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Querelle de famille à Sainté
Depuis plusieurs mois, la tension est vive entre la direction de l'ASSE et les ultras des Green Angels. Une issue favorable est-elle envisageable dans ce conflit de famille entre amoureux des Verts ?
Samedi 1er mars, stade Geoffroy-Guichard. L’ASSE accueille l’AS Monaco pour le compte de la 27e journée de Ligue 1. Le temps réglementaire d’un match maîtrisé par les Verts (2-0) touche à sa fin quand, subitement, le feu s’empare du kop sud. Simultanément, de nombreux engins pyrotechniques sont allumés dans la zone occupée par les Green Angels (GA). À vrai dire, c’est quasiment la première fois du match que le groupe et l’ensemble du kop se manifestent. En effet, les Green Angels n’utilisent désormais aucun matériel dans le stade : ni banderole, ni drapeau, ni mégaphone, ni tambour. Les membres actifs ont beau se regrouper au milieu du kop et tenter de lancer des chants, ils sont peu audibles et n’entraînent pas le reste de la tribune.
« Il ne faut pas oublier que le « kop traditionnel », c’est le kop nord. Dans la Sud, ça a toujours été compliqué de faire chanter les gens situés sur les côtés du bloc central et dans la partie supérieure. Sans méga ou sono, c’est encore pire… En ce moment, l’ambiance prend difficilement » , remarque Bérangère Ginhoux, sociologue auteur d’une thèse sur les ultras stéphanois et habituée des travées de Geoffroy-Guichard. De plus, cet après-midi là, le kop nord est en grande forme vocale. Le kop sud, lui, ne s’anime que lors des échanges entre les deux tribunes.
Pourtant, l’animation pyrotechnique de fin de match n’est pas du goût de tous. Aussitôt, des sifflets nourris s’élèvent de la partie supérieure de la tribune. De nombreux supporters pestent contre cette utilisation de fumigènes qui risque de coûter cher au club stéphanois, déjà sous la menace de sanctions des autorités sportives. Une réaction hostile qui symbolise la fracture entre les Green Angels et le club, mais aussi entre les Green et une partie de leur tribune.
Comment en est-on arrivé là ? Comment un groupe réputé pour ses tifos et sa créativité est-il devenu l’ennemi public n°1 du football stéphanois et français, suite aux incidents de Nice-ASSE ? Comment rapprocher un club et un groupe de supporters engagés dans une querelle familiale si intense que les deux parties ont refusé de répondre à nos sollicitations pour ne pas jeter d’huile sur le feu ?
Fumigènes et tolérance zéro
Pour bien comprendre cette situation complexe, il est nécessaire de revenir presque deux années en arrière. En septembre 2012 plus précisément, à Bastia. Suite à ce match, un membre des Green Angels écope de 15 jours de prison ferme pour l’utilisation, qu’il conteste, d’un fumigène dans le parcage visiteur. Une condamnation qui repose notamment sur le témoignage d’un stadier. À cette occasion, Nicolas, un des responsables des GA, déclarait à So Foot : « On est complètement sidéré et dégoûté par l’attitude de l’ASSE qui par le biais de son avocat a enfoncé notre membre. Je ne pense pas que le stadier qui l’a identifié soit de mauvaise foi mais je crois qu’il s’agit d’une méprise de sa part, favorisée par la pression que met l’ASSE sur les stadiers, en réponse à la pression qu’exerce la LFP sur le club. »
Quelques mois plus tard, suite à l’allumage de nombreux fumigènes au Stade de France et à des incidents avec le virage sud lyonnais à Gerland, le club stéphanois décide de fermer, pour la réception de Bordeaux, le secteur réservé aux Green Angels, alors situé à l’extrémité de la tribune latérale Henri Point pendant les travaux de rénovation du kop sud. Pourquoi cibler les Green ? Parce que les Magic Fans du kop nord ont restreint leurs activités et n’affichent plus leurs couleurs depuis le vol d’une partie de leur bâche par des indépendants du virage sud lyonnais, parce que la banderole des Green Angels est donc la seule visible et parce que le fumigène jeté vers le virage sud lyonnais est parti de leur zone.
