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Droits TV de la Ligue 1 : Qui es-tu, DAZN ?
Contrairement à Canal+, DAZN a clairement annoncé son intention de participer à l’appel d’offres des droits TV de la Ligue 1 pour la période 2024-2029. Présentation de cette plateforme de streaming, encore méconnue en France.
Une page va se tourner. Comme révélé en début de semaine, Canal+ a fait part à la LFP de son intention de ne pas participer à l’appel d’offres des droits TV de la Ligue 1 (et de la Ligue 2) pour la période 2024-2029, dont le résultat sera divulgué le 17 octobre prochain. On peut y déceler un coup dur pour le championnat de France, qui voit son diffuseur historique lui tourner le dos. On peut aussi considérer qu’il y a là une belle opportunité à saisir pour les autres acteurs du marché. Si certains sont déjà identifiés et connus des suiveurs du foot hexagonal, comme beIN Sports ou Prime Video, l’arrivée d’un nouveau visage n’est surtout pas à exclure. Comme celui de DAZN, qui n’a pas fait mystère de sa volonté d’avancer ses pions pour acquérir la diffusion de rencontres de Ligue 1. « C’est un bon produit et on pense qu’elle est un peu sous-évaluée, qu’il y a un potentiel de croissance à la fois en France et à l’international, a ainsi affirmé Marc Watson, le directeur commercial du groupe, à l’AFP. On estime honnêtement que nous sommes le meilleur partenaire pour exploiter ce potentiel. » Rien que ça.
Le « Netflix du sport », mythe et réalité
Beaucoup ne le savent pas, mais DAZN (prononcer « Dazone ») diffuse des événements sportifs en France depuis quelque temps déjà. En plus des sports de combat, l’un de ses produits phares à l’international, son catalogue tricolore comprend notamment la NFL, le championnat belge, la Ligue des champions féminine, la Liga et la Bundesliga féminines. Pour accéder à cette offre, il faut s’abonner via son site internet ou son application mobile. Car depuis sa création, en 2015, DAZN est un service de streaming en ligne, s’inscrivant dans un mode de consommation du sport qui se distingue de celui de la télévision linéaire. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si sa stratégie de communication vise à se décrire comme étant le « Netflix du sport ».
🇫🇷 Bienvenue DAZN fans !
Nous sommes ravis de vous annoncer que DAZN débarque en France avec:
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— DAZN France (@DAZN_FR) September 22, 2023
« Depuis qu’il y a eu un coup de froid sur les performances de Netflix, il y a à peu près un an, ils n’utilisent plus trop ce surnom, remarque Pierre Maes, spécialiste des droits TV. De toute façon, la comparaison ne tient pas vraiment. Même s’il y a maintenant beaucoup de concurrence, le but de Netflix, au départ, c’était d’être le one stop shopping du divertissement. Or, DAZN n’a jamais été dans cette position-là, car les droits sportifs se négocient par pays. Et ils sont chers. » Shay Segev, le PDG de la plateforme, entend, lui, aller bien plus loin. « Nous sommes plus que cela », assure le dirigeant dans un entretien à L’Équipe. Avant d’expliciter : « Nous développons une expérience plus interactive, notamment avec une partie gratuite où vous pouvez échanger avec les autres fans ou visionner certains matchs, faire des pronostics pour essayer de gagner des prix. Nous travaillons aussi sur la flexibilité, il sera bientôt possible d’acheter de plus en plus de matchs de foot et d’événements à l’unité. Nous avons aussi signé un deal avec des sociétés de vente de billets et de merchandising, lancé des paris en ligne autour de nos droits sur certains marchés. Tout cela est centralisé au même endroit, sur DAZN. Nous sommes en train de devenir “the home of sport”. »
Hausse des prix et baisse des coûts
Mi-août, DAZN a conclu un accord avec Canal+, ce qui lui permet de codiffuser les deux affiches de Ligue 1 que la chaîne cryptée propose sur ses chaînes chaque week-end – ainsi que la D1 Arkema – et d’être intégré, notamment, dans son offre sport. De quoi accroître sa visibilité en France, en attendant d’en savoir plus sur l’issue de l’appel d’offres. Basé à Londres et présent sur 230 territoires, avec 60 millions d’utilisateurs revendiqués, le groupe DAZN a déjà acquis des droits majeurs dans plusieurs pays voisins, comme la Bundesliga en Allemagne, la Serie A en Italie, la Liga en Espagne ou la Pro League en Belgique. Des investissements ambitieux qui ne suffisent pas à masquer une autre réalité : depuis sa création, la plateforme a perdu beaucoup d’argent, puisqu’il est question de plus de six milliards de dollars de pertes cumulées (dont 2,3 milliards rien qu’en 2021). « Nous avons investi beaucoup d’argent pour développer une plateforme performante avec des contenus premium. Maintenant que ce travail est fait, nous nous concentrons sur la durabilité. Il n’y a aucune inquiétude quant à notre viabilité. Nous prévoyons que l’entreprise deviendra rentable en 2024 et qu’elle atteindra même le seuil de rentabilité au quatrième trimestre de cette année », avance Shay Segev.
