plus simples : « C’est simplement ma bande de potes contre la tienne, explique Fabrizio comme on va à la messe. Tu débarques dans une ville, tu es persuadé que toi et tes gars vous êtes les plus forts du monde, et vous avez envie de vous mesurer aux autres groupes du pays. Au nom de ton club de foot, de ton groupe, de tes amis. »
À l’époque, Toffolo se déplace en indépendant avec d’autres« chiens errants », le nom donné en Italie aux amateurs de castagne et de liberté. « Je ne supportais pas l’idée d’arriver à la gare, de descendre d’un train, d’être escorté par la police et d’être encadré jusqu’au stade. Ça n’avait aucun sens. » Alors chaque week-end, le roi de la curva nord esquive les contrôles et part à l’aventure. « Mon meilleur souvenir de tape, c’est contre la Juventus, au Stadio Comunale, en 1983 si je ne dis pas bêtise. À l’époque, nous étions jumelés avec les ultras du Torino. On était partis la veille de Rome, à 22h. On était arrivés très tôt à Turin. Vers 11h, on se pointe devant le virage de la Juve, on charge dans le tas, les flics lancent une contre-charge, avec les Juventini derrière eux. Dans le bordel, je tombe, j’ai cru que j’allais me prendre mon premier coup de couteau parce qu’à l’époque, les couteaux, les lames de rasoir, y avait un peu de tout. Puis finalement, une amie me tire de là, et je rentre dans le stade. À la fin du match, les mecs de la Juve ont commencé à se diriger dans les tribunes latérales, nous aussi, et de nouveau il y a eu de la baston. Je repense toujours à ce match avec beaucoup de plaisir. » D’autres fois, les choses se sont moins bien passées. Lors d’un match à Campobasso, dans le centre de la Botte, Toffolo est sérieusement touché : 21 points de suture à chaque épaule, et une opération. Les risques du métier. « J’aimais tout, les chants, l’odeur des fumigènes, les couleurs, l’émotion, le défoulement. C’était vivre d’émotion. Être assis, ça n’a pas de sens. Disons que la violence complétait le tout. Mais attention : on ne se tapait que contre des gens comme nous, pas contre le supporter lambda dans sa tribune », catéchise-t-il.
« Si c’est cela être fasciste, alors oui, je le suis »
À côté de la baston, il y a donc une bande de potes, qui très vite se réunit derrière une même banderole, celle des Irriducibili. La première fois que la bâche apparaît, c’est en 1987, « mais en réalité, on était là depuis 1981 ». Alors que tous les virages d’Italie se remplissent de tambours et suivent un modèle sud-américain, le virage laziale s’inspire de ce qui se fait de l’autre côté de la Manche : pas de tam-tam, des chants longs, lancés spontanément, d’un peu partout. Pour la première fois, un groupe italien s’inspire du modèle anglais. Les membres des Irr’ partagent un autre intérêt, politique celui-là : appelons ça la droite sociale. De fait, le virage de la Lazio a toujours penché à droite toute et, de mémoire d’anciens, la chose était encore plus marquée au début des années 1970, lorsque l’Italie était déchirée par les années de plomb, les noirs contre les rouges. Pour Toffolo, les premiers contacts avec la politique sont noués au lycée. Lui qui habite entre Cinecittà et Quadraro, deux quartiers populaires de la banlieue sud, romanistes jusqu’à la moelle et zone de naissance des Fedayn, groupe ultra historique de la Roma, est vite enrôlé par des potes dans des réunions et des collages d’affiche pour des partis de droite. « Un jour de 1980, je collais des affiches dans une rue du sud de Rome. Un groupe de camarades communistes nous charge. On part en courant, je me retrouve seul, alors je me planque sous une voiture, j’attends un peu et croyant qu’il n’y a personne, je sors. Ils étaient encore là, j’étais gamin, donc je me prends seulement deux, trois claques. »
Plus tard, au milieu des années 1990, Toffolo fraiera avec la bande d’Acca Larenzia, en référence à ces membres du Mouvement socialiste italien, le parti néo-fasciste transalpin, tombés sous les coups de jeunes liés à l’extrême gauche en 1978. « J’aime les principes d’ordre, de famille, de justice, j’ai horreur de l’hypocrisie. Si c’est cela être fasciste, alors oui, je le suis. » Quand on lui fait remarquer que tout le monde pourrait se dire fasciste à ces conditions-là, Toffolo précise sa pensée : « Le régime de Mussolini garantissait l’ordre. Ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire, et aujourd’hui on dit qu’il n’a fait que des atrocités. Moi, je retiens qu’à l’époque, il y avait plus de liberté qu’aujourd’hui. Des études et un travail étaient garantis pour tout le monde, on donnait plus d’importance aux personnes ; aujourd’hui, c’est l’apparence qui prévaut. » Pour autant, Toffolo ne croit pas à la politique, et n’a jamais, dit-il, exhibé de symboles. Et les cris de singe dont son virage s’est fait une spécialité, alors ? « Mais ça n’est pas du racisme. Être raciste, c’est penser que les Noirs sont inférieurs, et je ne le crois pas. Personne n’est raciste chez nous. Nous avons toujours fait ça pour déstabiliser l’adversaire. En prison, j’ai noué des liens forts avec des Noirs, ce ne serait jamais arrivé si j’étais raciste. Quand Ronaldo s’est blessé, nous avons fait une banderole de soutien pour lui, et Ronaldo, on ne peut pas dire qu’il soit blanc. En fait, nous sommes complètement sortis des schémas classiques des groupes ultras. » Une façon comme une autre de commenter toutes ces banderoles sorties au fil des ans, telles que « Équipe de nègres, virage de juifs » (à destination de la Roma), « Auschwitz votre patrie, les fours votre maison » (toujours à destination des Romanistes), et les croix celtiques ou croix gammées brandies un peu partout.
