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Quel pouvoir avait Negreira, le n°2 de l’arbitrage espagnol payé par le Barça ?

Par Servan Le Janne, à Barcelone
9 minutes

Depuis qu’il est suspecté d’avoir reçu autour de 7 millions d’euros de la part du Barça, José María Enríquez Negreira est sur toutes les lèvres. Mais quel pouvoir avait vraiment l’ancien vice-président du comité technique des arbitres ? Trois habitués du rond central qui officiaient à son époque répondent.

A Real Madrid fan protest against the corruption case involving Barcelona football team showing a banknote with the face of president Joan Laporta during the football match between
A Real Madrid fan protest against the corruption case involving Barcelona football team showing a banknote with the face of president Joan Laporta during the football match between Real Madrid and Barcelona valid for the semifinal of the “Copa del Rey” Spanish cup celebrated in Madrid, Spain at Bernabeu stadium on Thursday 02 March 2023 (Photo by Alberto Gardin/LiveMedia/LiveMedia/Sipa USA) - Photo by Icon sport

La semaine prochaine s’annonce chargée en Espagne. Le patron de la Liga, Javier Tebas, a convoqué une assemblée extraordinaire mercredi 19 avril pour évoquer l’affaire Negreira. Un nom qui commence à siffler aux oreilles espagnoles, puisque cet ancien numéro 2 du comité technique des arbitres (CTA) est suspecté d’avoir touché pas loin de 7 millions d’euros de la part du FC Barcelone. Tebas attend, lui, les explications du président du club catalan, Joan Laporta, qui s’est pour l’heure contenté de jurer qu’aucun arbitre n’avait été acheté. Cela n’a pas suffi à convaincre la Liga, la Fédération, le Real Madrid ou encore le Conseil supérieur du sport, qui se sont tous constitués partie civile dans un procès voyant le Barça être mis en examen pour « corruption ». Certains indices laissent supposer qu’il a « maintenu un accord verbal strictement confidentiel » avec Negreira afin d’être « favorisé par les décisions arbitrales lors de ses matchs », selon les termes du Parquet. Pour couper l’herbe sous le pied de son grand ami Tebas, Laporta a de son côté annoncé une conférence de presse le lundi 17 avril, mais aura fort à faire pour justifier les millions versés à Negreira qui, en tant que vice-président du CTA, avait les moyens d’influencer, d’une part, les désignations à l’occasion des rencontres, et d’autre part, les promotions et les relégations des hommes en noir.

Un système très présidentialiste

Incapable d’apporter le moindre document accréditant qu’il fournissait un service légal aux Blaugrana, Negreira a assuré à la Cadena Ser qu’il était chargé de leur assurer un « traitement neutre ». De quel pouvoir jouissait-il exactement ? Pour le comprendre, il faut rentrer dans le cœur du réacteur, parcourir les arcanes d’un organisme centenaire, le fameux comité technique des arbitres (CTA) où œuvrait l’intéressé. Fondé en 1922, le CTA est un peu l’équivalent de notre Direction technique de l’arbitrage. Il s’occupe principalement d’évaluer et de répartir les arbitres entre les différents échelons du football espagnol. Son patron est nommé par le président de la fédération espagnole (RFEF), auquel il est subordonné. À l’image d’un Premier ministre, ce patron lui propose ensuite une équipe dirigeante. « C’est un système très présidentialiste », compare Iñaki Fernández Hinojosa, arbitre de deuxième division entre 1997 et 2005. Pendant les huit années que ce Madrilène a passées dans l’antichambre de l’élite, la hiérarchie n’a pas bougé. Le président de la fédération de l’époque, Ángel María Villar, a maintenu sa confiance à Victoriano Sánchez Arminio, qu’il avait mis à la tête du CTA en 1993. Devenu son vice-président un an plus tard, José María Enríquez Negreira est resté en fonction jusqu’en 2018. Son départ coïncide avec l’arrêt des paiements de la part du Barça.

Comme Villar était basque et Arminio cantabre, ils ont désigné un Murcien, un Galicien et un Catalan aux trois postes de vice-présidents. C’était une façon de satisfaire différents comités territoriaux et de faire en sorte que tout le monde soit content.

