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Quentin Danloux : « J’habite juste à côté de chez Nairo Quintana »
Personne ne le connaît. Pourtant, il a osé ce qu'aucun autre Français n'a envisagé avant lui. À seulement 18 ans, Quentin Danloux s'est engagé avec un club colombien. Le 16 janvier dernier, il quittait définitivement l'Espagne où il a grandi pour le Patriotas Boyacá, à Tunja. Le voilà, 8100 km plus loin, 2800 m plus haut, seul, dans un pays dont il ne connaissait rien avant d'y mettre les pieds, face à un défi qu'il fallait avoir les couilles de tenter.
À l’heure où tout bon footballeur sud-américain rêve de partir en Europe, Quentin Danloux, natif de Bordeaux, mais adopté par l’Espagne à ses trois ans, a décidé de faire le chemin inverse. Le Patriotas Boyacá, club de Tunja, la ville la plus haute de Colombie, est venu le chercher au FC Novelda et lui a offert son premier contrat pro. Aujourd’hui, il voit son adaptation à l’altitude, aux pelouses naturelles et à la culture colombienne freinée par le Covid-19. Confiné dans les montages de Tunja, celles-là même qui ont vu Jeannie Longo devenir championne du monde du contre-la-montre en 1995, le milieu défensif revient sur cette expérience inédite, un peu plus de quatre mois après son arrivée.
En Europe, on a beaucoup de préjugés sur la Colombie – le danger, la drogue, etc. Toi, qu’est-ce que tu en penses ?Il n’y a rien de tout ça. Ces histoires remontent à plus de dix ans en arrière. Moi, je suis à Tunja, c’est hyper sécurisé, je m’y sens bien. Même à Bogota, où je suis allé deux jours, je ne me suis pas du tout senti en danger. Quand je suis arrivé à Tunja, je venais d’avoir 18 ans, mon père m’accompagnait et s’il avait vu des histoires de drogue ou de violence, il ne m’aurait jamais laissé signer. En plus, j’habite dans l’immeuble juste à côté de chez Nairo Quintana. Je ne lui ai jamais parlé, mais, une fois, je l’ai vu aller faire ses courses.
Comment les gens le considèrent à Tunja ?C’est une légende ! D’autant plus que le cyclisme est très réputé en Colombie.
Tu as été bien accueilli ?Je me rappelle le jour où je suis arrivé à Tunja. Je suis le petit jeune de 18 ans, avec son sac sur le dos, venant d’Europe avec son père.
Après avoir passé 24 heures sans dormir, dont 10 heures d’avion, nous atterrissons à 1h30 du matin à Bogota. Un chauffeur du président César Guzmán nous récupère et nous emmène directement à Tunja, de nuit, pour arriver à 5h du matin à l’hôtel qui nous a été réservé par le club. Nous rentrons dans nos chambres, il est 5h30, deux heures avant le début de l’entraînement. Je ne dors pas, bien sûr. J’ai la pression parce que je ne sais pas où je mets les pieds. Le président m’avait dit de dormir et de commencer le jour suivant, mais impossible pour moi : je veux vraiment être présent le jour de la reprise. J’entre dans le vestiaire, et là, je n’ai même pas le temps de saluer tout le monde que les joueurs se lèvent et s’approchent vers moi pour me souhaiter la bienvenue. Ça m’a vraiment fait chaud au cœur et mis en confiance. En moins de trois minutes, ça commence déjà à chambrer sur les Français et les Espagnols. Bien sûr, toujours en rigolant, et ça j’ai adoré. Ensuite, on commence à m’expliquer que si je reste, je vais devoir me raser la tête à blanc ! Je flippe un peu, mais cela ne change pas mon état d’esprit.
Du coup, tu t’es retrouvé avec la boule à zéro ?Oui, mes coéquipiers ont bien rigolé quand il m’ont rasé la tête après avoir signé mon contrat professionnel avec Patriotas. Je dois avouer que moi, j’ai moins ri quand je me suis vu dans la glace… J’ai dû porter une casquette pendant plus d’un mois et je la porte encore. Ma grand-mère qui a vu la photo en a pleuré et j’ai dû lui faire croire que c’était une blague, un photo montage. Elle m’a demandé de l’appeler en Facetime, je lui ai dit que, depuis la Colombie, ça ne fonctionnait pas. Quant au reste de ma famille, ils ont beaucoup ri aussi, je ressemblais à un moine bouddhiste. (Rires.)
