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Quel est le visage tactique de Luis Enrique ?
Après la transition Vilanova-Roura et la tentative de rupture de Tata Martino, que vient faire Luis Enrique ? De qui s'inspire-t-il ? Comment a-t-il fait jouer ses équipes précédentes ? Est-il si guardolesque que ses costumes peuvent le faire croire ? En conférence de presse mercredi, Luis a tenu à rappeler à tout le monde qu'il savait bien où il mettait les pieds : « Il n'y a rien de mieux que le ballon pour défendre. L'idée footballistique sera forcément liée à ce qu'est le Barça depuis des années », avant de parler courageusement d'« évolution » et d'« amélioration » pour « pouvoir surprendre l'adversaire ». Alors, rupture ou continuité ?
Quand il reprend le Barça B, l’équipe n’a vécu qu’une seule saison au contact de Pep Guardiola, avec une première place en Tercera. Arrivé en Segunda B, Luis finit 5e, puis deuxième et monte en deuxième division en 2010. Cette saison-là, la réserve barcelonaise obtient le meilleur classement de son histoire en Segunda avec une troisième place. Un exploit qui fait du bruit et qui convainc la Junta que l’homme a les capacités tactiques et techniques pour le plus haut niveau, d’où le choix de la direction cette semaine, indépendamment de ses expériences mitigées en Serie A et en Liga.
Retour sur la « défaite » romaine
Si l’expérience de Luis Enrique au plus haut niveau ne donne pas de garanties au FC Barcelone, c’est avant tout à cause de l’échec romain. « Une défaite » , comme lui-même l’avait résumé à la fin de la saison 2011-12. Pour Marco Cassetti, « Luis Enrique a été arrogant et est arrivé à Rome en sous-estimant la Serie A » . Une version plus ou moins confirmée par le principal intéressé : « Au début, je ne pensais pas que j’allais connaître autant de problèmes. » Pourtant, au départ, la promesse était belle. Walter Sabatini avait une immense confiance en son choix : le choix « symbolique » d’une personnalité « ne venant pas du monde de la Serie A, une personne non contaminée » . Pour Luis Enrique, le projet était clair : « Je veux jouer d’une façon attractive. Nous allons attaquer beaucoup. Je ne connais pas d’autre football. Nous nous dirigeons vers un changement complet d’idées et d’identité. Je ne suis pas venu ici pour ramener le modèle barcelonais, mais quelque chose de similaire. » Finalement, seul l’Espagnol aura tenu ses engagements. D’une part, le schéma tactique de la Roma est véritablement adapté aux idées de son nouveau coach. De Rossi est brillant dans un rôle à la Busquets/Motta/Van Bommel, et Luis Enrique fait venir des milieux mobiles comme Pjanić et Gago pour s’assurer la possession. Sur les ailes, l’Asturien fait venir José Angel de Gijón, qui s’impose rapidement à gauche comme un pur latéral offensif. À droite, les choix de Lucho sont symboliques de cette envie de ballon : plutôt que de choisir des défenseurs de formation, le Mister reconvertit Taddei et même parfois Perrotta en latéral.
C’est dans la finition que la Roma connaît le plus de difficultés. Fabio Borini est une révélation, mais pas un fuoriclasse. Bojan connaît les mouvements, mais pas le championnat. Osvaldo ne se défait pas de sa nature d’avant-centre de surface, et Lamela revient bien trop souvent à l’intérieur. La Roma donne l’impression de faire beaucoup de passes autour de la surface sans jamais trouver de juste équilibre. Une question d’hommes, et de temps. Enfin, Luis Enrique fait jouer des jeunes, même en Italie. L’Olimpico n’a pas oublié les prestations de Federico Viviani devant sa défense, lancé contre la Juve à 19 ans. Depuis, il est envoyé en prêt de village en village… Mais Luis Enrique aura finalement été victime de ses résultats. La Roma finit non seulement septième, mais perd tous ses matchs importants : le play-off contre Bratislava, la Coupe d’Italie en quarts contre la Juve (3-0) et les deux derbys. Contre les six premiers du classement (Juve, Milan, Udinese, Lazio, Inter, Naples), Lucho ne gagne que 12 points sur 36. Comme le répètent Mourinho, Benítez ou Mancini, la Serie A reste le championnat le plus exigeant tactiquement. Mais qui sait ce qui aurait pu arriver si l’Espagnol était resté plus longtemps dans la ville éternelle ? Il a d’ailleurs justifié ainsi la fin de son expérience italienne mercredi : « C’était un projet qui devait durer de trois à quatre ans… »
L’apprentissage de la Liga à Vigo
Au Celta, Luis Enrique revient dans le Nord de l’Espagne, mais récupère l’effectif d’un seizième de Liga. Après une saison où Luis apprend à connaître les rouages de la Liga vus du banc et après une fin de saison extraordinaire – le Celta est leader sur les six dernières journées – les Galiciens finissent neuvièmes et font du bruit en éliminant le Real de la course au titre. Dans un club avec si peu de moyens, et une équipe qui finit avec plus de buts encaissés que de buts marqués, forcément, l’analyse des idées de jeu est limitée. Ce qui comptait, c’était avant tout le maintien. Mais si l’on se souviendra que Luis Enrique aura perdu deux fois 3-0 contre Tata Martino, on se souviendra aussi qu’il aura fait passer le Celta Vigo de 48% de moyenne de possession à 54% (6e de Liga), et de 76% de passes réussies à 80% (5e de Liga). Oui, Luis Enrique aime le ballon. Au Barça B, Luis Enrique a démontré qu’il était un gagnant. À Rome, il n’a jamais flanché au moment de montrer ses idées de jeu. Et à Vigo, il a su allier ces idées et la nécessité de résultats. Mais si Barcelone conserve quelques craintes, c’est parce que l’Asturien ne fait pas de la possession un idéal absolu. Voilà : le Celta n’était pas le Rayo de Paco Jémez et son 60% de possession. Contre le Real, le Celta a même gagné sans la possession, et ça n’a pas empêché de dormir le nouveau coach du Barça.
