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Que s’est-il passé lors de Reims-Bastia ?

Par Antoine Aubry et Thomas Andrei
9 minutes
Que s’est-il passé lors de Reims-Bastia ?

Des insultes, un matraquage et un supporter bastiais qui perd la vue. L’après-match de la rencontre entre Reims et Bastia samedi dernier laissera des traces. Entre manifestations, mises en examen et report du Bastia-Nantes d’aujourd’hui, retour sur une semaine trouble.

Depuis de nombreuses semaines, la jeunesse corse semblait plongée dans une sorte de bonheur collectif. Pas toujours à la fête, une majorité des jeunes de l’île n’en revenait toujours pas : leurs candidats et leurs partis siégeaient enfin à la tête de l’assemblée locale. Pourtant, deux mois après les élections, des scènes de guérilla se déroulent dans la rue comme si rien ne s’était passé. Attaquant la gendarmerie de Bastia dimanche soir, puis celle de Corte mardi, quelques centaines de manifestants, munis de bombes agricoles et cocktails Molotov, rappellent qu’au pays de Yannick Cahuzac, rien n’est bien rose très longtemps. Raison des affrontements : la blessure d’une jeune supporter du Sporting, Maxime B, 22 ans. Accompagnant les supporters turchini lors du déplacement à Reims le week-end dernier (victoire 0-1), cet étudiant à l’université de Corse n’a toujours pas quitté la Marne.

Pour tout comprendre, il est nécessaire de revenir quelques jours en arrière. Le samedi 13 février, le Stade de Reims accueille Bastia lors de la 26e journée de Ligue 1. Une date cochée depuis longtemps par plusieurs supporters du Sporting. « Avec toutes les interdictions de déplacement qu’il y a eu cette saison, la complexité d’organiser un déplacement depuis notre île et l’instauration de l’état d’urgence après les attentats de Paris, nous n’avons pas souvent eu l’occasion de nous déplacer cette année » , raconte à So Foot Romain Paoli, 28 ans et un des responsables du groupe Bastia 1905. Venue de la capitale en bus, la troupe s’installe dans le centre-ville de Reims dès l’après-midi pour boire un coup avant d’aller vers un autre bar à proximité du stade Auguste-Delaune sous la surveillance d’un équipage de la BAC légèrement sur les dents d’après les Bastiais. « C’était un bar de fans rémois, mais tout s’est très bien passé avec eux » , précise Romain. « C’était vraiment dans une ambiance bon enfant. » Contacté par nos soins à la suite des événements, le staff du Sherlock Pub, le premier établissement dans lequel les Corses ont passé la journée, a confirmé le côté festif du groupe : « Ils étaient déjà venus l’année dernière et on n’a eu aucun souci avec eux. Là encore, on les a servis toute la journée, et tout s’est très bien passé avec eux. »

Échauffourées sur le cours Langlet

À leur arrivée au stade, les 30 membres de Bastia 1905 font face à une ligne de CRS en attendant de pouvoir monter dans la tribune réservée aux supporters visiteurs. « Là, ça s’invective un peu avec eux, confie le responsable du groupe bastiais. Mais rien d’exceptionnel, de simples chamailleries de stade comme on en voit tout le temps lorsqu’on se déplace. » Les supporters corses finissent par entrer en parcage, mais, selon Fabrice Belargent, le procureur de la République de Reims, ces derniers se montrent agressifs. Dans une conférence de presse tenue lundi, le magistrat a soutenu que les policiers à l’intérieur du stade avaient notamment fait « l’objet de menaces et d’injures » de la part d’un « groupe relativement restreint » . Des inscriptions insultantes mentionnant le préfet Erignac (mort assassiné en 1998 à Ajaccio) auraient même été retrouvées dans les toilettes du parcage. Des accusations rejetées en bloc par Romain Paoli : « Il y avait un peu de tension liée au sportif, puisque les deux équipes jouent le maintien, mais il n’y a pas eu le moindre problème à relever. Nous sommes d’ailleurs sortis du parcage sans souci. » Avant de repartir sur Paris, la trentaine de membres se scinde en deux groupes. Certains remontent directement dans le bus, et d’autres décident d’aller boire un dernier verre dans Reims.