Comment se déroule ton adaptation à ta nouvelle vie ?Très bien. Le président a chargé une personne du club de me trouver un appartement meublé et de très bonne qualité avec trois chambres pour pouvoir recevoir ma famille, c’est déjà une première aide importante. Ensuite, je mange tous les jours avec certains de mes coéquipiers, les plus anciens veulent toujours que je sois avec eux le midi. Exequiel Benavídez, le capitaine, qui joue au même poste que moi, me conseille et m’a d’ailleurs laissé son téléphone dès le jour de mon arrivée en me disant que, si j’avais besoin de quoi que ce soit, je n’hésitais pas à l’appeler. J’ai trouvé ça vraiment adorable. Il n’y a aucune tension entre les joueurs. Ici, la première question, c’est : « Est-ce que tu as une copine ? » Dans le vestiaire, ça parle de filles… Mais seulement avec les célibataires ! (Rires.) Et puis, il y a leur accent et leurs mots employés qui ne sont pas toujours les mêmes qu’en Espagne. Par exemple, la première fois où on m’a proposé un tinto (un café, N.D.L.R.), j’ai refusé en disant que je ne buvais pas de vin. Tout le monde s’est mis à rire. Je commence a m’y habituer, même si des fois, je suis obligé de faire répéter… Sauf à l’entraîneur. Lui, même si je ne comprends pas, je ne dis rien. (Rires.)
Tu découvres également la culture colombienne.Dans les restaurants, ils ne sont pas radins sur les quantités, je finis rarement mes plats ! (Rires.) C’est une culture avec une mentalité différente, plus chaleureuse, plus ouverte, plus festive. Peut-être qu’on y prend les choses moins au sérieux et qu’il y a moins de prise de tête. J’ai l’impression qu’il n’y a jamais de stress. Ça m’amuse parce que j’ai toujours eu l’habitude de tout planifier. Mais ça ne me dérange pas, au contraire.
Tunja est à 2800m d’altitude. Comment se sont passés tes premiers entraînements ?Ça a été vraiment compliqué pour moi, car j’arrive d’Alicante, qui est au niveau de la mer. Le premier mois a été dur au niveau du souffle. Là, je me suis adapté et je me sens vraiment bien.
Je savais que j’allais débuter dans peu de temps, mais à cause du coronavirus, tout a dû s’arrêter.
Qu’est-ce qui t’a frappé quand tu es arrivé ?Le plus marquant, c’est le physique des joueurs. Le premier jour, dans les vestiaires, j’ai flippé. Ils ont des corps de fou ! Musculairement, c’est des monstres. Ils sont beaucoup plus musclés qu’en Espagne en général. Là-bas, aussi, il y en a des costauds, mais ici, c’est tout le monde. Du coup, je travaille en muscu tous les jours pour rattraper mon retard. Au niveau du jeu et de la tactique, je pense que j’ai déjà le niveau. Pour la musculature, il me reste encore du travail, et le Covid-19 ne m’a pas aidé. On va dire qu’il me manque un trimestre pour la partie musculation. Il ne faut pas non plus oublier que je n’ai que 18 ans, donc je ne peux pas avoir le corps d’un joueur de 25. Même si je m’en rapproche, ça passe par le travail journalier.
Le football colombien est plus physique que le foot espagnol ?Oui, je pense vraiment que le côté très physique et rugueux est plus présent. En Europe, surtout en Espagne, tout est basé sur la technique, mais moins sur la musculation et l’impact physique. On prend plus de temps à partir de derrière et laisser l’adversaire se découvrir pour accélérer. En gros, on n’a pas peur de faire 30 passes avant de trouver la faille. Ici, tactiquement, c’est un jeu plus direct, on cherche plus vite les attaquants, c’est plus intense. Il y a peut-être moins de calcul qu’en Europe, où on est toujours en train d’étudier le jeu de l’autre. J’ai l’impression qu’on se concentre surtout sur notre jeu et non sur celui de l’adversaire.
En plus de l’altitude, tu découvres aussi les pelouses naturelles pour la première fois de ta vie.Oui, en Espagne, jusqu’en Segunda B, ce sont des terrains synthétiques. Sur l’herbe, le rebond n’est pas le même, il y a des défauts de temps en temps et les jambes sont plus lourdes. Ça m’a gêné au début et je dirais même encore un peu maintenant. Sur synthétique, si tu fais une erreur technique, c’est toujours de ta faute. Là, ça peut être le terrain et c’est pour ça qu’il faut être attentif.
C’est à cause de ça que tu t’es blessé ?En arrivant au deuxième jour d’entraînement, je me suis fait une entorse à la cheville. La blessure a été un ensemble de choses : c’était en fin d’entraînement, j’étais un peu cramé, je n’avais pas l’habitude avec le manque d’oxygène en altitude, le ballon m’arrive, je veux faire un extérieur du pied droit, je prends un trou, ma jambe suit parce que j’ai les jambes lourdes et la cheville tourne… Le premier mois a été très difficile sur le plan physique, mais pas sur le plan technique. Je pense que le staff l’a vu parce qu’ils m’ont souvent parlé et dit de jouer mon jeu, de ne pas me préoccuper du plan physique, que c’était normal. Ils m’ont expliqué que j’en avais au moins pour un mois à m’y faire.
Il a l’air d’y avoir une bonne ambiance dans le club.C’est vraiment une famille. Je ressens moins la pression de la concurrence. Les gens ne se prennent jamais la tête et si quelque chose ne va pas, ils se disent que ça ira mieux demain. Je n’ai jamais vu un joueur faire la gueule parce qu’il n’était pas convoqué ou qu’il était remplaçant. Si tu n’entres pas dans cet état d’esprit, je pense que tu ne restes pas longtemps dans le club.
Propos recueillis par Victor Massias