Quel est l’objectif de cette décision inédite de la part du club ? Prouver à la LFP sa volonté de « tolérance zéro à l’égard de toutes les personnes qui adoptent des comportements inacceptables » et éviter ainsi une sanction des autorités sportives. Même si les habitués du secteur des GA pouvaient être replacés dans une autre tribune s’ils le souhaitaient, cette sanction prise par le club contre ses propres supporters n’est pas du tout du goût des ultras. Par solidarité envers les Green Angels, les Magic Fans décident de faire la grève des encouragements contre les Girondins, ce qui provoque des débats enflammés. De leur côté, les GA ne se rendent pas au match et annoncent leur mise en sommeil. « Étant donné que le club ne souhaite pas nous apporter son soutien et que le spectre des matchs à huis clos plane toujours au-dessus du peuple vert, la répression s’accentuant encore davantage, nous prenons la lourde décision de nous mettre en sommeil pour une durée indéterminée » , expliquent-ils alors dans un communiqué. Deux de leurs membres entrent dans le kop en travaux pendant le match contre Bordeaux, histoire de faire un pied-de-nez à la direction du club, à la Ligue et aux forces de l’ordre. Quant à l’ASSE, sa stratégie d’amadouer la LFP en fermant la tribune des Green n’est pas vraiment couronnée de succès, la Ligue ayant quand même décidé de lui infliger un huis clos, sanction ensuite transformée par la FFF en trois matchs à huis clos partiel.
Auto-dissolution ou pas ?
À l’aube de la saison 2013/2014, les Green Angels décident de reprendre « l’ensemble de (leurs) activités » . Pourtant, début septembre, ils annoncent subitement l’auto-dissolution de leur structure associative. Une nouvelle qui fait l’effet d’une bombe au sein du club et de la ville. Les GA justifient leur décision « réfléchie, concertée et unanime » : « Depuis maintenant plusieurs années, nous sommes montrés du doigt pour tout et n’importe quoi, sans même que notre parole soit entendue. L’exemple le plus récent aura été le dernier derby, où nous avons été condamnés à la fois par les hautes instances du football français, mais aussi par notre propre club » . Si l’association Green Angels n’existe officiellement plus, le groupe entend poursuivre ses activités de soutien à son équipe. D’ailleurs, lors de l’inauguration du nouveau kop sud face à Bastia, les Green réalisent un superbe tifo puis allument de nombreux fumigènes.
Le président du club, Roland Romeyer, avait déploré la fin officielle des Green Angels. Il avait même alors plaidé pour un usage contrôlé des engins pyrotechniques dans les stades. Mais l’utilisation massive de torches contre Bastia, dans un contexte de forte pression de la LFP sur les clubs, ne passe pas du tout auprès de la direction de l’ASSE. Alors que, malgré leur dissolution, les Green Angels étaient toujours autorisés à bâcher, tenir une table de vente et amener leurs tambours et mégaphones dans le kop sud, l’ASSE décide d’interdire tous ces privilèges : « Le respect de la loi et des règlements de la Ligue de football professionnel s’appliquant à tous, l’ASSE reste déterminée à mettre un coup d’arrêt à tout acte répréhensible et ne fera preuve d’aucune tolérance vis-à-vis des fauteurs de troubles, communique le club peu après ASSE-Bastia. Compte tenu des récents événements et de la dissolution de l’association « Green Angels » , l’ASSE ne reconnaît plus les membres de ce groupe comme interlocuteurs. En conséquence, ces derniers ne bénéficieront plus des droits et accès accordés habituellement aux associations de supporters. »
« Cet argument aurait pu tenir la route si la direction n’avait pas laissé les Green ramener leur matos dans le stade juste après la dissolution officielle, témoigne un habitué de Geoffroy-Guichard. À cette date, le groupe ne pouvait déjà plus être reconnu comme un interlocuteur officiel avec le club… C’est bien l’événement de Bastia qui a tout changé. » La rencontre face à Lorient offre des scènes ubuesques. Les stadiers tentant notamment d’empêcher les ultras d’installer leur bâche (entrée par petits bouts) sur les grilles du kop. Sans succès.
La pression de la LFP
Les semaines suivantes, les incidents, plus ou moins graves, se multiplient. Lors du derby, suite à l’accrochage par Joël Bats d’une écharpe dans le but situé devant le kop sud. Et surtout à Nice, où des sièges et des coups sont échangés de manière spectaculaire entre supporters des deux camps. Pour Bérangère Ginhoux, « les incidents de Nice ont été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. » . En effet, seule la bâche des Green Angels était présente dans le secteur visiteur et les incidents les plus spectaculaires ont eu lieu de leur côté? Les Green sont donc particulièrement montrés du doigt. D’ailleurs, tous les supporters stéphanois inquiétés par la justice suite à ces incidents, étaient membres des GA.
