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- Transfert d'Ousmane Dembélé
Qu’est-ce qu’ils vont faire de toute cette oseille ?
Évreux, Rennes... Au-délà d'être distantes de quelques petites centaines de kilomètres, les deux villes possèdent un point commun : le troisième transfert le plus cher de l'histoire du football. Ousmane Dembélé parti à Barcelone, les deux écuries vont empocher pas mal de billets verts. Mais combien, et surtout, pour en faire quoi ?
Philippe Mongreville est assis dans l’avion, pile à l’heure du goûter. Le chef d’entreprise regarde sa montre, il est 17h. Nous sommes le vendredi 25 août. Tranquillement installé dans son siège, il observe le paysage par-delà le hublot : pas le moindre début de petit creux à 10 000 mètres du sol. Soudain, son téléphone vibre. Un message. Sur l’écran allumé, une annonce : Ousmane Dembélé part au Barça. Pour 105 millions, plus 45 millions de bonus, de quoi rendre fier l’Évreux FC 27, son premier club. Voilà qui tombe bien, Philippe Mongreville en est le président depuis un an et demi. À l’époque, les finances de l’institution étaient, de son propre aveu, « exsangues » . Alors comment accueillir l’émotion de voir l’un de ses anciens poulains devenir le deuxième transfert le plus cher de l’histoire du foot ? À vrai dire, difficile de ne pas soupçonner la fierté intéressée. À l’instar des Ulis, qui avaient empoché 600 000 euros au moment du transfert d’Anthony Martial de Monaco à Manchester United – l’équivalent de trois ans de budget –, il eût été humain de penser d’abord au fric.
Le fric, le fric, le fric. Les billets dans les yeux, comme ce bon vieil Oncle Picsou. Conscient de la question sous-jacente, Mongreville ne se défile pas : « Premièrement, on a une espèce de joie globale pour la notoriété de la ville, du club… une forme de fierté, parce que je considère que le club a participé à la formation d’Ousmane. Bien sûr, économiquement, il va se passer quelque chose d’intéressant pour la pérennité du club, et c’est avec le minimum d’égoïsme nécessaire que vous y pensez forcément à un moment donné. » Évreux devrait empocher « entre 30% et 50% du budget d’une année » , ajoute-t-il, sans toutefois dévoiler le montant exact. Pour L’Express, le montant est très précisément estimé à 262 500 euros. Le président ne nie pas. De quoi s’acheter quelques survêts, mais aussi un peu plus que ça.
Un peu moins de quatre millions pour Rennes
Avant de s’attarder sur les investissements envisagés par Évreux, il convient de faire la lumière sur une contre-vérité : non, Rennes ne touchera pas entre « 30 et 40 millions » pour les premiers crochets de son ancien ailier en Catalogne. La rumeur, poussée du terreau de l’on ne sait quelle déclaration, tient peut-être son explication dans les confessions données par René Ruello à L’Équipe la semaine dernière. Le président du club breton avait alors déclaré que le transfert allait rapporter « entre 30 et 40 millions d’euros en tout » . Soulignons le « en tout » . Soit, 15 millions lors de la transaction initiale vers Dortmund, puis 15 autres millions de « bonus » prévus dès le début du deal. Restent donc entre 0 et 10 millions d’euros directement liés au feuilleton barcelonais, tout en sachant que Dembélé ne disposait « pas de pourcentage à la revente » . Pas difficile alors de deviner d’où tombera la manne : des indemnités de formation et du mécanisme de solidarité.
Derrière ce terme un peu barbare se cache en réalité un concept très simple : lorsqu’un joueur pro est transféré d’un pays à un autre, les clubs impliqués dans la formation touchent un pourcentage sur le transfert, en fonction du nombre d’années de formation ainsi que de l’âge que le gamin avait à l’époque. Plus jeune était le joueur, moins le club touchera d’argent. Logique. Sur ces bases, le Stade rennais devrait donc toucher environ 2,7 millions d’euros dès à présent, et empocher le même pourcentage sur les 45 millions de bonus à mesure qu’ils seront payés. Au total, un peu moins de quatre millions d’euros, donc pas vraiment de quoi flamber d’ici la fin du mercato.