Iñaki Fernández Hinojosa

Ayant distribué des cartons pendant 17 ans, Negreira était bien placé pour le poste. D’autant qu’il est né à Barcelone, un détail qui avait déjà son importance. « Comme Villar était basque et Arminio cantabre, ils ont désigné un Murcien, un Galicien et un Catalan aux trois postes de vice-présidents, expose Hinojosa. C’était une façon de satisfaire différents comités territoriaux et de faire en sorte que tout le monde soit content. » « Comment voulez-vous gouverner un pays où il existe 246 variétés de fromage ? » aurait dit le général de Gaulle pour donner une idée de la complexité française. De l’autre côté des Pyrénées, dans un royaume qui compte 17 communautés autonomes et 19 fédérations régionales, la RFEF doit veiller à promouvoir des dirigeants aux origines diverses si elle veut conserver un semblant d’équilibre.

L’homme de l’ombre

Pour autant, Enríquez Negreira n’était pas vu comme un dirigeant à la solde du Barça. « Il n’avait pas l’image de quelqu’un de partisan, assure Alfonso Pérez Burrull, arbitre de première division entre 1997 et 2010. Et s’il avait tenté quoi que ce soit, nous ne l’aurions de toute façon pas permis. » Son ancien collègue, Manuel Pérez Lima (au sifflet en D1 de 2005 à 2007), abonde : « Je peux vous garantir notre honnêteté à 100 %, nous ne savions rien de ce que Negreira faisait en coulisse. » Il faut dire que José María Enríquez Negreira était plutôt un homme de l’ombre, que la plupart des arbitres ne faisaient que croiser à l’occasion des réunions techniques, deux ou trois fois par an. Et encore, il prenait rarement la parole. « On ne l’entendait que quand il nous appelait, de la part du président, pour nous annoncer si on était promus ou relégués dans une autre division », promet Alfonso Pérez Burrull. Iñaki Fernández Hinojosa va même jusqu’à affirmer que « les vice-présidents jouaient un peu le rôle de secrétaires de Victoriano Sánchez Arminio ». De plus, Negreira n’était pas directement impliqué dans le choix des arbitres pour les rencontres de première et de deuxième divisions. Un comité de désignation présidé par Arminio s’en chargeait. Quant aux promotions et aux relégations, elles étaient décidées sur la base de la moyenne obtenue par les hommes en noir. Du moins en principe.

Photo by Icon Sport
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À chaque rencontre, un observateur se déplaçait pour juger la qualité du trio au sifflet à partir de certains critères comme la condition physique, l’autorité ou la faculté de jugement dans certaines zones. « Sauf que les arbitres ne montaient pas en fonction de ces notes, s’insurge Hinojosa. Le CTA appliquait un indice correcteur pour favoriser ceux qu’il avait envie de favoriser. Entre nous, on l’appelait l’indice corrupteur. » En d’autres termes, les dirigeants de l’arbitrage prenaient des libertés avec le classement. À la fin de la saison, ils attribuaient des points de bonus qui en avantageaient certains au détriment des autres. Sur des documents du CTA publiés par le quotidien ABC, on peut voir qu’un correctif était bel et bien appliqué aux moyennes. En froid avec Arminio depuis sa participation à un mouvement de grève, Hinojosa estime ainsi avoir fait les frais de ce système un rien discrétionnaire. Alors que la presse et les équipes l’ont nommé meilleur juge de deuxième division à plusieurs reprises, il n’a jamais vu l’étage supérieur. « Le fonctionnement du CTA n’est ni très juste ni très transparent, estime Manuel Pérez Lima. Mais je ne crois pas que les promotions soient décidées pour des motifs personnels. » Selon lui, l’indice correcteur pouvait servir à prendre en compte l’expérience ou à assurer la présence d’arbitres d’origines variées dans un même championnat.

Le fonctionnement du CTA n’est ni très juste ni très transparent. Mais je ne crois pas que les promotions soient décidées pour des motifs personnels.

