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Qu’est-ce que t’étais belle, Parme…
Et si Parme mourait vraiment ? Comme la Fiorentina il y a quelques années, Parme est en train de crever à petit feu. Sans ressource, le club semble sur le point de perdre ses joueurs, ses installations, ses jeunes, et peut-être même son public. Enfin, qui sait, la mort la refusera peut-être au dernier moment. Mais en attendant, vue dans les yeux des Français, cette lente disparition d'un club qui faisait partie intégrante du paysage du football européen depuis vingt ans fait penser à la perte d'une connaissance à la fois proche et lointaine.
Quand elle s’est présentée en 1993, tu ne la connaissais pas vraiment. Honnêtement, t’en avais seulement entendu parler via un ami, un cousin ou les brèves lignes d’un journal. Une Coupe d’Italie, toute récente, les idées gémissantes d’Arrigo Sacchi dans les années 1980, et puis c’est tout. Parme, pour toi, c’était surtout un fromage en paillettes et du lait empaqueté. Mais le coup de foudre a été immédiat. Enfin, à défaut d’amour, il y a eu à coup sûr de l’intérêt et peut-être même de l’attraction. Ses frissons à chaque ligne, son maillot ciel et blé, l’insouciance d’un club provincial ambitieux… Les exploits continentaux de Parme t’ont séduit. Gianfranco Zola. Tomas Brolin. Claudio Taffarel. Dino Baggio. Faustino Asprilla. Hernán Crespo. Gigi Buffon. Fabio Cannavaro. Lilian Thuram et Alain Boghossian. Juan Sebastián Verón et Roberto Sensini. Enrico Chiesa… Des Français, des Italiens et des Argentins, des blacks, des latinos, des blonds, un roux. Une équipe d’Émilie-Romagne à l’étrange destin de représenter le monde. T’as été séduit, et tes amis aussi, et les amis de tes amis aussi. Tout le monde craquait en même temps pour cette vraie équipe de coupe. Parme, c’était la princesse fragile du football européen. Une princesse au destin tragique, limitée à briller en Coupe UEFA, mais toujours plus craquante que toutes ces vieilles et riches bourgeoises peuplant alors la C1.
Produits laitiers et Titanic
L’ascension fut fulgurante, et on apprendra plus tard avec l’affaire Parmalat que les raccourcis ne sont pas tous bons à prendre. Parme, c’était une étoile filante éclairant tes soirées européennes entre 92 et 2002. Huit titres en dix ans, les seuls de son histoire, Series C et D exclues. Une décennie de folie, de madjers argentines, de lucarnes, de parades, de tacles, de jeu, quoi. En dix années qui auront passé comme un claquement de doigts, Parme remporte trois Coupes d’Europe, plus que toute l’histoire du football français ! Une ivresse qui l’aura menée à sa chute. Comme le dit Alessandro Melli, team manager, il y avait du Titanic dans le projet parmesan. Si l’on oublie les exploits purement footballistiques, et qu’on essaye de voir le tableau avec du recul, c’était surtout une escroquerie familiale à l’histoire absolument fascinante. Le lait coulait à flot, alors que la vache était affamée. Et les coupes tombaient du ciel.
Après une décennie 2000 marquée par quelques espoirs, notamment ceux d’Adriano et de Gilardino, ses dernières saisons auront été sauvées par les idées de Roberto Donadoni, la fantaisie inimitable d’Antonio Cassano, et l’esprit guerrier de Lucarelli, Gobbi et Galloppa. Oui, ces types qui ont le profil pour mourir bravement au tout début des films de guerre. Finalement, ils vont tous mourir ensemble. Parme, c’était un club à part. Malgré son équipe mondiale, Parme sera passée au travers des mailles du filet du football mondialisé. Depuis 1998, ses équipementiers Lotto, Champion et Errea en témoignent. En Italie, si elle aura fait partie des « Sept Sœurs » dans les années 90, sa pauvre rivalité avec la Reggiana aura toujours semblé plus fromagère que footballistique.
Hernán Crespo est la fille de l’épicier
Vingt-deux années de football plus tard, en 2015, tu la connais mieux, la parmesane. Enfin, pas beaucoup mieux, mais un peu mieux. Tu connais la liste des grands noms par cœur, parce que c’est devenu un classique, mais par exemple, tu es incapable de mettre une date sur toutes ses compositions. Parme, au-delà des quelques titres, c’était surtout un effet. Après l’hystérie des succès, tu auras même facilement réussi à l’oublier, cette princesse, comme si elle avait mal vieilli. Ces temps-ci, tu ne la voyais que lorsque l’on te proposait gentiment le classement du championnat italien. Et quand tu prenais le temps d’aller voir son effectif, ou de regarder l’un de ses matchs, il était possible que tu te dises qu’elle avait carrément fini par avoir une sale gueule.
Parme, au fond, c’était ce type que t’aimais bien, mais que tu ne connaissais pas si bien que ça. Parme, c’était l’épicier du coin de la rue, décédé il y a peu. Petit, t’allais le voir ponctuellement, pour acheter des bonbecs, comme tu voyais ponctuellement Parme te régaler sur la scène européenne. Enfin, tu n’y allais pas seulement pour les bonbecs. L’épicier avait une fille. Une très jolie fille. T’avais grandi avec elle, de la même manière que t’avais grandi avec Hernán Crespo. Un jour, la fille avait quitté le quartier, Crespo était parti aussi, et t’étais passé à autre chose. Tu t’étais mis à passer un peu moins souvent, chez l’épicier. Et tu ne regardais presque plus jamais Parme qui, par ailleurs, à ton goût, changeait beaucoup trop souvent de couleur de maillot. Finalement, comme le décès de l’épicier, la mort de Parme ne va rien changer à ta vie. Tu ne le côtoyais pas tous les jours, et tu ne la regardais pas jouer tous les week-ends. Tu ne le connaissais pas si bien que ça, et Parme non plus. Mais quand tu passeras devant l’épicier, à ce coin de rue, et que tu verras le fast-food chimique qui l’a remplacé, t’auras un pincement au cœur. Le même qui te serrera amèrement la poitrine quand tu te rendras compte de l’absence de Parme au fond du classement du championnat italien. Qu’est-ce que t’étais belle, Parme…
Par Markus Kaufmann
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