Pierre Maes est plus sceptique. « Ce qu’on constate, c’est qu’il y a une vraie volonté de limiter les pertes, ce qui se traduit par une augmentation des prix des abonnements et des coupes nettes dans la production », expose le spécialiste, qui ajoute qu’« en Italie comme en Belgique, on ne voit même plus les commentateurs à l’antenne dans les matchs au sommet. Ce n’est pas excellent pour un acteur qui veut se positionner sur le long terme. » De l’autre côté des Alpes, la diffusion des matchs via le numérique n’est pas allée sans connaître quelques fâcheux accrocs au début, avec d’importants problèmes techniques et l’impossibilité, pour de nombreux tifosi, de suivre le match de leur équipe. Désormais, le flux est stabilisé, et tous peuvent dévorer les analyses d’Andrea Barzagli ou Luca Toni, deux des consultants vedettes de la plateforme. À condition, toutefois, d’y mettre le prix. En Italie, comme en Espagne ou en Allemagne, l’abonnement mensuel a grimpé et se situe entre 25 et 30 euros (il est actuellement de 14,99 euros en France, avec un premier mois gratuit). « Pour viser la rentabilité, il faut soit plus de pubs, soit plus de consommateurs, soit qu’ils payent plus, se défend Shay Segev. Nous avons récemment augmenté les abonnements des marchés que vous avez cités, mais si, avec le temps, nous augmentons l’audience et le nombre d’abonnés, nous serons en capacité de réduire le prix. »
Un bon payeur… qui cherche à être vendu ?
Des interrogations légitimes accompagnent donc la possible arrivée de DAZN en tant que diffuseur de la Ligue 1 dès l’an prochain. Il y en avait aussi lorsque Mediapro avait raflé, en 2018, 80% des matchs de l’élite pour 780 millions d’euros par saison. Le groupe audiovisuel espagnol avait très vite fait comprendre qu’il ne comptait pas régler la facture, et la chaîne Téléfoot avait cessé d’émettre quelques mois seulement après son lancement. Le scénario du mauvais payeur ne semble cependant pas à craindre cette fois. « De 2015 à 2023, DAZN n’a été en défaut de paiement nulle part. Ce groupe paie ses factures, et c’est déjà pas mal ! », souligne Pierre Maes, qui avance une hypothèse quant à l’intérêt prononcé du service de streaming britannique pour le marché français : « Depuis longtemps, on sait que DAZN est à vendre, que ce soit par une entrée en bourse ou par une cession. Le fantasme, c’est d’être vendu à un acteur comme Apple. Mais rien ne s’est fait jusqu’à présent. Ils veulent faire un beau dossier pour vendre leur boîte. Donc s’ils peuvent dire qu’en plus d’être en Italie, en Espagne et en Allemagne, ils sont en France, c’est formidable pour eux. » Des enjeux qui dépassent le consommateur de foot français. Qui, lui, ne demande qu’à pouvoir regarder les matchs dans de bonnes conditions. Et, si possible, sans avoir à se ruiner.
Par Raphaël Brosse
Propos de Pierre Maes recueillis par RB, ceux de Shay Segev tirés de L'Équipe.