Mais pour la sociologue, le problème est bien plus profond : « Le gros souci, c’est que la Ligue a mis une énorme pression sur les clubs à propos des fumigènes. C’est le problème majeur des clubs à l’heure actuelle, ce qui cause une énorme répression dans les stades. » Dans un communiqué publié en octobre, les Green Angels affirmaient : « Aujourd’hui, notre position pour les fumigènes est claire. Nous savons que c’est interdit par la loi et les personnes qui les allument en assument les conséquences. Par contre, nous ne comprenons pas que la Ligue puisse sanctionner les clubs de huis clos voire même de menaces de retrait de points. » En fait, la LFP a décidé de frapper fort et de manière systématique pour responsabiliser des clubs suspectés d’être parfois laxistes envers leurs supporters. D’où le cercle vicieux dénoncé par Bérangère Ginhoux : « Les personnes qui ont, par exemple, allumé des fumigènes au Stade de France n’étaient pas forcément identifiables à tel ou tel groupe. De même, si un engin pyrotechnique est allumé dans le kop sud, il n’est pas possible de dire, sauf en cas de reconnaissance formelle, qu’il s’agit d’un membre des Green Angels. La Ligue se contente de mettre la pression au club pour que ce dernier – n’ayant plus le choix – fasse pression sur les supporters. C’est ce qui a provoqué l’auto-dissolution des GA » .
Depuis les incidents de Nice, la tension entre le club et les GA est entretenue par de multiples épisodes que chaque camp interprète à sa manière. Elle est également alimentée par des déclarations de Roland Romeyer hostiles aux Green Angels. « Cette déclaration (coupée par de nombreux médias, elle est disponible en intégralité sur le site de France Bleu, ndlr) a été assez mal perçue par de nombreuses entités de supporters, confirme Bérangère Ginhoux. Au-delà de ça, ce que les Green reprochent au club, c’est son manque de soutien vis-à-vis de la répression qu’ils subissent, les nombreuses interdictions de stades, la difficulté pour eux de rentrer du matériel à l’extérieur comme à Bordeaux… » . Cet après-midi là, les Green prennent la décision radicale de quitter le stade Chaban-Delmas avant même le début du match, parce que leur banderole est bloquée à la fouille. Et suite à cet événement, ils décident de ne plus entrer leur matériel d’animation au stade, à domicile comme à l’extérieur.
Muets dans les médias depuis les incidents de Nice, les Green avaient exposé leur point de vue après les premières mesures prises par le club suite au craquage de torches contre Bastia : « Nous n’avons raté aucun match à domicile et à l’extérieur, et ce même aux portes du National. Nous voilà mis au placard par un simple communiqué sans même une discussion. Voilà comment Roland Romeyer gère son club ‘familial’, où il n’invite aucun supporter aux 80 ans du club. (…) Plus les jours passent, plus la politique de la direction est claire : se faire bien voir des hautes instances au détriment de son public. »
Les effets pervers de la politique répressive
La mise à l’écart des fans et l’absence de dialogue avec les instances du football, c’est justement ce que regrettent plusieurs groupes de supporters stéphanois. La LFP est d’ailleurs la principale cible de l’Union des Supporters Stéphanois (USS), qui, loin d’être un repères d’ultras, rassemble plutôt des fans classiques et modérés. « Dans un conflit, on négocie d’abord, et on sanctionne éventuellement ensuite. La Ligue fait exactement l’inverse : elle sanctionne, mais elle ne discute pas. Forcément, il en découle une radicalisation et des incidents » , analyse Jean-Guy Riou, le président de l’association, sans minimiser pour autant les violences de Nice. « Ce qui s’est passé n’est pas acceptable. Mais les personnes impliquées ont été identifiées, il faut laisser la justice faire son boulot » . « Si la Ligue commence à discuter avec les supporters, poursuit-il, il y aura moins d’incidents. Tant que la Ligue les dédaignera, il n’y aura pas d’évolution positive. Au lieu de ça, il n’y a que de la répression, et à force de taper sur les gens, ils se radicalisent, et peuvent franchir les limites » . Bérangère Ginhoux nuance : « Je ne crois pas à une radicalisation comme à Lyon ou Paris où des groupes d’indépendants existaient déjà, mais plus à la création de groupes informels sur lesquels les autorités n’auraient plus de ‘prise’ et avec lesquels elles ne pourraient plus dialoguer. Ce que les ultras stéphanois aiment faire, ce sont des animations, des tifos, chanter, aller en déplacement. La situation actuelle va modifier leurs pratiques. »
Pour Jean-Guy Riou, le plus étonnant reste la rapide dégradation de l’image du public stéphanois aux yeux des médias. « Lors de la finale de la Coupe de la Ligue, les commentateurs disaient n’avoir plus vu une si grosse ambiance depuis la finale de 1998. Cinq mois plus tard, les supporters des Verts sont devenus les pires de France… » Chez lui comme chez tous les autres acteurs de Geoffroy-Guichard, c’est le problème des fumigènes qui revient systématiquement sur la table, au point que l’USS a publié un billet à ce sujet sur son site Internet. Son président observe que « les premiers incidents médiatisés sont les fumigènes lors du retour des Green dans le kop sud. Là, la LFP confond supportérisme et hooliganisme. Elle n’a aucune volonté de faire la distinction, ni même de rentrer dans le débat » . Le président de l’USS va jusqu’à dénoncer la logique uniquement mercantile de la Ligue de football professionnel : « Elle se préoccupe des droits TV car ça rapporte de l’argent, mais le monde du supportérisme ne rapporte rien. Alors, à quoi bon s’y intéresser ? » .