Luis Enrique, un naturel vertical séduit par la possession
On a souvent fait le parallèle, peut-être inconsciemment. Les costumes. Les années communes sous Van Gaal et les autres. La succession au Barça B, en 2008. Comme si c’était un enchaînement naturel, comme si le Barça allait systématiquement se mettre à confier son équipe première à l’entraîneur de la réserve, et l’équipe réserve à un ancien capitaine. Mais voilà, en plein milieu de sa présentation officielle, après une série de questions sur ses intentions de jeu, Luis Enrique insiste : « Arrêtez de me comparer à Pep. » Partons du joueur. Sans faire dans le Samuel Eto’o ( « Guardiola n’a jamais été un grand joueur » ), Luis Enrique aura été un joueur plus déterminant que Pep. Jamais écarté ni ignoré, du moins. Mais surtout, un joueur différent. Symbole de verticalité, milieu relayeur converti latéral droit, puis milieu offensif et buteur en toutes occasions, on aurait même pu spontanément penser que les idées de Luis Enrique l’entraîneur seraient pleines de pegada, de llegada et de football direct.
D’autre part, Luis Enrique n’a pas l’ADN du Barça dans son sang, comme peut l’avoir Pep. Après tout, Luis est aussi catalan que l’était Figo, et il n’a pas grandi sous les ordres de Cruyff. Né et formé dans les Asturies, pays des mines, Lucho a découvert la nécessité de la possession avec Jorge Valdano, par finalité esthétique, puis sous Van Gaal et Rijkaard, par philosophie. Luis et le Barça, ce n’est qu’une histoire de timing, un transfert, deux envies communes. Loin du destin qu’a connu Pep. Alors, de qui descend Luis Enrique ?
De Boer : « Au Barça, il faut plutôt un gérant qu’un entraîneur »
De profils aussi variés que ceux d’Antić, Beenhakker, Del Bosque, Valdano, Robson et les Hollandais. Luis a donc connu un Barça aux multiples visages. D’où cette déclaration décomplexée : « Je veux un schéma tactique qui s’adapte aux joueurs et à nos prétentions. » Pep n’adaptait pas, il dictait. Luis évaluera, puis choisira. Il est encore trop tôt pour croire savoir ce que Luis Enrique voudra faire de Neymar, Messi et surtout Xavi. Mais peu importe si ses idées se rapprochent de celles de Pep ou non, le style de ce Barça est trop important pour être changé radicalement. Comme le déclarait le mois dernier Frank de Boer à la Gazzetta dello Sport : « Que peut-on apprendre à Messi et Iniesta ? Au Barça, il faut plutôt un gérant qu’un entraîneur. »
Et Luis Enrique l’a compris : « Un entraîneur de football est plus un leader qu’un entraîneur. Sa capacité peut se mesurer sur de nombreux aspects. Pas seulement tactiques ou techniques, mais aussi gérer les égos des joueurs et gérer un vestiaire. » Et si l’on peut comparer Luis Enrique à Guardiola sur un point, c’est bien là : l’intransigeance. Et l’ambition. En 2008, Pep avait tout changé. Les joueurs – Deco, Ronaldinho, Zambrotta –, mais aussi les habitudes, comme le racontait si bien Xavi : « Avec son arrivée, les exigences ont changé : avant, un kilo ici ou là n’avait pas d’importance. Quelques minutes en retard ne changeaient rien. À partir du moment où il est arrivé, chaque détail comptait. Pep était au-dessus de la montagne, et il nous observait comme un aigle. » Justement, Luis Enrique a répété qu’il aimait observer les entraînements du haut des gradins. Avant d’ajouter : « Et j’aime que mes joueurs soient très fatigués à la fin de l’entraînement. » Un leader qui entraîne aussi.
Par Markus Kaufmann
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