Manuel Pérez Lima

S’il admet que cette façon de faire n’est pas parfaite, Alfonso Pérez Burrull voit de l’aigreur dans les critiques de son collègue : « Ceux qui se plaignent du système parce qu’ils ne sont pas promus devraient reconnaître qu’ils ont bénéficié de ce même système pour arriver là où ils en sont. » De son côté, Hinojosa assure que le CTA n’hésitait pas à débarquer les brebis galeuses et qu’il n’a dû son salut qu’au soutien de la presse et des joueurs. Quoi qu’il en soit, Negreira disposait de marges de manœuvre limitées. En tant que vice-président, il était complètement inféodé à Victoriano Sánchez Arminio, lui-même placé sous la coupe d’Ángel María Villar. Cela n’a pas empêché le FC Barcelone de verser autour de 7 millions d’euros à ses entreprises Dasnil y Nilsad entre 2001 et 2018. Selon les décomptes, facture par facture, la presse espagnole arrive à un total situé entre 6,6 et 7,5 millions d’euros. En parallèle, le club rémunérait son fils, Javier Enríquez Romero, à travers un chapelet de sociétés. Contrairement à Negreira, ce dernier a apporté des preuves matérielles de son travail, qui consistait à analyser les prestations des arbitres de Liga pour permettre au Barça de savoir à qui il avait affaire.

Sur la trace du biff

À l’été 2017, alors que le Barça de Messi vient de céder le titre au Real Madrid pour trois petites unités, Ángel María Villar, Victoriano Sánchez Arminio et José María Enríquez Negreira sont toujours à la barre. Mais les choses sont sur le point de changer. Le 18 juillet à 8h30, le président de la RFEF est arrêté chez lui et emmené au poste pour un interrogatoire de plus de douze heures. Suspecté de corruption et de détournement de fonds dans le cadre de l’opération Soulé, il est chassé de son poste quelques mois plus tard. À ce jour, Villar n’a toujours pas été jugé. Son remplaçant, Luis Rubiales, met fin aux fonctions de Victoriano Sánchez Arminio – plus tard mis en examen dans l’opération Soulé –, ce qui provoque le départ de José María Enríquez Negreira. Aussitôt, les factures qu’il envoie au Barça restent lettres mortes. Alors Negreira se fâche et menace le président de l’époque, Josep Maria Bartomeu. « Je n’ai aucune animosité personnelle envers quiconque au club ni aucune volonté de rendre publiques toutes les irrégularités dont j’ai eu connaissance et dont j’ai pu faire directement l’expérience, écrit-il dans un courrier dévoilé par El Mundo. Mais vous m’obligeriez à le faire si vous ne reconsidérez pas votre décision et ne remplissez pas l’accord que nous avions en continuant à recourir à mes services jusqu’à la fin du mandat présidentiel. »

Encore une fois, l’ancien arbitre ne reçoit officiellement ni réponse ni paiement. La longue période d’au moins 17 ans durant laquelle il faisait du Barça sa vache à lait se referme. Où est allé tout cet argent ? Si l’on en croit le journal en ligne El Confidencial, le patrimoine de Negreira n’a guère évolué. Le dirigeant a en revanche retiré 550 000 euros en liquide entre 2016 et 2019. La justice cherche désormais la trace de ces billets, et l’UEFA a lancé une enquête. « Si on arrive à retrouver l’argent, je pense qu’on aura bien avancé », songe Iñaki Fernández Hinojosa. « Il est essentiel de savoir ce qu’il s’est passé pour qu’on puisse être sûr qu’aucun match n’a jamais été affecté », ajoute Alfonso Pérez Burrull. Joan Laporta ne répondra sans doute pas à toutes ces questions lundi 17 avril, pas plus que Javier Tebas deux jours plus tard. Mais le président de la Liga n’a pas seulement prévu d’évoquer l’affaire Negreira. Il doit aussi donner des pistes pour réformer le CTA et l’arbitrage espagnol dans son ensemble. Vaste projet.

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Par Servan Le Janne, à Barcelone

Propos de Iñaki Fernández Hinojosa, Manuel Pérez Lima, Alfonso Pérez Burrull recueillis par SLJ.

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