- Foot & Architecture
- Question existentielle
Qu’est-ce qu’un bon mur ?
Aussi souvent improvisé que mésestimé, le mur de footballeurs est pourtant un élément essentiel d'une bonne défense. Mais est-il possible de le faire tenir aussi longtemps que le Mur de Berlin, vingt-huit ans d'existence ? Est-il nécessaire d'avoir une truelle en main pour être efficace ? Surtout, faut-il y mettre beaucoup de ciment au niveau des parties intimes ? Réponses auprès de spécialistes.
C’est un modèle du genre. Un alliage de ciment, de sable sec, de gravillons, d’eau et de briques d’une absolue perfection, le tout élevé à 3,6 mètres de haut sur 155 kilomètres de long. Une merveille de solidité issue de l’architecture allemande de la Seconde Guerre mondiale, parfois égalée, rarement dépassée. Le Mur de Berlin. Une forteresse infranchissable, un mur, au sens propre du terme. Édifice qui aura tenu debout vingt-huit ans, deux mois et vingt-sept jours, soit beaucoup plus que le mur de Lyon, fortification échafaudée en quelques secondes pour empêcher le passage de Stéphanois dans la surface d’Anthony Lopes. On joue depuis soixante-treize minutes à Geoffroy-Guichard ce dimanche soir, et Jonathan Bamba s’avance pour frapper un coup franc depuis l’entrée de la surface. Un mur se forme rapidement, non pas fait de briques, mais de broc.
Cinq joueurs s’avancent, c’est très précis : c’est l’adjudant Lopes qui l’a exigé. Petits pas à gauche, non, plus à droite. Voilà, tatillon. Mais quelques secondes à peine après le début de la prise d’élan de Bamba, qui ne cherche qu’à réduire le retard de quatre buts de son équipe, soudainement, Bertrand Traoré se baisse. Il se baisse au milieu du mur, bon dieu, rompant toute unité. L’enroulée n’est pas parfaite, mais profite gracieusement de l’interstice pour se faufiler un chemin jusqu’aux cages et échouer à moins d’un mètre des filets lyonnais. Une réaction de froussard qui fait bondir Laurent Dos Santos, latéral gauche valenciennois et fils de maçon : « Quand je prépare un mur en béton ou en ciment, je commence par prendre les bons produits. Dans le football, c’est pareil, il faut prendre des bons soldats, des types qui n’ont pas peur de se prendre la balle. Un mur, ça doit être costaud. » Berlin et Bertrand, mur allemand et mur rhodanien, deux écoles du mur, deux efficacités. Mais qu’est-ce qu’un vrai bon mur, au juste ?
De l’importance des roubignoles
Pour trouver une réponse en béton, autant s’inspirer du travail de spécialistes. Et dans ce domaine, « les Hollandais sont très forts » , confie Daniel Duret, gérant de la pépinière Les Petits Fruits. « Vous savez pourquoi on trouve encore de bonnes mûres en janvier ? C’est parce que les Hollandais les mettent au frigo pendant l’été, au moment de la récolte, pour les sortir en hiver. Ou bien on les importe depuis l’autre bout de la planète. » L’école néerlandaise serait donc à suivre en matière de mûre, contrairement au cliché qui voudrait que l’Eredivisie soit majoritairement constituée de joueurs petits et techniques. On y apprend, au passage, qu’un mur d’août sera donc de meilleure qualité qu’un mur de janvier, ce qui explique peut-être pourquoi les équipes nationales encaissent peu de buts sur coups de pied arrêtés lors des compétitions internationales. Une solution annexe reviendrait à importer spécialement un mur venu d’Australie, par exemple, mais « les prix augmentent, forcément » .
Autre débat, un bon mur est-il un mur qui refuse de « se protéger les roubignoles » , comme le théorise Daniel Duret ? Une vraie question de courage qui écrème les mauvais modèles, fait le tri entre ceux qui ont des couilles et ceux qui n’en ont pas. « Il ne faut pas beaucoup les protéger, confie pourtant notre pépiniériste en évoquant ses petits fruits,c’est très vigoureux, très solide, et, surtout, ça pousse sur tous les terrains. » Le voilà rejoint sur ce point par Laurent Dos Santos, « à part si on prend un marteau-piqueur pour les casser. » Après quelques recherches, aucune attaque à l’engin de chantier n’a pour l’instant été recensée sur un terrain de football, mais une pareille extrémité pourrait probablement survenir si un tel outil était mis entre les mains d’un tireur de coup franc particulièrement indisposé.
