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- Referendum Brexit
Quel serait l’impact du Brexit sur le football britannique ?
Alors que l’Euro fait un break, l’Europe joue, elle, une partie de son avenir aujourd’hui. En cas de vote « LEAVE » au référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne, le pays ferait face à un chantier de réorganisation gigantesque, qui concernerait également le monde du football. Quelles seraient les conséquences d’une sortie de l’Union pour le beautiful game ?
Au Royaume-Uni, c’est le jeudi qu’on vote. Une règle qui remonte au XVIIe siècle, époque où le jeudi était jour de marché, ce qui évitait donc aux électeurs devant se déplacer en carriole de faire le voyage à la ville deux fois dans la semaine. On raconte également que le vendredi, jour de paie, et le week-end furent évités par crainte de voir des votants complètement saouls, et donc peu réfléchis, décider de l’avenir du pays. Ce 23 juin, cette tradition quelque peu désuète tombe à pic, en plein milieu d’un Euro pour lequel les trois home nations sont encore en lice. À un jour du scrutin, le vote « Remain » est devant, avec 51% des intentions de vote selon What UK Thinks. Mais la partie s’annonce serrée, et l’équipe du « Leave » pourrait bien l’emporter dans les arrêts de jeux. Et changer le visage du football britannique.
Réseaux sociaux et propagande
Dans la dernière ligne droite de la campagne, les vieilles gloires des Three Lions se font enfin entendre.
Mardi, David Beckham postait via Instagram une émouvante photo de célébration avec le King Éric. Le texte donne envie de se faire des bisous : « On était une meilleure équipe grâce à un gardien danois, Peter Schmeichel, au leadership d’un Irlandais, Roy Keane et au talent d’un Français, Éric Cantona. J’ai aussi eu la chance de jouer et de vivre à Madrid, Milan et Paris avec des coéquipiers de toute l’Europe et du monde entier. Ces grandes villes européennes m’ont accueilli moi et ma famille. […] Nous vivons dans un monde formidable et connecté dans lequel nous sommes plus forts ensemble. […] Pour ces raisons, je vote Remain. »
Dans la même veine, en un peu moins calibré, Rio Ferdinand défend lui via Facebook les vertus d’un monde soudé et plus propice au développement personnel de ses enfants. L’ancien roc des Red Devils ajoute un point de vue plus personnel, en dénonçant la place tenue par l’immigration au sein de la campagne. On pense notamment au rictus du leader d’extrême droite Nigel Farage, posant devant une affiche présentant une cohorte de réfugiés affluant vers l’Europe. Voilà pour la symbolique. Mais en matière de chiffres, combien de joueurs évoluant sur l’île du football seraient concernés par le Brexit ?
Arrivederci, vaarwell, adieu
Selon une étude menée par la BBC, 332 joueurs évoluant en Premier League, en Championship et dans la Scottish League pourraient perdre le droit de fouler les pelouses britanniques. Actuellement, un passeport européen suffit à David de Gea et Kurt Zouma pour porter les maillots des Red Devils et de Chelsea. En cas de Brexit, les joueurs issus de pays rattachés à Bruxelles devraient suivre les mêmes lois que celles des nations extérieures à l’UE. Selon les règles imposées par le Home Office, un joueur étranger doit déjà être un international établi dans sa sélection nationale. Oublié ainsi l’épanouissement de tous ceux qui ne sont pas prophètes en leur pays, comme Mikel Arteta.
Ce critère, qu’aucun joueur étranger du championnat écossais ne remplit, condamnerait également Dimitri Payet et N’Golo Kanté. Pourquoi ? Car un joueur provenant d’une nation du top 10 du classement FIFA doit avoir joué 30% des matchs de sa sélection sur les deux années antérieures à la demande d’un permis de travail. Pour les Frenchies, 17es du classement, et toutes les nations allant des rangs 11 à 20, c’est 45%. Arriverderci Angelo Ogbonna, pilier de West Ham, l’Italie étant 12e ; Vaarwel Memphis Depay et ses potes néerlandais, 14es ; adieu Anthony Martial, Jordan Veretout et Henri Saivet. Les critères se durcissent au fur et à mesure que l’on descend le fil du classement. Les joueurs issus des nations classées de 31 à 50 étant censés avoir disputé 75% des rencontres*. Un tel exode aurait sans doute pour effet une chute des droits de retransmission télé et des investissements des sponsors. Si Karren Brady, vice-présidente de West Ham et membre de la campagne Britain Stronger in Europecraint des « conséquences désastreuses » , d’autres y voient une opportunité.