Capture d’un reportage de la télévision italienne consacré à F.Toffolo
« Ta femme a des belles jambes, dommage qu’on aille les lui briser »
C’est néanmoins indéniable : oui, les Irriducibili sont complètement sortis des schémas classiques des groupes ultras. D’abord, en créant leur propre radio, pour se défendre des « organes de désinformation » et de toutes ces accusations dont ils se disent victimes.« On nous faisait passer pour des fous, mais moi, je tape pas les vieilles dans la rue. Personne ne parle jamais de nos actions de bienfaisance, de nos banderoles contre la pédophilie, des récoltes d’argent contre le cancer… » pose-t-il calmement. Ensuite, en créant une société, et en déposant une marque : Original Fans. Pour faire simple, des vêtements et des gadgets estampillés du logo du groupe, et vendus à un prix relativement élevé (le T-shirt coûtait autour de 30 euros). À la belle époque, les Irriducibili comptaient 14 boutiques à Rome. Pour beaucoup d’ultras de la Botte, ils ont été coupables d’abandonner les « valeurs » ultras au profit de l’argent. « On a créé une société, on payait toutes les taxes, on avait un siège à payer, il fallait qu’on s’autofinance, on a pu vivre grâce à ça. Si on avait été aux États-Unis, tout le monde nous aurait applaudis », se défend l’ultra.
Surtout, les Irridicubili sont allés encore plus loin : en 2005-2006, le groupe, associé à Giorgio Chinaglia, l’ancien bomber laziale champion d’Italie 1974, tente carrément de racheter la Lazio. Toffolo : « Pour mes 40 ans, ma femme m’avait offert un voyage à New-York. Sur place, j’appelle Chinaglia, qui depuis qu’il a fini sa carrière aux New-York Cosmos, est resté vivre là-bas. Il m’invite à dîner. La Lazio venait d’être reprise par Claudio Lotito, mais il faisait n’importe quoi : pas de directeur sportif, pas d’argent pour le mercato, mais du cash pour un nouveau stade, il avait aussi viré Di Canio(l’ancien attaquant de la Lazio était proche des Irriducibili, N.D.L.R.)comme un malpropre… Pendant ce dîner, je demande à Giorgio s’il n’aurait pas des sponsors pour reprendre le club. L’histoire commence comme ça. Mais pour tout raconter, il faudrait qu’on parle une semaine », précise-t-il. Alors, Toffolo résume : Lotito qui refuse de rencontrer ces éventuels investisseurs, ses demandes à Chinaglia, plus pressantes, pour savoir si oui ou non, quelqu’un veut vraiment acheter la Lazio – on parle alors d’un mystérieux groupe pharmaceutique hongrois –, et cette conversation téléphonique lors de laquelle Giorgio lui avoue que finalement, « il n’y a plus rien ». En mai 2006, le projet tombe à l’eau. En octobre, Chinaglia et quatre leaders des Irriducibili, dont Toffolo, sont arrêtés pour extorsion et agiotage. Les enquêteurs de la police financière romaine mettent en lumière des textos de menaces envoyés par les ultras sur le portable de Claudio Lotito : « Ta femme a des belles jambes, dommage qu’on aille les lui briser », ou encore « Vends le club ou tu vas te faire du mal ». Pour Toffolo, c’est une ligne de plus dans un casier déjà bien rempli : dégradation de train, patate sur un journaliste et un policier, et évidemment bastons. « En fait, on m’a condamné encore et encore à cause de l’acharnement de magistrats de gauche, et aussi parce que je dérangeais, je prenais trop d’influence. »
Une sonnerie et trois coups de flingue
