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Qui es-tu Bala Devi, seule footballeuse professionnelle indienne ?

Par Julien Duez
9 minutes
Qui es-tu Bala Devi, seule footballeuse professionnelle indienne ?

L’Inde est un pays de 1 296 834 042 habitants, dont la moitié sont des femmes. Sur ce plus de demi-milliard d’individus, un seul dispose du statut de footballeuse professionnelle. Elle se nomme Bala Devi et porte les couleurs des Glasgow Rangers depuis cet hiver. Portrait d’une attaquante actuellement relevée de ses fonctions de policière, mais pas de son rôle de modèle pour la jeunesse de son pays.

Alors que la première division féminine écossaise reprend ses droits ce week-end, tous les yeux seront braqués sur le Glasgow City FC, champion incontesté depuis 2009, l’année où le championnat a changé de format pour passer sur un système calendaire et une saison qui s’étend de février à novembre. Mais l’autre objet de curiosité de cette Scottish Women’s Premier League, ce sont aussi les Glasgow Rangers qui se sont imposés comme la sensation du dernier mercato, avec pas moins de quatorze nouvelles arrivées. Parmi elles, l’ancienne milieu de terrain du FC Fleury Sonia O’Neill, les Françaises Lisa Martinez et Daïna Bourma, mais surtout, l’attaquante Bala Devi. Bala qui ? Bien plus qu’une buteuse en série, une ambassadrice.

Sympathy for the Devi

Manipur, à 8700 kilomètres à l’est de Glasgow. C’est dans cet état du nord-est de l’Inde que Bala Devi voit le jour en 1990, l’année où les Rangers remportent leur 39e titre de champion d’Écosse. À la croisée des millénaires, Bala grandit entourée de trois frères et sœurs au cœur d’un environnement « verdoyant et magnifique, à l’opposé des grandes aires urbaines indiennes. Dans mon village, situé dans les faubourgs d’Imphal, la capitale du Manipur, il fallait plusieurs jours de voiture pour rejoindre Kolkata, la grande ville la plus proche » . Cet isolement géographique ne l’empêche pas de se mettre très tôt au sport. Tennis et handball font partie de ses loisirs, mais c’est finalement sur le ballon rond qu’elle finit par jeter son dévolu. « J’ai grandi avec le football. Mon père l’a lui-même pratiqué, et d’après lui, j’avais du talent, ce qui n’a fait que renforcer mon intérêt pour cette discipline. »

Sa première licence, Bala la signe à onze ans dans le club de son village. Mais très vite, son talent va dépasser les frontières du Manipur, où « les filles sont grandement encouragées à jouer au football, contrairement à d’autres régions indiennes. » De quoi l’aider à gravir les échelons avec un peu d’avance. À douze ans, elle représente déjà son État lors du championnat national U19 et termine meilleure buteuse de la compétition, avant de remporter le titre l’année suivante. Ce qui va lui ouvrir les portes de la sélection nationale U17, qu’elle rejoint à l’âge de quinze ans et avec laquelle elle termine encore meilleure buteuse, mais aussi vainqueur du championnat d’Asie du Sud. Depuis, sa précision face au but ne s’est pas démentie. En témoignent ses 58 pions en 52 parties disputées avec l’équipe nationale indienne. Pas étonnant que ses modèles soient tous « des joueurs très habiles et offensifs, qui apportent du flair, de l’énergie, de la technique et du style dans leur manière de jouer » . Parmi eux, on retrouve Ronaldo (le Brésilien et le Portugais), Ronaldinho, mais aussi Megan Rapinoe et Oinam Bembem Devi, la pionnière du football féminin indien, originaire comme elle de la région d’Imphal et sous les ordres de qui Bala a évolué tant en équipe nationale qu’au sein de son club de cœur : le Manipur Police.

Joue-la comme Bala

Comme son nom l’indique, l’équipe est liée avec la maréchaussée locale. Et comme en Inde, le championnat féminin ne bénéficie pas du statut professionnel, Bala travaillait jusqu’il y a encore quelques mois comme agent de police, en parallèle de sa carrière sportive, « comme toutes les autres joueuses du club. On fait le même travail que tous les autres policiers, sauf qu’on bénéficie d’aménagements dans notre emploi du temps pour nous entraîner et jouer les compétitions avec le club ou la sélection, explique celle qui est désormais relevée de ses fonctions pour dix-huit mois, soit la durée de son contrat avec les Rangers. Lorsqu’il sera terminé, je retrouverai mon poste comme prévu. Cependant, j’espère jouer le plus longtemps possible en Europe et je sais que ça ne posera pas de problème. La police du Manipur soutient totalement ses athlètes dans leurs projets sportifs. »

En 120 matchs disputés sous les couleurs de son club, Bala Devi a inscrit pas moins de 100 buts, remporté deux titres nationaux et été sacrée joueuse de l’année à deux reprises. Pareil talent pouvait logiquement prétendre à continuer son ascension, et le coup de pouce du destin est arrivé à presque 2500 kilomètres de sa région natale, à Bangalore.

J’apprécie énormément Bala, mais il ne faut pas mélanger les sentiments et le professionnalisme. Elle sait aussi que quand on est pro, il n’y a pas de cadeau.

