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« Quel numéro 9 est aujourd’hui meilleur que Falcao dans le monde ? »
Fils d'Omar, Ballon d'or 1961, Nestor Sivori est l'homme qui a fait venir Falcao en Argentine et qui a représenté le Colombien pendant ses années à River Plate. L'agent donne rendez-vous comme dans un James Bond : sur un bateau d'un quartier riche de la banlieue de Buenos Aires, avec corbeille de fruits en plastique et tasses de café tout en dorure. Sous une humidité écrasante et les 35 degrés de rigueur, Nestor est visiblement content de parler. Une question et la machine est lancée : Sivori retrace l'histoire de Falcao, du moins la sienne, celle qui s'arrête au moment où Jorge Mendez entre dans le game.
Falcao est arrivé très jeune en Argentine, à 14 ans. Comment l’avez-vous découvert à cet âge ?Je suis ami avec Jorge Gordillo, qui est aujourd’hui entraîneur des jeunes de River Plate. Une nuit, il m’appelle et on se rencontre au restaurant La Cantina de David. Jorge m’a alors parlé d’un gamin colombien, qui allait sur ses 14 ans et qui voulait à tout prix venir dans le football argentin. À l’époque, j’étais sceptique parce que ça me paraissait très jeune pour quitter son pays et sa famille.
Vous décidez pourtant de le faire venir… Falcao était déjà venu en Argentine pour jouer un mondial des jeunes dans le Sud de l’Argentine. Il était resté un mois et avait fait des tests dans certains clubs, à Velez notamment je crois, mais rien ne s’était concrétisé. De mon côté, après avoir rencontré Jorge, j’ai pris des infos. On m’a dit que le gamin était très mature pour son âge, qu’il était absolument convaincu de vouloir venir. Et me demandez pas pourquoi, parce que je serais incapable de vous le dire, mais j’ai décidé de lui envoyer un billet d’avion. C’était la première fois que je faisais venir un jeune d’un autre pays ici. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut prendre à la légère : il fallait assumer la responsabilité du futur du gamin, non seulement comme footballeur, mais aussi comme personne.
Vous vous rappelez de votre première rencontre avec Falcao ? C’était à 6 heures du matin, à l’aéroport. Quand il est sorti de la chambre de débarquement, je ne le connaissais pas, mais j’ai tout de suite su que c’était lui et qu’il s’agissait d’une personne spéciale. Falcao a un charisme et une lumière personnelle qui l’ont toujours distingué des autres. Sa manière de marcher, de se présenter, je ne sais pas, il a quelque chose de spécial. La plupart des choses qui lui sont arrivées dans la vie sont hors du commun. Et en général, c’est lui qui l’a généré.
Comment s’est passée l’intégration de Falcao à River Plate ? Il s’est acclimaté rapidement ? River Plate l’a signé après seulement quelques entraînements. Cette même année, il est allé disputer la Copa Nike en Allemagne. Il finit meilleur buteur et meilleur joueur du tournoi. C’est là qu’on a commencé à voir sa personnalité et son leadership.
Pourtant Falcao explose plutôt sur le tard et met du temps à s’imposer en équipe première… Radamel aurait dû arriver bien avant en première division. Mais il n’a pas eu de chance avec les blessures. River Plate a commis la grande erreur d’entraîner un gamin de 14 ans avec la même charge de travail qu’un adulte. Il a alors eu une pubalgie qui s’est terminée par une intervention chirurgicale. Comme il était à la pension de River, je l’ai fait venir un mois chez moi, pour qu’il récupère tranquillement. Quand il revient, il se fait une sévère entorse à la cheville. Ensuite, pareil : « Mostaza » Merlo le fait jouer titulaire, il enchaîne plusieurs matchs où il marque à chaque fois. Et puis il joue contre San Lorenzo et se détend le ligament externe du genou. Les médecins lui recommandent du repos. Passarella devient alors entraîneur de River et joue son premier match en Libertadores contre une équipe bolivienne. Malgré les indications de repos, Passarella fait entraîner Falcao, en pensant lui faire jouer ce match. Falcao ne vous le dira jamais, mais je vous le dis, moi : le seul responsable de sa rupture des ligaments, c’est Passarella, par égoïsme. Au final, ces trois blessures lui ont fait perdre au moins deux ans.