Ils nous volent notre travail
Comme par exemple David James, mais surtout Sol Campbell, aujourd’hui membre gênant du parti conservateur. Dans une chronique publiée par le Mail Online, l’ex-coéquipier de Thierry Henry craint que la Premier League ne vire à la foire d’empoigne. « Quand je regarde jouer une équipe pleine de footballeurs étrangers médiocres, je me dis : « Où sont les jeunes talents anglais qui pourraient être à leur place ? » En ce moment, il n’y a pas trop de doute sur la réponse. » L’ancien d’Arsenal utilise l’habituelle rhétorique moquée dans South Park : « Ils nous volent notre travail. » Il aimerait ainsi mettre en place le système de filtre expliqué plus haut, ne recrutant que les meilleurs : la fameuse immigration choisie, prônée fut un temps par Nicolas Sarkozy. Histoire de toucher sa cible, le gros Sol appuie sur la fibre populiste : « Demandez à n’importe quel fan : ils veulent voir plus de gens de ce pays au plus haut niveau du football. »
Quelque part, freiner l’afflux d’étrangers pour laisser les petits Anglais éclore, fait écho au débat général sur la place du Royaume Uni dans l’UE : les Britanniques parviendraient-ils à garder le pays à flot sans le soutien de Bruxelles ? Rashford, Alli et Lingard suffiraient-ils à faire de la Premier League le championnat le plus suivi au monde ? Pour James Piotr Montague, référence en matière de littérature footballistique outre-Manche, c’est non. « C’est un argument stupide. La vitesse à laquelle la Premier League a évolué récemment est directement due aux étrangers. En plus de la question de la libre circulation des joueurs, il y aurait le problème de fluctuation des devises. George Soros prévoit une dévaluation de la livre allant de 15 à 20%. Cela représente beaucoup d’argent, au niveau des contrats. Pour quelqu’un comme Yaya Touré par exemple, il y aurait un gros manque à gagner et il voudrait renégocier. Cela pourrait coûter cher à tous les clubs. »
Too big to fail ?
Un manque à gagner pour Yaya, mais aussi pour l’économie britannique.
Selon Ernst & Young, les clubs de Premier League ont rapporté 2,4 milliards de livres au Royaume Uni sur l’exercice 2013/2014 et contribuent à hauteur de 3,4 milliards au PIB britannique. Selon le docteur Rogan Taylor, directeur du module sur l’industrie du football international à l’université de Liverpool, les autorités pourraient changer les règles pour limiter la casse : « Le football est toujours un dossier à part. En cas de Brexit, Boris Johnson aurait à répondre rapidement à des questions liées au sujet. On trouvera toujours une solution, juste pour le foot… » Un avis partagé par nombre d’experts, mais qui reste une supputation. En cas de sortie de l’UE, l’incertitude régnerait et pas seulement dans le monde du football. Inquiet, James Montague souffle : « Je suis britannique, mais je vis aux Pays-Bas. Avec ma copine néerlandaise et mon fils de sept mois, qui a un passeport néerlandais. Je ne sais pas quel serait mon statut en cas de Brexit. »
En cas de victoire du camp LEAVE, les statuts des joueurs de Premier League ne seraient pas directement touchés.
Le processus de sortie passe par des mois de négociation et prendrait de deux à cinq ans. Mais pour Montague, le mal serait déjà fait : « Ça envoie un message négatif aux joueurs étrangers : on ne veut pas de vous ici. On dit que les marchés anticipent les risques, les plus grands joueurs et les grands clubs le feraient sûrement aussi. Mais la Premier League serait quand même une option moins séduisante. On a déjà entendu des choses pas terribles pendant la campagne, mais en cas de Brexit, ça deviendrait encore plus sombre. La marque Premier League s’en retrouverait polluée. » À voir si le championnat anglais, déjà déclinant, pourrait s’en relever.
Par Thomas Andrei, à Londres
* Si une recrue se voit refuser son permis de travail, les clubs peuvent cependant faire appel. Pour obtenir gain de cause, ils doivent prouver que le joueur est capable de contribuer de manière significative au développement du jeu au plus haut niveau au Royaume-Uni.
Ce fut par exemple le cas lors de la signature de Willian pour Chelsea en 2013. Il n'avait alors joué que deux matche pour la Seleção.