- Luxembourg
- Dudelange
Quercia : « J’en veux encore à Abdoulaye Meïté »
Au tout début du mois de novembre, trois ans après avoir été déclaré inapte à la pratique du football, Julien Quercia a pu rechausser les crampons à Dudelange au Luxembourg. De quoi retrouver le sourire après des mois de blessures et trois opérations du pied droit. L'ancien Lorientais est enfin sorti de son tunnel.
Il y a dix jours, tu as enfin pu rejouer au football avec Dudelange, en Coupe du Luxembourg. Qu’est-ce que tu as ressenti quand tu es entré en jeu ?Énormément de bonheur et une vraie excitation. Parce que ça fait très longtemps que je n’avais pas disputé un match officiel. Du coup, j’avais beaucoup d’envie. C’était un moment que j’attendais depuis longtemps. Et ça fait vraiment quelque chose d’avoir pu le faire devant mes enfants, ma femme, ma famille et mes amis qui étaient tous présents au stade. Ça m’a fait du bien, et j’espère que c’est un retour qui va s’installer dans la durée.
J’imagine que c’était un moment fort émotionnellement, après tant de temps et moult galères. Tu as réussi à ne pas te faire submerger par l’émotion ?Oui, j’avais une telle motivation pour ce match. Et puis, ça fait depuis le mois de mars que je m’entraîne, j’avais fait quelques matchs amicaux, donc ce n’était pas vraiment mon premier match. Il y a eu toute une préparation en amont. Ce match-là, c’était le premier match officiel, donc c’était surtout le nouveau départ symbolique. C’était tellement inespéré que ça décuple le bonheur.
Et ça a plutôt bien marché pour toi, ce nouveau départ.Oui, plutôt (rires). J’entre à l’heure de jeu, et sur mon premier ballon, je tape la barre du pied gauche, et ça retombe dans les pieds d’un coéquipier qui plante le quatrième but. Et puis vers la 80e minute, je marque le cinquième. Au bout d’une action collective, le gardien adverse repousse une frappe de Momar N’Diaye. Et moi, en renard des surfaces (rires), j’arrive pour la pousser au fond. Résultat, victoire 5-0.
Ça faisait combien de temps que tu n’avais pas joué un match officiel ?Ça remontait à un match contre Paris en mai 2013. C’était le dernier match de la saison, il me semble, au Moustoir. Je me souviens, on avait perdu 3-1 et j’avais provoqué un penalty. Et c’est Arnaud Le Lan, qui jouait son dernier match ce jour-là, qui l’avait transformé. Je crois que c’est le seul but de sa carrière (rires). On rigolait avec ça, il m’avait remercié de lui avoir permis de marquer ce but. Et c’était aussi le dernier match de Ludovic Giuly. Voilà, on était trois à disputer notre dernier match, sauf que moi, je ne le savais pas encore… Ils ont fait la fête après le match pour leur fin de carrière. J’aurais dû le faire avec eux finalement (rires). Mais après, j’ai rejoué quelques matchs en amical avec Lorient quand même. Je me suis blessé le 22 juillet 2013, mais j’ai refait la préparation derrière, à la reprise de la saison 2013-2014. Et c’est au troisième match de pré-saison que j’ai complètement arrêté. C’est dommage, parce que je retrouvais vraiment mon niveau, j’avais marqué dans les trois matchs, ça se passait super bien. Sauf que j’avais vraiment trop mal au pied, donc à la fin du match amical contre Rennes le 28 août, j’ai compris qu’il fallait faire quelque chose. On m’a fait passer des radios et on m’a annoncé le problème que j’avais. C’est-à-dire que mon pied ne s’est jamais consolidé après ma fracture de fatigue.
C’est quoi le point de départ de tes soucis physiques ? Tu te les traînais depuis un bout de temps déjà.C’est tout simple. Je suis arrivé à Lorient en juin 2011. Le début de saison se passe très bien, je suis titulaire, je marque le but de la victoire contre le PSG pour le premier match de l’ère qatarie. Et dès la troisième journée, à Dijon, je prends un tacle par derrière d’Abdoulaye Meïté. Ma cheville est cassée. Ce n’est pas très spectaculaire, car ce n’est pas une fracture ouverte, mais en fait ma cheville est dans le vide. Tout est cassé dedans. Je mets un an pour reprendre. Je fais une saison pleine à trente matchs, dont vingt en pro et dix en CFA. En tout, je dois mettre onze buts, je retrouve du rythme et du niveau. Et à la reprise de la saison suivante, au top de ma forme, mon corps me lâche. Parce qu’inconsciemment, je compense ma cheville en m’appuyant beaucoup trop sur le pied droit. Et au fur et à mesure, je me fait une fracture de fatigue au niveau du cinquième métatarse.