Difficile en effet de nier le pouvoir accumulé par le supporter au fil des ans. Toffolo a beau « ne pas avoir voulu être leader, mais l’être devenu parce que les autres le voulaient », son aura devient vite considérable. En 2004, avec les ultras de la Roma, il fait arrêter un derby en plein match à cause d’une rumeur annonçant le décès d’un tifoso. En 2005, il invite à voter pour un candidat du Peuple de la liberté, le parti de Berlusconi, car celui-ci s’était engagé à modifier les peines d’interdiction de stade ; 12 000 voix en plus pour Giulio Gargano. Plus tard, le même Toffolo tentera de réunir les ultras de toute l’Italie afin de protester contre les mesures répressives dont lui et les siens étaient « victimes » . « Au bout d’un moment, j’ai commencé par voir le mec qui mettait une écharpe différente de la mienne non plus comme un ennemi, mais comme un type qui souffrait des mêmes choses que moi. Je me suis mis à détester les flics plus que les supporters adverses. Notre violence est une rébellion contre le système. » Et c’est peu dire que beaucoup de choses indignent le leader : le calciopoli, le dopage, les interdictions de stade prononcées« de façon complètement anticonstitutionnelle ». Il dit : « Je suis un homme libre. À cette époque, je faisais plus de politique que les vrais politiciens, et j’étais suivi. Alors on a essayé de m’éliminer. Au moment où j’avais à peu près réussi à fédérer des groupes ultras, je me prends encore une interdiction de stade pour un vieil épisode, et je me retrouve bloqué chez moi. » Un soir d’août 2007, vers minuit, alors qu’il est assigné à résidence, on sonne à la porte du leader ultra. Ding, dong. « Police », dit-on à l’interphone. « Ce type de contrôle était alors fréquent, donc j’ouvre sans me méfier. Là, je me souviens seulement d’ombres, et puis plus rien. » Trois coups de flingue, dans les jambes et la cuisse. Un procédé qui ressemble fort à un règlement de compte mafieux. La police n’exclut aucune piste : supporters rivaux, supporters jaloux de la Lazio, vengeance après ce projet de rachat ? Fabrizio Toffolo lui-même ne sait pas.
En revanche, l’ultra dit avoir compris beaucoup de choses depuis cet épisode. D’abord, que sa « lutte contre le système » était condamnée à échouer depuis le début. Ensuite, qu’il ne reconnaît plus son club, qu’il appelle « SS Lotito ». Et enfin, que le football a beaucoup changé :« Avant, je n’avais pas peur de mourir dans un stade. Ça pouvait arriver, malheureusement, mais personne ne partait avec l’idée de buter le type d’en face, sauf rares exceptions. Mais quand on voit ce que peut faire la police, comme avec l’affaire Sandri…(Supporter laziale tué par un policier d’une balle dans la nuque en 2007, N.D.L.R.) » Il a aussi l’impression « d’avoir bouclé la boucle ». Il a dépassé la cinquantaine, a une femme, et à part des petits boulots, il n’a eu que le stade dans sa vie. Un temps, la vie de Toffolo s’est divisée entre la radio, où il animait chaque jour une émission intitulée Les aigles libres qui n’ont jamais été dominés, et la pratique du tennis. Un type rangé, qui a pensé revenir en curva à la fin de l’année 2012, car son interdiction de stade a pris fin le 10 décembre 2011. Mais les choses ne se sont pas passées comme prévues : au stade aussi, les rois se font et se défont. Toffolo n’a pas été accueilli par ses anciens frères de tribunes comme il l’espérait. En son absence, son ancien bras droit, Fabrizio Piscitelli, dit Diabolik, l’avait remplacé. Son règne n’a pas tenu longtemps : Diabolik est mort en août 2019, tué par balles dans un parc de Rome. Un règlement de compte, certainement réalisé par un professionnel : la police n’a pas encore mis un nom sur son meurtrier, et poursuit, aujourd’hui encore, ses investigations en soupçonnant Piscitelli de liens avec des réseaux mafieux.
Par Lucas Duvernet-Coppola / Tous propos recueillis par LDC