D’accord, mais même en pleine possession de ses moyens, il est parfois franchement nul à River. Il fait même partie de l’équipe qui finit dernière du Tournoi d’ouverture 2008... Je ne crois pas qu’il ait mal joué. Il n’a juste pas eu la chance d’intégrer une grande équipe de River. Falcao était un grand joueur dans une petite équipe. Il faut aussi que les entraîneurs sachent exploiter le maximum d’un footballeur. Mostaza Merlo et Simeone ont été les seuls à se rendre compte de la dimension du footballeur qu’il allait devenir.
À l’été 2008, plusieurs grands clubs européens s’intéressent à Falcao, pour lequel River demande 20 millions de dollars. Finalement, River refuse les différentes propositions pour le céder un an plus tard à Porto pour 5 millions d’euros. Qu’est-ce qui s’est passé ? En fait, ces propositions ne sont jamais arrivées, c’est faux. Il y a eu seulement une offre du Deportivo La Corogne, mais Falcao ne l’a pas acceptée. Il a préféré rester à River à ce moment-là. Je me rappelle aussi d’un match à San Nicolas, peu de temps après son arrivée en Argentine. On y est allé avec mon père et avec Roberto Bettega, le président de la Juve. Bettega est reparti stupéfié par la qualité de Falcao. Mais la Juventus a changé de direction juste après…
Falcao débarque finalement à Porto en 2009, à 23 ans. C’est un peu tard pour arriver en Europe, non ? Au contraire, je pense que Falcao a quitté River au bon moment. S’il était parti avant, il aurait commis une erreur. Quand il est arrivé à Porto, il avait la maturité suffisante pour s’imposer là-bas et c’est ce qui s’est passé : il a enfilé le numéro 9 et il ne l’a jamais lâché. Il a mûri très rapidement à River parce que le football argentin présente l’énorme avantage d’avoir un très bon tournoi d’équipe réserve, qui se joue le dimanche, avant les matchs de première division. Quand il avait 15-16 ans, Falcao jouait déjà des River – Boca devant des stades pleins.
Falcao est aujourd’hui un évangéliste fervent. Il l’était déjà dans sa jeunesse ? Il a toujours été très religieux. Il était tout le temps à l’Église et allait aux cérémonies le week-end. Il a même rencontré sa femme là-bas. Il a aussi parlé dans un grand rassemblement qu’un pasteur américain a fait sur l’avenue 9 de Julio. Je crois que cette foi religieuse l’a aidé à dépasser les moments difficiles. Seuls lui et ses proches savent à quel point ces trois blessures ont été dures pour lui. N’importe quel autre gamin aurait abandonné. Lui n’a jamais douté. Jamais.
Vous étiez à son mariage ? Oui, bien sûr, Falcao, c’était comme notre enfant. Il est venu avec Lorelei à la maison, pour nous la présenter. Je ne lui avais connu aucune fille avant elle. Et je lui ai offert le costume avec lequel il s’est marié. Falcao aime bien s’habiller. S’il n’avait pas été footballeur, il aurait été mannequin, je crois. Surtout, si Falcao est un extraordinaire footballeur, c’est avant tout une personne exceptionnelle. Il prend soin de lui, n’a aucun vice. Il ne fume pas, il ne boit pas. Il travaille et s’entraîne énormément. Il a l’amour pour le football. Il a tout ce qu’un footballeur doit avoir pour être un grand. Enfin, il l’est déjà : qu’on me dise quel numéro 9 est aujourd’hui meilleur que Falcao dans le monde ?
Aujourd’hui vous n’êtes plus l’agent de Falcao, qui est représenté par Jorge Mendes. Que s’est-il passé ? Vous n’avez pas besoin que je vous dise que le football d’aujourd’hui est parfois cruel. C’est seulement un business. Jorge Mendes a fait comme d’habitude. Le football, c’est ça. Et Jorge Mendes, c’est ça. Je n’ai même pas fait l’effort de le rencontrer pour essayer de négocier quelque chose. Je connais Jorge Mendes, son organisation, ses méthodes, comment il travaille et comment il se comporte dans la vie. Jorge Mendes, un jour ou l’autre, devra rendre des comptes. Chacun choisit comment il veut traverser la vie. Moi, j’évolue d’une manière et Jorge Mendes d’une autre. Sauf qu’on est tous mortels. Et je suis convaincu que là-haut, je ne retrouverai pas Jorge Mendes.
Propos recueillis par Pierre Boisson