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Quel milieu Deschamps peut-il dessiner ?
Blaise Matuidi, Paul Pogba, Moussa Sissoko, Morgan Schneiderlin, Yohan Cabaye… En deux matchs, Didier Deschamps a essayé plusieurs combinaisons au milieu de terrain. Du double pivot du Stade de France au milieu à trois de Belgrade, quelles sont les options du sélectionneur français ?
« Sur le terrain, on a eu l’air de touristes. À la différence près qu’on n’a pas eu besoin de payer pour entrer » , disait le Serbe Vujadin Boškov quand sa Sampdoria décevait. Hier soir, les Bleus n’ont pas eu besoin de décevoir pour sembler en visite à Belgrade : ils jouaient simplement un match amical de plus à presque deux années de leur prochain match à enjeu. En tout, il y en aura onze jusqu’à octobre 2015. Jouer sans enjeu, voilà l’un des soucis des Bleus. Car sans public qui pousse et qui influence l’arbitre, sans arbitre qui décide du sort d’un match sur un détail ou deux, sans véritable duel au milieu de terrain, un match de préparation n’en est pas vraiment un. Dans ce contexte, comment bouleverser les hiérarchies ? L’expérience risque de manquer. Hier, les Bleus ont laissé Nemanja Matić dominer la scène. Heureusement, l’intensification de la concurrence pourrait finir par pousser les individualités vers le haut malgré le manque de compétition, d’où l’importance du rôle du sélectionneur.
Des options d’ « équipe développée »
La France s’est réveillée du Mondial 2014 avec une certitude : elle peut changer de système et continuer à jouer avec la même dynamique, les mêmes automatismes. Moussa Sissoko, Olivier Giroud, Rémy Cabella sont tous des preuves que la France peut commencer un match d’une façon et le terminer d’une autre sans avoir besoin de remettre en question tout le chemin parcouru. Autrement dit, ce n’est pas parce que Giroud va claquer un doublé contre le Portugal ou l’Arménie que cela veut bouleverser les schémas de Deschamps. Et ce n’est pas parce que Moussa Sissoko va mettre trois mètres à Sergio Ramos à l’endroit où Fernando Torres avait humilié Michaël Ciani en 2010 qu’il va s’improviser titulaire indiscutable. L’équipe de France est enfin devenue une équipe qui travaille, se teste, essaye, sans se refaire du jour au lendemain. Et si c’était ça, « un groupe qui vit bien ensemble » ?
La conséquence, c’est que les Bleus vont arriver à l’Euro avec plusieurs systèmes et que, comme dans la majorité des « équipes développées » , le coach pourra choisir en fonction de la forme des hommes et des idées. En 1998, Aimé Jacquet avait attendu le quart de finale contre l’Italie, puis la demie contre la Croatie pour confirmer ses hommes au milieu de terrain. Un trio fait de Deschamps, Petit et Karembeu. Et avant ce quart de finale, Karembeu n’avait participé qu’à un seul match, contre le Danemark, pour du beurre. Ce jour-là, il avait joué arrière latéral.
Le pôle Pogba
S’il y en a un que personne n’imagine sur le banc au printemps 2016, c’est lui. À Turin, Pogba est arrivé en cours de route et s’est adapté à Andrea Pirlo. Mais Pogba n’est pas Marchisio : il a les épaules pour évoluer dans l’axe, aller chercher le ballon dans les pieds des défenseurs et venir dans la surface servir les attaquants. Dans le milieu à trois, il est évident que la Pioche ne peut être « que » le milieu de protection. Mais s’il est simplement l’un des deux relayeurs d’une équipe qui n’est pas idéologiquement attirée par la possession, il a tendance à se perdre, comme au Mondial : difficile de ne pas disparaître par moment quand ta mission est de jouer entre les lignes… S’il jouait devant deux milieux récupérateurs, les Bleus ne profiteraient pas de sa capacité à relancer, et si son jeu dos au but est étonnant, il ne peut se limiter à ce registre dans une zone où Valbuena est déjà bien installé. Alors, dans un milieu à deux, Pogba trouve sa place devant le numéro 6, à la Vieira, suffisamment protégé pour ne pas sacrifier ses pensées offensives, et dans un positionnement axial qui l’empêche de disparaître. La question est de savoir s’il peut autant faire jouer que jouer lui-même. A priori, oui, car Pogba est un milieu qui joue la tête levée. Justement, trois mois après l’arrivée de Vieira à Arsenal, Ian Wright affirmait que « ça faisait longtemps qu’on n’avait pas eu un milieu qui regarde d’abord l’appel de l’attaquant, puis les autres options » .
