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Qu’est-ce qui anime cette équipe d’Italie ?
Une semaine avant le début de l’Euro, la Squadra Azzurra, plongée dans le scandale du Calcioscommesse, se faisait démonter par la Russie en amical (0-3). Un mois plus tard, la voilà en finale de l’Euro. Un miracle ou une implacable logique ?
1er juin. 1er juillet. Deux dates qui se ressemblent mais qui n’ont, pour l’équipe d’Italie, pas grand-chose en commun. Le 1er juin 2012, sur la pelouse du Letzigrund Stadion de Zürich, la Nazionale sombre face à la pimpante Russie. Un score de 3-0, qui fait suite à un autre amical perdu 1-0 contre les États-Unis, trois mois plus tôt. Autant dire que l’Italie toute entière a alors de sacrés doutes quant au potentiel de son équipe nationale. Et le scandale des paris truqués et des matches arrangés n’arrange pas franchement les choses. Surtout que plusieurs joueurs de la Squadra sont concernés. Domenico Criscito est carrément viré du groupe le temps de clarifier sa situation, tandis que Leonardo Bonucci reste, uniquement parce qu’il n’est pas sous le coup d’une enquête. Quant à Gigi Buffon, on apprend quelques jours avant le début de l’Euro qu’il aurait misé 1,5 million d’euros sur des matches. Ce à quoi le portier répond : « Je fais ce que je veux de mon argent » . Bref, parler de « préparation tourmentée » serait presque trop doux. Pourtant, et c’est bien là tout le paradoxe, l’Italie avait effectué des éliminatoires parfaits, avec huit victoires (sept + une sur tapis vert), deux nuls et pas la moindre défaite. Pas suffisant, toutefois, pour rassurer l’opinion publique, à quelques jours d’affronter l’Espagne en match inaugural de l’Euro.
Union sacrée et rédemption
De match inaugural à finale. L’Italie retrouvera dans deux jours le champion d’Europe et du Monde en titre. Mais pas avec le même statut. Cinq matches auront suffi pour transformer cette équipe italienne que l’on croyait à la ramasse, et qui s’est imposée au fil des rencontres comme la plus belle équipe du tournoi. Après les qualifications méritées contre l’Angleterre et l’Allemagne, une question peut se poser : par quoi cette équipe italienne est-elle animée ? De l’autre côté des Alpes, de nombreuses comparaisons sont faites avec les équipes d’Italie 1982 et 2006 qui, comme celle de 2012, avaient dû se construire alors que le football italien était plongé ou sortait tout juste d’un scandale. En 1982, c’est le Totonero. L’Italie est sacrée championne du monde derrière. En 2006, c’est le Calciopoli. Rebelote avec le quatrième sacre mondial. Et voilà donc 2012, et le Calcioscommesse, aussi appelé « Opération Last Bet » . C’est donc un fait : à chaque fois qu’il y a une grande Italie, ou du moins une Italie qui gagne, il y a à la base un scandale, qui a le mérite (si on peut parler de mérite) d’unir les troupes.
Comme si l’équipe nationale se sentait porteuse d’une mission : celle de rendre au football ce qui le rend beau. Oui, le football italien est malade – pas forcément sur le plan sportif mais dans ses profondeurs – et la sélection nationale a l’occasion de faire oublier tous ces maux. Comment ? Simplement en rappelant que le principal, c’est ce qui se passe sur le terrain. Non pas qu’il faille éluder le reste (matches arrangés, joueurs corrompus, paris truqués, mafia qui chapeaute tout ça), mais disons que, merde, ça fait un bien fou de voir une Nazionale qui joue, qui régale et qui gagne, quand on nous bassine depuis des lustres avec ces scandales. C’était plus ou moins la même chose en 2006, et l’Italie, qui ne partait pourtant pas favorite, était allée au bout. L’Euro n’est pas encore gagné, loin de là, puisqu’il y aura en face la meilleure équipe du monde depuis quatre ans, mais l’Italie a déjà gagné quelque chose. Le droit de redonner la foi à un peuple amoureux du ballon rond, qui s’est senti bafoué lors des mois qui viennent de s’écouler.
Un peu de Juve, un peu de Prandelli
Soyons clairs : se sentir porteur d’une mission de rédemption ne donne pas toutes les clefs pour aller au bout. Sinon, la France post-Knysna serait déjà championne d’Europe. Non. Cela joue, mais ce n’est pas tout. Cette Italie marche grâce à un certain nombre de paramètres. Qu’on le veuille ou non, qu’on l’aime ou qu’on le déteste, derrière toute grande Italie (1982, 2006), il y a une grande Juventus. Celle de 1982, championne d’Italie en 1981 et 1982, avait offert à l’équipe nationale des Zoff, Scirea, Cabrini Gentile, Tardelli, Paolo Rossi. Celle de 2006, championne en 2005 et 2006, a donné Buffon, Cannavaro, Zambrotta, Camoranesi, Del Piero. Or, ce n’est pas une coïncidence si l’ossature de la Nazionale, c’est la Juve de Conte, justement sacrée Championne d’Italie il y a quelques semaines. Hier soir, face à l’Allemagne, six des onze titulaires (Buffon, Bonucci, Barzagli, Chiellini, Marchisio et Pirlo) étaient des joueurs bianconeri. La Juve a joué en 3-5-2 toute la saison. La Nazionale a débuté l’Euro en 3-5-2. On en viendrait presque à croire que le transfert (gratuit) de Pirlo, l’été dernier, a été organisé entre dirigeants milanais et turinois pour favoriser l’entente et la complicité entre le maître à jouer et sa défense…
Autour de cette ossature blanche et noire viennent se rattacher des joueurs tous plus particuliers les uns que les autres. Cassano amène le talent, De Rossi la grinta, Balotelli la folie, tandis que certains éléments, Diamanti en tête, véhiculent cette fraîcheur un peu improbable qu’un Fabio Grosso avait parfaitement su apporter lors de la Coupe du Monde 2006. Et puis, bien sûr, il y a Prandelli, ce grand humaniste. Un Prandelli dont les méthodes ont été remises en cause après le match nul contre la Croatie, qui aurait pu mettre un terme aux espoirs italiens. Mais le sélectionneur, qui a vécu des épreuves suffisamment violentes dans sa vie pour ne pas s’arrêter à quelques critiques, a persévéré, a cru en lui et en ses joueurs. La presse avait pris en grippe Balotelli après les phases de poules. Et alors ? Prandelli le veut titulaire. Basta. En lisant les gros titres des quotidiens transalpins, ce matin, tous plus dithyrambiques les uns que les autres sur SuperMario, l’homme doit se dire que, quelque part, il a gagné son pari. Gagner son pari, gagner le respect, gagner la bienveillance des tifosi. Il ne reste plus qu’une victoire à obtenir. La plus belle.
Eric Maggiori