« Depuis l’année dernière, nous avons signé un partenariat avec le Bengaluru FC » , rappelle Amy McDonald, ancienne internationale écossaise et manager général de l’équipe féminine des Rangers. « Ce sont eux qui nous ont parlé de Bala, et nous avons pu l’observer à travers des vidéos. À partir de là, nous l’avons invitée à passer un essai à Glasgow au mois de novembre, et elle s’en est admirablement sortie. » Son entraîneur, qui n’est autre que le Français Grégory Vignal, ne dit pas le contraire. « Pendant les quatre jours qu’elle a passés avec nous, j’ai tout de suite remarqué son profil précis et très technique, ainsi que son excellente vision du jeu. Sur le terrain, elle est capable d’éliminer l’adversaire dans les vingt-trente derniers mètres et peut jouer à la fois numéro 9 ou 9 et demi, mais aussi plus au cœur du jeu, comme 10 ou 8 » , détaille, enthousiaste, celui qui est en charge de l’équipe première depuis la dernière Coupe du monde.

Pas de cadeau pour les pros

Reste un petit problème : le permis de travail. L’Inde est en effet classée à la 57e position du classement mondial, alors que seules les joueuses issues des 40 premières nations peuvent être recrutées sans condition. « Heureusement, nous avons reçu le soutien de la Fédération écossaise et d’autres structures qui ont fait en sorte qu’elle puisse l’obtenir » , se réjouit Amy McDonald. En Inde, cinq pontes du football national se chargent même de lui écrire une lettre de recommandation. À travers son profil, son palmarès et l’apport pour le championnat indien qu’impliquerait sa signature aux Rangers, lui accorder une dérogation se révèle presque inévitable.

Ce recrutement sert aussi à inciter les jeunes filles à jouer au football.

Et voilà comment Bala Devi est devenue la première Indienne à bénéficier du statut de footballeuse professionnelle. Car l’autre signe fort qui accompagne ce début de saison en Écosse, c’est que le Celtic et les Rangers ont tous les deux annoncé que l’intégralité de leur effectif sera désormais payé pour jouer au football à plein temps. « C’était mon objectif en reprenant ce projet. Je voulais aussi partir avec un nouveau groupe et rejoindre le centre d’entraînement, ce qui a été fait. Je suis donc très content, tout est prêt pour travailler correctement » , reprend Grégory Vignal, sans cacher que les Gers féminines entendent désormais squatter les hauteurs du classement. « Est-ce qu’on y arrivera dès la première saison ? En combien de temps on atteindra la Ligue des champions ? Je ne peux pas répondre pour l’instant. Pour commencer, ma philosophie en tant que coach, c’est d’intégrer des jeunes au sein du groupe, mais il faut que la colonne vertébrale de l’équipe ait de l’expérience, comme c’est le cas de Bala. Cependant, elle sait aussi que quand on est pro, il n’y a pas de cadeau. J’apprécie énormément la personne, mais il ne faut pas mélanger les sentiments et le professionnalisme. »

Mary à tout prix

À l’aube de la reprise, l’intéressée a eu tout le temps de s’adapter à son nouvel environnement qui – ô surprise – n’est pas si dépaysant. « Dans certaines régions de l’Inde, il fait froid l’hiver, donc je me dis qu’ici, c’est simplement comme un long hiver. En revanche, c’est vrai que l’accent écossais est assez difficile à comprendre, mais comme mes coéquipières sont nombreuses à venir de l’étranger, on s’adapte toutes. » Modeste, Bala ? Peut-être un peu. « Je prends beaucoup de temps en la prenant à part pour répéter les consignes si nécessaire, mais si je ne dis pas de bétise, l’anglais est la troisième langue de l’Inde, donc quelque part, elle a déjà un peu cette culture en elle. Je ne me fais donc pas de souci pour elle » , glisse son entraîneur. Quant au niveau sur le terrain, sans surprise, il est plus élevé qu’en Inde. Ce qui n’effraie pas la jeune trentenaire pour autant : « Autant je suis contente de pouvoir partager mon expérience avec les jeunes du groupe, autant je peux toujours apprendre malgré mon âge, et l’environnement ici est idéal. »

Du côté des Rangers, on est conscient d’avoir recruté bien plus qu’une simple attaquante. « Pour nous, c’est aussi un moyen d’inciter les jeunes filles à jouer au football, avoue Amy McDonald. Et puis l’Inde accueillera le Mondial U17 féminin en septembre prochain. On regarde donc aussi dans cette direction-là. »

Je veux que les Indiennes prennent conscience qu’elles ont la possibilité de se confronter aux standards européens.

Passé par Liverpool au début des années 2000 après avoir été formé à Montpellier, Grégory Vignal parle quant à lui de « la chance d’une vie. Mes mots sont peut-être un peu excessifs, mais j’ai vraiment senti que c’était ce qu’elle attendait quand elle nous a quittés après son essai. Aujourd’hui, je ne peux pas dire de quoi son futur sera fait. Peut-être qu’elle partira un jour en Angleterre, qui sait. Quoi qu’il en soit, ce sera à elle de montrer ses qualités sur le terrain. » Malgré son humilité apparente, Bala sait bien qu’elle représente beaucoup. « Je veux servir d’exemple pour les filles indiennes et d’Asie du Sud, qu’elles prennent conscience qu’elles ont la possibilité de se confronter aux standards européens elles aussi. » Et de citer son modèle, Mary Kom, originaire elle aussi du Manipur et seule boxeuse indienne à avoir été médaillée aux Jeux olympiques, en parallèle d’une triple carrière de députée, d’activiste et de mère de famille. À 30 ans, Bala Devi peut légitimement rêver d’emprunter la même voie.

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Par Julien Duez

Tous propos recueillis par Julien Duez.
Photos : DR

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