Difficile de s’intéresser d’ailleurs à un bon mur sans se pencher sur la personnalité de celui qui tente de le détruire. Ou de passer à côté. Ou au-dessus. Bref, de contourner les règles, l’interdiction, de passer outre. « Il y a certains murs qui dérangent les gens, confirme Laurent Dos Santos. Entre voisins, par exemple. Les murs ne doivent pas dépasser une certaine taille. Mon voisin peut venir me voir et me demander de raser mon mur, ou de le diminuer. » Sous ses mots choisis, le défenseur fait ici directement référence aux pressions que pourraient subir les footballeurs lors de derbys, lorsque certains entraîneurs invitent l’équipe adverse à placer des joueurs plus petits dans leurs murs.
Le tireur de coup franc aurait-il alors un profil psychologique plus destructeur que les autres ? Œuvrerait-il, à son échelle, pour une forme d’anarchie mondiale, sur une Terre qui ne serait plus limitée en rien ? Allons-y, abaissons les barrières, des frontières aux clôtures de jardin, en passant par les parois de douche et les emballages individuels du beurre de baratte ! Le latéral de Valenciennes, qui n’a jamais eu l’occasion de jouer contre Lionel Messi, décèle pourtant chez l’Argentin une personnalité talentueusement dérangée, « qui analyse la moindre faille en face de lui. Je pense que chez lui, dans sa maison, il fait vraiment cette recherche d’analyser le comportement de ses murs, pour voir s’il y a une faiblesse à un endroit. C’est vraiment le talent. »
Le mur ne tombe pas, il pourrit sur sa branche
Après sa composition – joueurs grands, athlétiques, imposants – et la période de l’année où il arrive à maturation, reste au mur à livrer ses derniers secrets. Tout comme la phalange spartiate, son succès repose dans l’unité et la protection réciproque que peuvent s’apporter ses membres, qui vont parfois jusqu’à s’entremêler les coudes. Le but : impressionner, faire peur. Et dans ce sens, Daniel Duret tranche aussi sèchement qu’il le ferait avec l’une de ses juteuses pommes Reinette. « La bonne couleur pour une mûre, c’est noir. Si elle vire au gris, c’est de la pourriture. Est-ce qu’il existe des mûres rouges ou vertes ? Les Hollandais et les Anglais créent des hybrides, mais pas de cette couleur-là, à ma connaissance. » Comprendre ici qu’une équipe comme Metz, au maillot grenat, est donc plus susceptible d’encaisser un but sur coup franc que le Real Madrid. De même, il est tout à fait légitime de penser que si le Paris Saint-Germain s’était drapé de noir et non de blanc lors de la débâcle face à Barcelone, Kevin Trapp n’aurait jamais encaissé ce coup franc de Neymar à la 88e minute, continuant ainsi avec son équipe son chemin en quarts de finale de Ligue des champions.
Enfin, nœud du problème lorsque l’on s’attache aux détails, un bon mur est-il un mur qui ne touche pas le sol ? Laurent Dos Santos, toujours prompt à foncer la tête dans le mur – « parce que je me gaine bien » , – est affirmatif. « Même avec des intempéries, un bon mur ne bougera pas, dit-il. À part en cas de catastrophe naturelle, il ne faut pas qu’il saute. C’est pour ça que les fondations sont hyper importantes. » En résumé, le mur parfait serait constitué de plusieurs joueurs très athlétiques, les crampons bien vissés dans le sol et les mains éloignées du sexe, portant un maillot noir au cours d’un match se déroulant en août aux Pays-Bas. Des informations apportant un tout nouveau regard sur ce jour de 1989 où le Mur de Berlin est tombé, il y a vingt-huit ans. Peut-être parce que l’on était en novembre, peut-être parce que ses gardes étaient affublés d’un odieux uniforme vert olive, et peut-être parce qu’il faisait si froid ce soir-là que ces derniers n’avaient rien de plus important à faire que de protéger leurs bijoux de famille.
Par Théo Denmat