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Qui est Daniel Thioune, le seul entraîneur professionnel noir d’Allemagne ?
Daniel Thioune est le seul entraîneur professionnel noir d’Allemagne. Mais cet ancien attaquant de seconde zone a surtout la mission de ramener Hambourg en Bundesliga. Premier test ce lundi soir face au Dynamo Dresde, à l’occasion du premier tour de la Pokal. Portrait d’un homme qui n’a jamais servi de faire-valoir.
En Allemagne, il est de notoriété publique que le Hamburger SV a la fâcheuse tendance de changer d’entraîneur comme de chemise. Depuis la relégation du Dino en D2 à la fin de la saison 2017-2018, ils sont déjà quatre à s’être relayés sur le banc du Volksparkstadion. Le dernier en date, nommé pour deux ans au début du mois de juillet, a 46 ans et s’appelle Daniel Thioune. Quand il était encore attaquant, ce fils d’un père sénégalais et d’une mère allemande n’a jamais vraiment réussi à attirer la lumière. Sa modeste carrière, il la passe principalement à Osnabrück et à Ahlen, deux clubs bien éloignés de Hambourg et des bords de l’Elbe, mais avec lesquels il remporte tout de même deux titres de champion régional.
C’est d’ailleurs à Osnabrück, sa ville, que sa carrière d’entraîneur démarre véritablement, lorsqu’il prend les rênes de l’équipe-première en 2017. Trois ans plus tard, il est parvenu à hisser et installer un modeste club de Basse-Saxe dans l’antichambre, non sans avoir été auréolé d’une couronne de champion de D3 remportée en 2019 et à laquelle s’ajoute l’honneur personnel d’avoir été élu entraîneur de l’année, en récoltant 36 voix sur 38 possibles. Un véritable plébiscite, passé plus ou moins inaperçu hors de la sphère de ceux qui suivent les divisions inférieures allemandes. Parce que ce que l’on retient avant tout de Daniel Thioune, c’est qu’il est noir.
Je ne suis pas raciste, mais…
En Allemagne comme les autres grands championnats européens, les entraîneurs non blancs ne sont pas légion. Outre-Rhin, on se souvient certes de Valérien Ismaël, brièvement passé par Nuremberg et Wolfsburg, mais hormis le Français, point de coach noir à signaler. En cela, Daniel Thioune a conscience que « pour vivre comme un blanc, il faut travailler bien plus dur », comme il le déclarait en octobre dernier au magazine 11Freunde. Toujours en 2019, il confiait à la radio Deutsche Welle avoir fait face « à plus d’obstacles que les autres. Et peut-être que la couleur de ma peau m’a empêché d’en franchir certains. Mais je ne peux pas non plus en être sûr. »
S’il ne prétend pas avoir souffert du racisme au quotidien, le technicien ne cache cependant pas certains épisodes qui marquent pour la vie entière. « J’ai longtemps joué dans des équipes où les maillots n’avaient de numéros dans le dos. Les adversaires disaient alors : « Prends le nègre au marquage ! » Évidemment, c’était une insulte, mais je ne le prenais pas si mal, philosophe-t-il aujourd’hui. Si j’avais eu les cheveux roux, on aurait probablement dit : « Prends le rouquin au marquage ! » »
« Abattez le nègre ! »
Du racisme déguisé au racisme assumé, il n’y a qu’un pas. Quand il était encore joueur, Daniel Thioune l’a découvert malgré lui il y a vingt ans, lors d’un match de barrage disputé à Chemnitz, en ex-RDA, avec Osnabrück. Ce jour-là, il remarque par exemple un stadier vêtu d’un T-shirt sur lequel la marque Nike a été remplacée par le mot Nazi. Sur le terrain, il est abasourdi en entendant 12 000 enragés vociférer : « Abattez le nègre ! » dans les tribunes. « Dans ces moments-là, on ne joue plus au foot, on se demande ce qu’il va se passer si jamais on gagne. Au bout de cinq minutes, j’ai effectué un centre devant le but et il est presque rentré. Finalement, je suis content qu’il ne se soit rien passé. Mais au vu des circonstances, il ne fallait pas s’étonner que nous ne soyons pas montés. »
Depuis son enfance, à une époque où il était le seul noir de sa classe, la société allemande a énormément changé. Et Thioune de se réjouir en soulignant par exemple la diversité des profils qui composent aujourd’hui la Nationalmannschaft. Mais pour ce qui est des entraîneurs de couleur, le chemin reste encore long à parcourir. Et quand on lui demande ce qui explique cet état de fait, il répond : « Peut-être devriez-vous poser la question à ceux qui sont en charge de recruter les entraîneurs, justement. Les choses doivent encore évoluer jusqu’à ce que cela soit considéré comme normal. » Heureusement pour lui, ni Osnabrück ni Hambourg n’ont jugé utile de s’attarder sur sa singularité. « C’est peut-être mieux que personne n’en parle, reprend-il.Ce qui compte avant tout, c’est la qualité d’un individu. C’est cela qui devrait primer. Si ma couleur posait vraiment un problème, cela voudrait dire que je suis de très, très bonne qualité, sachant que malgré cela, j’ai réussi à obtenir un poste dans l’une des trois meilleures divisions. »
Tout simplement coach
Avant d’attaquer les choses sérieuses en championnat, Daniel Thioune va d’abord devoir se défaire du Dynamo Dresde lors du premier tour de la Coupe d’Allemagne. Son objectif, comme celui du club, est évidemment de ramener le HSV dans l’élite. Pour ce bourreau de travail éternellement insatisfait, ce premier test grandeur nature permettra de voir si le changement de cap opéré par le Dino va enfin porter ses fruits. À savoir : recruter pour pas cher un cadre d’expérience par ligne, histoire de faire un peu baisser la pression chez les jeunes, désormais considérés comme la pierre angulaire du projet hambourgeois. Et pour mener les troupes à la baguette, les Rothosen peuvent compter sur un technicien dont l’objectif se résume tout simplement à « expérimenter les matchs de 15h30 en Bundesliga un jour ou l’autre avec le HSV. » Bref, un coach aussi ambitieux que passionné. Pas seulement le seul noir des bancs de touche allemands.
Par Julien Duez
Propos de DT recueillis par 11Freunde, DW et MOPO.