Meïté était venu te voir en rééducation quelques semaines plus tard après son tacle. Mais que ce soit justifié ou non, est-ce que tu lui en veux, quelque part ?Ça fait partie du foot, mais c’est vrai que sur le coup, je lui en ai un petit peu voulu. J’ai quand même mis un an à reprendre. Quand je me suis rétabli, je ne lui en voulais plus du tout. Sauf que neuf mois après, j’ai cette deuxième blessure qui mettra finalement fin à ma carrière. Alors forcément, aujourd’hui, je lui en veux. Même si c’est la vie et qu’on ne peut pas refaire l’histoire, sans cette blessure contre Dijon, je n’aurais pas eu la deuxième sur mon autre pied. Celle qui a été fatale.
Quand on te parle de cette fracture de fatigue, est-ce que tu t’attends à ce que ce soit aussi compliqué de revenir ?Absolument pas, parce que normalement, une fracture de fatigue se règle en trois mois. Il y a plein de footballeurs professionnels qui ont connu cette blessure. Il faut juste que ce soit bien soigné. Sauf que moi, ma fracture ne s’est jamais consolidée. C’est une chose qui peut arriver, et ça m’est arrivé à moi.
Comment tu l’expliques, tu penses que tu es un joueur fragile ?Non, je n’avais jamais eu de fracture avant ces deux-là. Celle contre Dijon était la première. Je m’étais fait les croisés, et je n’avais eu aucun mal à revenir. Ça avait pris six mois, et je n’ai plus jamais ressenti de gêne à ce niveau-là.
À cause de cette fracture de fatigue, tu enchaînes les rechutes. Jusqu’à ce que les médecins te disent stop… Oui, ça n’a jamais guéri. Je subis deux opérations, et je n’arrive pas à faire un footing sans avoir mal. Donc au bout de dix-huit mois de blessure, la médecine du travail me déclare inapte à la pratique du football. Les médecins de Lorient vont dans le même sens et m’indique que je ne pourrai plus jamais rejouer au foot. Du coup, mon contrat est rompu.
À ce moment-là, tu es surpris ou tu t’y attendais ?C’est dans la logique des choses à ce moment-là. S’il n’y a pas d’autres solutions, c’est que c’est terminé. Et eux ont pensé qu’il n’y avait pas d’autres solutions. Je m’y attendais, mais je n’avais pas baissé les bras. Je ne voulais pas abandonner tant qu’on ne me disait pas « stop » . Donc ça ne me tombe pas sur la tête du jour au lendemain, mais cette rupture définitive est très difficile à vivre psychologiquement. J’ai eu beaucoup de peine, il y a eu des moments très durs. Un ami psychologue m’a aidé et a été très important pour moi. Il m’a permis d’accepter la situation pour pouvoir voir autre chose.
Et c’est quoi, cette « autre chose » ? J’ai commencé par me trouver une autre occupation qui m’a vraiment aidé. Vu que je pouvais marcher, je me suis mis à jouer au golf. Ça me permettait de m’aérer l’esprit. Et puis je n’étais pas si mal, hein (rires) ! J’ai atteint un petit niveau avec un index de 25. Je crois que ce n’est pas trop mal. Mais j’ai dû faire seulement deux ou trois compétitions.
Et puis tu décides aussi de retourner d’où tu viens, à Thionville. Tu as quitté cette ville très jeune pour le foot. Tu t’y sens quand même chez toi ?Oui, je suis né là-bas, toute ma famille y est encore. Du coup, dès je me fais licencier, je décide d’aller les retrouver. Mais c’est vrai que ça m’a fait bizarre, j’ai dû réapprendre à vivre ici. C’était différent, mais j’avais vraiment besoin de rentrer.