Un bus, des survêtements et un ticket de Loto
À Évreux, en revanche, on peut voir plus loin. Philippe Mongreville, qui avoue qu’il « refuse beaucoup de choses » à ses coachs, réfléchit même à l’achat d’un bus pour les équipes fanions de la ville. « D’occasion » , précise-t-il. Car malgré les apparences, le bonhomme est loin d’être dans l’état d’esprit d’un gagnant du Loto. « Premièrement, quand quelqu’un gagne 30 millions d’euros, alors que son salaire est de 2000 euros par mois, il est évident qu’il a besoin d’être encadré. Nous, nous avons un budget de 600 000 euros, et on vient de gagner une somme qui est bien en deçà du budget annuel du club. Donc c’est sans commune mesure. La deuxième chose, c’est qu’avant d’être président de club, je suis chef d’entreprise. J’ai plusieurs entreprises à Paris (dans le milieu du bâtiment, ndlr), et je suis un peu habitué à gérer des flux financiers. Donc faites moi confiance pour 1) ne pas dilapider, et 2) savoir comment gérer cette rentrée qui n’était effectivement pas espérée dans le budget de début d’année. » Unique indiscrétion, la première dépense ira dans l’investissement de survêtements à l’effigie du club qui seront offerts aux quelque 600 licenciés. « Je le refuse depuis six mois, explique Mongreville. C’est jamais extraordinaire, ce sont des choses simples, mais qui ne sont pas forcément nécessaires. » Suivra du matériel d’entraînement : plots, ballons, maillots, et le reste ira dans les caisses, s’empilant sur les billets verts déjà reçus pour les transferts d’autres anciens, de Bernard Mendy à Mathieu Bodmer en passant par Steve Mandanda.
« La jalousie, c’est un sentiment humain et personnel »
Au même titre que l’EFC 27 ne peut réellement faire de folies, Rennes se trouve également le cul entre deux chaises. Cinq recrues, mais aucune victoire en quatre matchs de championnat, il va falloir investir gros. Et ce ne sont pas les quelques pépettes de Dembélé qui feront la différence. Christian Gourcuff voulait un gardien, il l’a eu : Tomáš Koubek a signé lundi pour quatre ans, histoire de remplacer Benoît Costil. Christian Gourcuff voulait un défenseur, c’est presque fait : Panagiotis Restos, 19 ans et défenseur à l’Olympiakos, a déjà fait l’objet d’une offre de 15 millions d’euros, mais le club grec en demanderait vingt selon les informations de RMC Sport. Suite et fin, Christian Gourcuff voulait un attaquant et c’est… compliqué. Le cas Nicolas de Préville reste en suspens, et pas sûr que Marcelo Bielsa ait réellement envie de laisser partir son seul buteur confirmé après les roustes de début de saison. Montant estimé : dix millions d’euros là aussi. Seule certitude finalement : derrière Dortmund, le grand gagnant du désormais troisième transfert le plus cher de l’histoire reste Évreux.
Un petit club de Normandie qui touche le jackpot. Au point de susciter quelques jalousies ? « Je vous avoue que je n’ai pas reçu de texto ou de Messenger de félicitations de la part de présidents de clubs de Normandie, détaille Mongreville, du ton de celui qui s’en cogne d’ailleurs un peu. Vous savez, la jalousie, c’est un sentiment humain et personnel. Donc de là à vous dire que le président de Pacy sera plus jaloux que celui de Vernon ou que celui de Verneuil-sur-Avre, honnêtement je n’en sais rien. » D’autant que des appels, le président en aura un paquet ce vendredi 25 août. « J’ai répondu à 17 demandes d’interviews. C’était vraiment chaud, quoi. Puis c’est pas mon métier, alors on répond toujours aux mêmes questions et on donne les mêmes réponses, alors on sature un peu. » Encore en vacances, il recevait des invités, et avait demandé de rappeler plus tard : « Rassurez-vous, j’ai pu me consacrer à mes hôtes, à mes enfants dans la piscine et à la fin de mes vacances puisqu’elles se terminent ce soir (dimanche soir, ndlr) » Reste à se jeter dans le grand bain de la N3, avec un prochain déplacement à Alençon lors de la 5e journée. À faire en bus, évidemment.
Par Théo Denmat