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Quevilly 2012 : le petit Poucet devenu grand
Club détenteur de l’ADN Coupe de France, l’US Quevilly est devenu le symbole du football normand durant la saison 2011-2012. Comment ? En se hissant il y a dix ans en finale de la compétition contre l'Olympique lyonnais (défaite 1-0), alors que le club évoluait en National. Récit d’une épopée entre sensation de déjà-vu, solidarité de groupe et rêve touché du doigt.
Il y a des anecdotes qui ne s’oublient pas. Entraîneur de l’US Quevilly entre 2008 et 2012, Régis Brouard se souvient parfaitement du jour de sa signature au club. « La première chose que les dirigeants m’offrent, c’est un livre, rembobine le coach. Dans cet ouvrage, il y a toute l’histoire de Quevilly en Coupe de France. Cette compétition fait partie de son patrimoine et dès que vous arrivez au club, c’est une des premières discussions que vous entamez pour parler du sportif. On s’imprègne de ces valeurs. » Finalistes en 1927 et demi-finalistes en 1968, les Quevillais ont en effet honoré la Coupe de France à plusieurs reprises. Et c’est devenu encore plus flagrant sous Régis Brouard : une défaite au huitième tour contre Calais en 2009 (2-1), une demi-finale contre le PSG en 2010 (0-1), un seizième de finale contre Martigues en 2011 (1-1, 3-5 aux tirs au but) et une finale contre l’Olympique lyonnais en 2012. Mais comment ont-ils fait ?
Osmose, traquenard rennais et folie à D’Ornano
Pour Quevilly, cette épopée 2012 a commencé dans la douleur. En 32es de finale, les joueurs de Régis Brouard se déplacent sur la pelouse de la Tour d’Auvergne de Rennes et vont souffrir le martyr. Sur une pelouse originellement utilisée par l’équipe de rugby rennaise, les Normands sont incapables de marquer, et doivent passer par l’épreuve des tirs au but. Ils convertissent tous leurs tirs et passent ric-rac en seizièmes (0-0, 5-4 TAB). Comme si le plus dur était passé, la suite sera, elle, beaucoup plus douce. En seizièmes, Quevilly retrouve Angers, alors pensionnaire de Ligue 2. En 2010 déjà, Quevilly avait éliminé le SCO de la compétition. Deux ans plus tard, bis repetita : Joris Colinet inscrit le seul but du match (1-0).
L’histoire est en marche et le stade Robert-Diochon devient trop petit après le nouveau succès local contre l’US Orléans (2-0, après prolongation). En quarts, Quevilly tire du lourd : l’Olympique de Marseille, toujours en lice en C1 pour y affronter le Bayern Munich. Dans ce match attendu par toute une région, les 22 000 places du stade d’Ornano de Caen s’offrent au club de National. Plein à craquer, le stade chavire lorsque Quevilly ouvre le score par Julien Valéro (6e, 1-0), mais Loïc Rémy envoie tout le monde en prolongation (85e, 1-1). En prolong’, c’est la folie. John-Christophe Ayina redonne l’avantage aux Quevillais, mais Rémy égalise encore. Cependant, les joueurs de Brouard ont de la ressource, et Ayina plante le 3-2 décisif. Paradis. « Il y avait un bouchon de dix kilomètres sur l’autoroute pour rentrer à Rouen, nos supporters nous accompagnaient, se souvient Brouard. Au péage, les fans se sont tous mis à sortir pour nous entourer. Certains couraient à côté de l’autocar, d’autres sortaient le champagne. Du grand n’importe quoi ! Je suis resté dans le bus de mon côté, certains joueurs sont sortis pour déconner avec les gens. C’était l’heure de se lâcher. »
« La veille de la demi-finale, nous nous sommes entraînés dans un champ »
À vrai dire, la communion avec le public était aussi l’une des grandes forces de cette équipe à la fois chaleureuse et conviviale. « Nous avions nos petites habitudes, comme passer notre avant-match dans un hôtel à Forges-les-Eaux, dévoile Brouard. On mangeait nos repas au milieu des clients… La veille de la demi-finale, nous nous sommes carrément entraînés pendant une heure dans le champ d’à côté. Quand je dis un champ, c’était un vrai champ avec juste deux buts. Certains journalistes hallucinaient complètement au moment d’assister à la séance. » Dans le dernier carré, les Quevillais doivent se coltiner le Stade rennais pour valider la qualification en finale à Saint-Denis. C’est justement à ce stade-là de la compétition que Quevilly avait été éliminé en 2010, contre le PSG.
« On s’est mis dans la tête que cette fois-ci, nous n’allions pas refaire les mêmes erreurs que face à Paris, détaille Colinet. En 2010, la FFF nous avait invités pour assister à la finale entre le PSG et l’AS Monaco. On se disait :« Putain, on aurait pu être là… »Avant le match contre Rennes, on s’est rappelé ce moment-là. Ce souvenir amer nous a sans doute donné une envie d’aller encore plus loin. » Quevilly encaisse très tôt un but de Julien Féret (8e, 0-1), mais égalise par Karim Herouat, d’une frappe dans la lucarne (63e, 1-1). Quevilly croit en sa bonne étoile jusque dans les dernières secondes du match, moment choisi par Anthony Laup pour croiser sa frappe, battre Costil et faire exulter son entraîneur dans un stade en fusion. « C’était irrationnel, confirme Brouard. J’ai l’impression que le ballon met dix minutes à rouler dans le but tellement l’instant passe au ralenti dans ma tête. J’avais mon fils qui était encore un enfant à l’époque, je l’emmenais partout avec moi. Aujourd’hui, il est toujours capable de me rappeler ce moment dans le détail. Je crois qu’il en est aussi marqué à vie. »
Cœurs de Lyon
Seulement, la fantastique aventure de Quevilly va prendre fin avant l’accession au trophée. Avant la finale prévue le 28 avril, Régis Brouard sent le danger arriver lorsque l’équipe accepte l’invitation de la FFF de préparer son match à Clairefontaine. « Changer de cadre pour le match le plus important de la saison, ce n’était sans doute pas une bonne idée, rembobine Brouard.Quand j’ai vu mes joueurs avec des yeux écarquillés devant le château, les salles mythiques, les joueurs qui commencent à se dire qu’ils vont prendre la chambre de Zidane, machin… Là, je me suis dit : « Aïe, aïe, aïe. » Le jour du match, je sentais que l’équipe se dispersait dans des choses un peu futiles : tu prends des photos, tu te balades dans l’immense vestiaire… Je comprends tout cela, car ils découvrent, mais ça faisait un peu visite de musée. »
Contre l’Olympique lyonnais, Quevilly encaisse logiquement un but de Lisandro López (28e, 1-0, score final) et peut s’estimer heureux d’être encore en course pour la victoire finale à la pause. « En fin de match, je vois Källström qui traîne les pieds, conclut Brouard. Il y a cette sensation que l’OL est fatigué… On peut égaliser sans un arrêt incroyable de Lloris pour dévier le ballon sur sa transversale devant Anthony. Le vent a tourné à ce moment-là. Contre Rennes ça passait, mais pas cette fois. » Ce n’est pas si grave : même sans titre, Quevilly a écrit cette année-là l’une des plus belles pages de l’histoire de la Coupe de France.
Par Antoine Donnarieix