Tu avais des nouvelles de tes amis du monde professionnel ?Oui, oui. On est une bande de potes à Auxerre, ils ont toujours pris de mes nouvelles. C’est vrai qu’on n’a pas forcément beaucoup d’amis dans le monde du foot, mais tous ceux qui comptaient pour moi, que ce soit à Sochaux, Auxerre ou Lorient, ont toujours été présents. En revanche, je ne les regardais plus jouer. Même aller au stade, c’était devenu difficile pour moi. C’était trop frustrant, j’avais juste envie de jouer. C’était se faire du mal pour rien. Et puis, j’ai fini par l’accepter et j’ai passé le cap. Maintenant que je rejoue, je peux retourner au stade. C’est frustrant de ne plus pouvoir évoluer au plus haut niveau, mais je préfère me dire que c’est déjà bien de pouvoir reprendre en amateur.
Et à quel moment tu as opéré ton retour sur les terrains ?Quand j’ai croisé le docteur Khiami, de la Pitié-Salpêtrière. Il m’explique que si j’ai toujours mal, c’est parce que la fracture n’est toujours pas consolidée. Il me propose alors une dernière opération pour améliorer mon quotidien. Moi, je veux juste redevenir un homme normal. Et pour moi, être normal, c’est pouvoir aller jouer au foot ou au tennis si j’en ai envie. L’opération dont il me parle, c’est une greffe osseuse et il me dit qu’il peut me faire ça dans les jours qui viennent si je suis d’accord. Et puis je décide de me lancer. Je lui dois énormément.
Tu peux nous décrire la procédure ?Eh bien, on prélève un greffon, un morceau d’os quelque part, et on le pose à l’endroit où a eu lieu la fracture. Donc moi, on m’a prélevé le greffon sur le tibia pour le poser au niveau du cinquième métatarse. Je ne te cache pas que lorsqu’on t’explique en quoi consiste l’opération, ça impressionne un peu. Surtout que derrière l’opération, il y a toute la rééducation, les semaines de plâtre, etc.
Et après toutes ces dernières épreuves, tu atterris à Dudelange au Luxembourg. Comment ?Comme j’étais toujours dans le coin et que j’allais voir des matchs de la région (Thionville se situe à quelques kilomètres de la frontière luxembourgeoise, ndlr), plusieurs clubs m’ont proposé de venir m’entraîner avec eux si je me sentais de reprendre. À ce moment-là, j’étais encore en béquille, il n’y avait rien de sûr. Mais je gardais ça dans un coin de ma tête. Et puis toutes les étapes se sont bien déroulées : la rééducation, les premiers footings, les séances avec le préparateur physique, etc. Du coup, j’ai pu m’entraîner avec Dudelange, ça a fonctionné, et ils m’ont proposé de prendre une licence. Résultat, je suis dans le meilleur club du championnat luxembourgeois. Le club est très bien structuré, avec un bon staff technique et une bonne équipe dirigeante. Le président est ambitieux et c’est très intéressant à vivre comme expérience.
Et alors, ça ressemble à quoi, le championnat luxembourgeois ?Il y a trois ou quatre équipes qui sont au-dessus du lot, et les autres sont très nettement inférieures. Il y a un peu d’écart, mais le championnat évolue dans le bon sens. Ça devient vraiment cohérent. Avant, le niveau était très hétérogène. Je n’ai pas beaucoup joué encore, mais selon mes premières impressions, je dirais que les trois ou quatre meilleures équipes ont un niveau équivalent au National.
Dudelange est champion quasiment tous les ans. Du coup, l’année prochaine, tu vas peut-être jouer la Ligue des champions. T’es pressé d’entendre la musique de la C1 à nouveau, toi qui l’as connue avec Auxerre ?(Rires) Je ne crois pas qu’on y a droit lors des tours préliminaires. Avec Auxerre, avant d’aller en poule, on avait eu la chanson pour les barrages. Donc si tôt dans la compétition, ça m’étonnerait. Mais je serais super heureux de l’entendre avec Dudelange. C’est un objectif.
Tu as encore l’espoir de pouvoir revenir à un niveau plus élevé ?Non, aujourd’hui, je veux juste prendre du plaisir et vérifier que ça se passe bien avec mon pied. Rien de plus. Je n’ai pas envie de penser à autre chose. Je veux me faire plaisir.
Propos recueillis par Kevin Charnay