Renouer le dialogue ?
Suite aux incidents de Nice, un collectif, « Tous Unis Pour les Verts » , a vu le jour dans l’optique d’apaiser la situation, en « remettant tous les acteurs au cœur du débat, et donc aussi les supporters » . « Aujourd’hui, ils sont complètement écartés » , note Didier, porte-parole du collectif composé de supporters affiliés à aucune association. Constatant des fissures qui se creusent de match en match au sein du peuple vert, il regrette une « situation intenable, qui entraîne des tensions énormes entre la direction et les groupes, mais aussi entre les groupes et les supporters lambda. » Didier reconnaît que les ultras sont parfois « au cœur de débordements. Pour cela il y a des lois, des règles à respecter, et une justice qui doit faire son travail. Ils ont parfois des attitudes « borderline », mais la raison d’être des ultras est d’animer leur tribune » . Didier déplore que les différents acteurs restent campés sur leurs positions : « Personne n’est capable aujourd’hui de faire un pas en avant pour apaiser la situation. Il faut se poser, s’écouter, se respecter. »
Pour tenter de résoudre les problèmes, le collectif prône donc l’ouverture d’un dialogue réunissant tous les protagonistes. « Nous souhaitons mettre en place une expérimentation, sous la forme d’un ‘conseil des supporters’, qui serait une instance consultative, permettant de créer un cadre pour renouer le dialogue entre la direction et les groupes de supporters » , explique le porte-parole de Tous Unis Pour les Verts. Fixant l’objectif à la saison prochaine, il précise que « pour que ça marche, il faut que les 5 groupes de supporters (Magic Fans, Green Angels, Associés, USS et Indépendantistes, ndlr) soient partants » .
Cependant, si la direction stéphanoise s’est aussi déclarée favorable sur le principe au dialogue, la sanction récente de deux matchs de suspension pour la partie basse du kop sud suite aux incidents de Nice et le nouvel allumage massif de fumigènes par les Green contre Monaco pourraient tendre encore les relations. « Dans l’ensemble, le public soutient les ultras parce qu’ils en sont fiers, résume Bérangère Ginhoux. Fiers des animations et de la puissance des chants à Geoffroy-Guichard. Mais les incidents à Nice ont fait beaucoup de mal à l’image des ultras à Saint-Étienne. Et même en France. Une partie du public a du mal à comprendre leurs comportements. À côté de cela, les gens ont aussi été très critiques quant au traitement infligé aux supporters jugés pour les incidents de Nice. Ils trouvent que les moyens mis en place étaient complètement exagérés (un transfert en avion notamment, ndlr). De nombreux supporters stéphanois se déplacent et voient le comportement des policiers lorsqu’il y a des abus comme à Reims, ou il y a quelques années à Grenoble… Donc d’un côté, les ultras sont soutenus par les autres supporters à propos d’une répression démesurée. Mais de l’autre, ils ne sont pas suivis sur certains comportements. »
Réconciliation ou divorce ?
Vues de l’extérieur, les tensions entre le club et les GA ressemblent fort à un conflit de famille, chaque camp reprochant à l’autre de ne pas être loyal ou de ne pas respecter la loi. Alors que l’ASSE dénonce l’utilisation de fumigènes par les Green Angels, ceux-ci renvoient Roland Romeyer, par banderoles interposées, aux affaires dans lesquelles il a été suspecté d’être impliqué (dans l’affaire Carvalho évoquée par les Green, Romeyer a cependant bénéficié d’un non-lieu).
Une issue positive est-elle envisageable ? « Il faudra sans doute laisser un peu de temps. Des anciens joueurs, Sablé ou Guillou par exemple, ont regretté la situation. Je pense que cela va finir par se faire » , estime Bérangère Ginhoux. En attendant, les Green Angels annonçaient dans un récent communiqué avoir « trouvé un nouveau modèle de supportérisme » . Un modèle où « personne ne monte à la grille pour lancer des chants » , sans bâche ni matériel mais toujours avec l’objectif de d’ « encourager l’équipe » et de « vibrer pour Sainté » . À moins que l’usage massif d’engins pyrotechniques contre Monaco n’ait constitué le chant du cygne des anges verts.
Par Guillaume Navarro, Antoine Aubry et Quentin Blandin