- Enquête
- Les têtes en l'air
- SO FOOT #173
Quel avenir pour le jeu de tête dans le foot ?
Des scientifiques le prouvent : les anciens footballeurs ont plus de chances de souffrir de maladies neurodégénératives que leurs semblables. Est-ce dû à la multiplication des têtes ? À l'imprudence des acteurs du foot vis-à-vis des commotions cérébrales ? Le football doit-il faire évoluer ses règles pour éviter un drame ? Les États-Unis et l'Écosse ont décidé d'agir en interdisant le jeu de tête chez les plus jeunes. Alors, quel avenir pour le jeu de tête dans le foot ?
Dans le sillage des États-Unis et de l’Écosse, la Fédération anglaise de football s’apprête à son tour à réglementer le jeu de tête chez ses jeunes licenciés. Comme révélé par le Times la semaine dernière, la FA est sur le point de lancer de nouvelles directives qui visent à limiter le nombre de coups de tête aux entraînements, de l’école de foot jusqu’à la catégorie U18 (sans pour autant interdire le jeu de tête en compétition, comme c’est le cas chez les plus jeunes en Écosse et aux États-Unis). Verra-t-on un jour les instances internationales abolir les coups de tête dans le football ? C’est improbable. Doit-on s’attendre à de nouvelles règles pour protéger la santé mentale des joueurs ? C’est plus crédible. D’ailleurs, le football a déjà changé dans ce sens.
Les équilibristes et Raymond Domenech
Dans les années 1980 et 1990, Bruno Roux, passé notamment par le PSG, le HAC ou encore le Stade rennais, était redoutable dans le jeu aérien. Quand on lui demande s’il s’épanouirait autant avec ses qualités dans le football actuel, sa réponse est « moins bien qu’avant » . Pour une raison simple : difficile de faire étalage de sa détente dans les airs, quand il est interdit de mettre les coudes pour prendre son extension au duel avec un adversaire. « Les arbitres sanctionnent les coudes écartés dans les duels aériens. C’est difficile pour eux de juger si c’est volontaire ou pas volontaire… Mais regardez tous les équilibristes, les sauteurs en hauteur : quelle est la première chose qu’ils font avant de sauter ? C’est mettre le bras. Comment voulez-vous sauter avec le bras le long du corps ? » interroge le papa de Nolan, actuel coach de l’US Ribécourt (Oise), en Départemental 1.
Devoir disputer un ballon dans les airs sans pouvoir se propulser avec ses coudes, la règle a sa part d’hypocrisie. Pour le Dr Emmanuel Orhant, responsable médical à la FFF, elle se justifie : « Une étude allemande a montré qu’il y avait 25% de commotions cérébrales en moins depuis la mise en place de cette règle en 2006. » L’ancien médecin du LOSC et de l’OL fait le parallèle avec les tacles glissés et rappelle que les règles ont aussi changé dans ce domaine : « Avant, dans le foot, on pouvait casser les deux jambes sans problème. Regardez Domenech, il ne rigolait pas ! »
Imaginons que la science pousse un jour les instances internationales à abolir les coups de casque sur les terrains de foot, à quoi pourrait ressembler le foot sans le jeu de tête ? « La première réponse qui me venait à l’esprit, c’était un jeu avec plus de préparation, pose Fabien Mercadal, l’ancien entraîneur du Paris FC et du Stade Malherbe Caen. Mais si tu fais beaucoup de passes courtes, c’est parce que l’adversaire a l’incertitude que tu puisses jouer direct. Donc, forcément, l’adversaire s’adapterait à ce choix stratégique, tu t’adapterais à nouveau au sien et ainsi de suite… » Bref, des parties d’échecs en perpétuel renouvellement stratégique, comme l’histoire du foot finalement.
Dans un foot sans coups de tête, le domaine du jeu qui serait le plus affecté serait sûrement les coups de pied arrêtés. Si aucun joueur adverse ne peut s’élancer dans les airs dans la surface pour utiliser sa tête, le gardien aurait davantage de facilités à capter un ballon aérien. D’où le besoin, pour les attaquants, de combiner à plusieurs afin de trouver une faille dans la défense. Et l’on peut imaginer la fin des corners tendus devant le gardien et des coups francs dans la boîte… sauf pour claquer des retournés !
La fin du jeu de tête, c’est pas pour demain
Les profils de joueurs seraient aussi différents, forcément. Les défenseurs robustes et forts dans le domaine aérien en feraient les frais. « En charnière centrale, on serait plus enclin à choisir un joueur avec de la vitesse, qui soit plus à même de couper les trajectoires parce que les centres seraient au sol » , explique Mercadal. Dès lors, cela pourrait éviter à un coach – au hasard celui des Bleus – de devoir trancher entre un attaquant au profil de pivot et un autre moins à l’aise dans le domaine aérien, mais plus adroit avec ses pieds.
Mais tout cela, c’est de la fiction. Car les mesures prises aux États-Unis, en Écosse et bientôt en Angleterre sont des principes de précaution. Si des scientifiques ont établi des liens entre la démence dont souffrent d’anciens joueurs (à commencer par l’Anglais Jeff Astle, mort en 2002 à 59 ans) et les traumatismes subis sur les terrains, aucune étude ne peut aujourd’hui affirmer scientifiquement si c’est l’accumulation de coups de tête ou bien si ce sont des chocs violents (un ballon à pleine vitesse, un coup de coude, un coup de genou…) qui sont à l’origine de maladies neurodégénératives. Et rien ne dit que la science poussera un jour les instances internationales à abolir le jeu de tête dans le foot. Et si ça devait être le cas, il resterait toujours les archives. Plutôt finale de la Coupe du monde 98 ou finale de la Ligue des champions 99 ?
Foot – Les dangers des chocs à la tête : une enquête à lire dans le numéro 173 de SO FOOT, actuellement en kiosque
Par Florian Lefèvre et Mathieu Rollinger
Tous propos recueillis par FL et MR.