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Que s’est-il vraiment passé lors de Lille-Nantes ?

Nicolas Kssis-Martov et Antoine Aubry, avec Aymeric Le Gall.
5 minutes
Que s’est-il vraiment passé lors de Lille-Nantes ?

Les supporters français défraient parfois la chronique par leurs excès. Mais à l'occasion de la rencontre entre Lille et Nantes, les supporters des deux clubs ont montré un tout autre visage. Ou comment des ultras nantais ont bénéficié du droit d'asile au cœur du kop des Dogues... Un exemple qui va susciter des vocations ou juste rester un moment exceptionnel ?

En plus d’assister à la victoire (2-0) du LOSC face au FCN, les spectateurs présents au stade Pierre-Mauroy dimanche ont pu voir un fait absolument insolite : deux groupes de supporters ultras rivaux volontairement installés dans la même tribune lors d’un match entre leurs deux équipes.

Tout commence la semaine dernière. Dans un communiqué diffusé sur le site mouvement-ultra.fr, les supporters nantais de la Brigade Loire (BL) indiquent qu’ils ne se déplaceront pas à Lille pour la rencontre LOSC-FCN. Les raisons ? Le prix (25 euros) et les conditions pour se rendre dans le Nord et assister au match (trajet géré par les forces de l’ordre, achat d’une contremarque au minimum 72h avant la rencontre et limitation du matériel en tribune). « L’an dernier, on avait gardé un goût très amer de notre excursion à Lille, se rappelle Romain, un des responsables de la BL, pour So Foot. On avait eu le droit à une double fouille bien poussée et un reniflage en règle par la brigade cynophile en mode terroriste, 5 par 5 contre un mur. Du coup, cette année, quand on a découvert que ça allait être encore pire, on s’est dit niet, pas question de subir sans rien dire » .

Un boycott par ailleurs soutenu par leurs rivaux (plusieurs rencontres mouvementées dans les années 90) lillois des Dogues Virage Est (DVE) qui, eux, sont obligés de subir des conditions quasi similaires lors de chaque déplacement. « En parallèle, le directeur général du LOSC, Frédéric Paquet, a fait plus qu’assumer sa politique tarifaire et sécuritaire, explique Romain. Il nous a bien pourris en affirmant qu’on faisait bien de ne pas venir, que les« casseurs »n’avaient pas leur place dans leur stade. »

Asile (ko)politique

Si une petite vingtaine de supporters du FCN occupent le parcage officiel, une cinquantaine de membres de la Brigade Loire, venus en voiture, arrivent à se regrouper dans les travées du stade nordiste et sortent quelques banderoles contestataires. Immédiatement, de nombreux stadiers débarquent pour entourer les Nantais et des policiers prennent place en coursive, prêts à intervenir. « Les stadiers ont très vite changé d’attitude quand ils ont vu qu’ils n’avaient pas affaire aux« casseurs »décrits par M. Paquet. Mais bon, il fallait quand même qu’on dégage, parce qu’on était debout. Les flics voulaient intervenir à la mi-temps » , témoigne Romain. « Seul le parcage officiel et notre tribune sont autorisés à avoir des supporters debout » , précise Donatien, un des responsables des Dogues Virage Est, à So Foot.

S’ensuit une conversation des plus improbables entre Bruno Chapel (le responsable sécurité du LOSC), les forces de l’ordre et des responsables des supporters lillois et nantais. Vu que ces derniers refusent de se rendre dans le parcage officiel, les DVE proposent aux fans du FCN de se placer dans le kop lillois ! Donatien poursuit : « Tout d’abord surprises de notre« accord », les autorités acceptent le deal et la Brigade Loire intègre donc la tribune Nord à la mi-temps. Par respect, les Nantais n’ont pas chanté pour leur club et ont seulement sorti quelques banderoles. Et nous avons lancé quelques chants contestataires qui ont été repris en commun (sur Thiriez, la répression, Luzenac…) »

Solidarité symbolique ?

Une situation jamais observée dans le monde des tribunes (des Strasbourgeois avaient bien aidé des supporters du PSG à obtenir des places hors-parcage à la Meinau en 2004/2005 lors du conflit Graille-Larrue, mais pas dans leur propre tribune) qui a fait l’effet d’une petite bombe. Les ultras sont conquis et des nombreux médias évoquent l’histoire. Quand Donatien souligne la « belle preuve de maturité des deux groupes » , Romain fait part de son « respect » aux DVE pour avoir « joué le jeu » . Mais de la bouche de ces deux responsables, cette initiative est et doit rester « exceptionnelle » , symbolique. « Alors oui, c’est sûr que c’est rare, que les Lillois n’accueilleraient pas les Lensois, qu’on n’accueillerait pas les Bordelais, confesse Romain. Finalement, les gens diront probablement que c’est hypocrite de notre part. Mais nous, on a fait exactement ce que font les instances sportives et étatiques : on a pris un évènement exceptionnel, pour le faire passer pour une généralité. Il y a plus de 400 matchs (championnat et coupes) organisés par an et qui impliquent des clubs de L1… Et combien d’incidents ? Ils laissent penser qu’on est des morts de faim, et qu’on n’a pas plus d’incidents parce qu’ils nous fliquent à mort. Pourtant, dimanche, on leur a prouvé l’inverse avec 50 ultras nantais au milieu de la tribune Nord lilloise et sans aucun flic pour nous séparer. »

Avant d’enchaîner : « Ils font des efforts considérables depuis 20 ans pour réduire nos activités. Ils ont mis en place une Division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH), c’est-à-dire des gens payés par nos impôts, dont le boulot est, chaque jour, de réfléchir à comment faire pour réduire notre marge de manœuvre. Mais t’as aucun mec, aussi bien au gouvernement qu’à la Ligue, qui réfléchit à comment faire pour améliorer les conditions d’accueil, etc. Il y a un vrai problème sur ce sujet en France et la situation de dimanche en est l’illustration. Ils pondent des arrêtés préfectoraux, ministériels, fliquent les gares/aéroports/péages, fichent les supporters, détournent les mesures administratives en sanctions pénales… 20 ans que ça dure et que ça ne marche pas, mais toujours personne pour se mettre autour de la table avec nous… » Malgré des conditions de déplacements de plus en plus drastiques, les supporters refusent de rendre les armes. Reste à savoir si cette initiative et les autres auront enfin un réel impact sur l’action des autorités et de la Ligue de football professionnel sur le sujet.

*Nous avons tenté de joindre à plusieurs reprises, sans succès, la préfecture du Nord, le LOSC et la LFP. Le secrétaire d’État chargé des Sports Thierry Braillard, très occupé avec le vote de confiance du gouvernement Valls II à l’Assemblée nationale, n’a malheureusement pas eu le temps de nous consacrer quelques instants.

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