Matuidi n’est pas un numéro 6
Meilleur à gauche qu’à droite, Pogba était jusque-là bloqué par les montées de Matuidi. Un joueur qui, lui, joue plutôt tête baissée. En deux saisons, l’homme à la conduite de balle de mante religieuse est passé d’un extrême à l’autre. Trop aigu à son arrivée au PSG – limité au classique « contrôle-passe » – il serait devenu presque « trop polyvalent » . Au Mondial, la France a vu les deux Matuidi. Mais loin d’être indispensable devant la défense, force est de constater que sa valeur ajoutée est devenue l’imprévisibilité « agressive » de ses montées, celles qui ont fait tant de bien au PSG en C1, celles que seul Benzema semble comprendre (et tant mieux), mais aussi celles qui poussent Pogba vers la timidité et ce rôle « plus défensif qu’en club » , comme il l’avait expliqué au Brésil. Au-delà de la recherche d’un numéro 6, voilà le principal défi de Deschamps : exploiter la technique de Pogba et la verticalité de Matuidi tout en conservant le contrôle qu’apporte Valbuena. L’équation n’est pas simple : Pogba doit jouer près de l’axe et si possible du but, Matuidi est un joueur que le mouvement fait grandir. Bonus : avec Matuidi à gauche, Pogba et un 6 dans l’axe, et Sissoko à droite, Deschamps peut défendre avec agressivité sur toute la largeur sans présenter une équipe décousue offensivement.
Moussa Sissoko, le différent
Après cette série de bonnes performances, Sissoko a déjà gagné l’assurance d’être une arme secrète de Deschamps. La question est de savoir s’il va réussir à devenir la première, ou alors se ranger derrière Cabella ou Rémy. En clair, le milieu de Newcastle a deux années pour devenir le douzième homme des Bleus. Ça, c’est pour Sissoko le joueur de côté. En ce qui concerne l’autre Sissoko, le milieu de terrain axial que l’on voit démonter des défenses dans des transitions typiques de Premier League, celui-ci a moins d’avenir en équipe de France, du fait des qualités de ses coéquipiers. Mais c’est justement son passé de milieu défensif qui rend son profil d’ailier intéressant. Un homme qui peut venir débloquer un match et le fermer dans la foulée.
Yohan Cabaye, Morgan Schneiderlin et Rio Mavuba
Si Yohan Cabaye a su se faire une place de choix dans le onze de Deschamps, c’est en grande partie pour son jeu long – et sa mobilité. Mais sa candidature est entachée de quelques doutes : sa faculté à commettre des fautes de relayeur à un poste où cela ne pardonne pas (cette expulsion contre Évian…) et son faible temps de jeu à cette position. Il a également des concurrents. D’une part, le jeu long de Schneiderlin, qui semble pressé de démontrer à toute la France qu’il peut lui aussi distribuer rapidement des deux côtés. Plus grand, plus costaud et dans une situation plus stable en club, l’Alsacien est peut-être le joueur qui a le plus profité du match de Belgrade. D’autre part, la mobilité de Rio Mavuba. Si l’ex de Villarreal devrait avoir un rôle plus psychologique que tactique dans le groupe de 2016 – l’homme est habitué, après dix années de football international et seulement 13 sélections – le fait est qu’il connaît mieux le métier de numéro 6 que Cabaye, avec qui il évoluait à Lille. Évidemment, une titularisation ne deviendrait possible que dans la situation où le dénouement de l’interrogation tactique Pogba-Matuidi viendrait à exiger beaucoup plus de protection au milieu. C’est improbable, mais comme le dit si bien Vicente del Bosque, « l’âge n’est pas un mérite, c’est un état » .
Et les autres ?
Si Yann M’Vila est enfin de retour au premier plan, et pourrait bien être l’assise dont les Bleus manquent au milieu, la dernière conférence de presse de Walter Mazzarri semble indiquer qu’il va falloir attendre un peu : « L’envie et l’enthousiasme pour comprendre les nouvelles indications tactiques ne lui manquent pas, il a un vrai esprit de sacrifice. Il faut qu’il retrouve une bonne condition athlétique après quelques années loin de son meilleur niveau. » D’autres ont encore le temps de gagner leur place sur le tableau : Maxime Gonalons, Étienne Capoue, Josuha Guilavogui, Clément Grenier ou encore Adrien Rabiot. En 2016, le Parisien aura le même âge que Vieira en 1998, c’est-à-dire un an de plus qu’Henry et Trezeguet.
Par Markus Kaufmann
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