C’est à partir de ce moment que tout se gâte. Sur le cours Langlet (situé près de la cathédrale de Reims, à un peu moins de deux kilomètres du stade Auguste-Delaune), une patrouille de police affirme avoir été prise pour cible par une bande de supporters bastiais. Selon le parquet cité par l’AFP, des fans du Sporting auraient « provoqué la police » et jeté des « objets sur (leurs) véhicules » . 9 sont interpellés. Prévenus par téléphone, le reste des membres de Bastia 1905 se rend immédiatement sur place. « On a eu les témoignages d’autres têtes de chez nous qui étaient aussi là au moment des faits » , indique Romain Paoli. « Elles nous ont expliqué que le groupe avait été suivi par la BAC depuis leur sortie du stade et qu’il avait été chargé sans raison particulière et après avoir été insulté. » Les supporters présents assurent que certains d’entre eux se sont fait renverser par des voitures de police en tentant de fuir et que d’autres ont été lynchés. « Au commissariat, les policiers nous ont confirmé la mise en garde-à-vue de nos amis, tout en indiquant qu’ils allaient tous bien, poursuit Romain. Nous avons donc décidé de repartir sur Paris, persuadés qu’ils allaient être relâchés le lendemain. »

Flash-ball et soutiens

Mais le dimanche matin, les supporters apprennent qu’un des leurs, Maxime. B (22 ans), a été opéré en urgence dans la nuit et qu’il risque de perdre un œil. Plusieurs d’entre eux décident donc de revenir sur Reims. « Là, on découvre tout le calvaire que Maxime a vécu depuis son interpellation, explique le responsable de Bastia 1905. Il affirme que c’est un tir de flash-ball qui lui a causé une blessure à l’œil… Il nous indique aussi avoir été pris en photo et insulté par les policiers qui l’entouraient pendant son transfert. Ils l’ont traité de « sale Corse » en lui disant qu’ils allaient lui « faire l’autre œil pour qu’il n’aille plus faire la chasse au sanglier ». Au commissariat, les flics ne voulaient toujours pas l’amener à l’hôpital et ce sont finalement les pompiers qui sont venus le chercher. » Citant un autre supporter présent, le site Internet La Grinta indique que les policiers auraient aussi lancé un « la prochaine fois, votre président parlera en français » (en référence au discours d’investiture de Jean-Guy Talamoni, le nouveau président de l’Assemblée de Corse).

Dans la journée, l’information commence à être diffusée dans les médias. Le lien entre œil touché et flash-ball est rapidement réalisé par des supporters qui se remémorent les affaires Casti et Lex, mais le parquet de Reims réagit rapidement en assurant n’avoir « aucun élément pour dire que la personne a été blessée par flash-ball » . Selon lui, le supporter corse se serait même blessé tout seul en tombant sur un poteau après une course-poursuite avec la police.

Mais sur l’Île de Beauté, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre. Dans un communiqué publié le dimanche en début d’après-midi, le Sporting exprime son « entier et amical » soutien au supporter touché et exige que toute la « lumière soit faite sans délai sur les circonstances de ces violences » , tandis que Gilles Simeoni, le président du conseil exécutif de Corse, demande une « enquête indépendante et impartiale » . Le soir, un premier rassemblement de soutien est organisé via les réseaux sociaux le dimanche soir devant un commissariat de Bastia. Abonné à Furiani depuis 21 ans, Fabrice était présent en « soutien à Maxime et aux autres interpellés » . Selon lui, cette affaire est sortie du cadre sportif pour devenir politique : « On a entendu parlé de propos anti-corses tenus par les policiers rémois. Et un jeune militant nationaliste supporter du Sporting a été relâché de prison juste avant le match, c’était peut-être une manière de se venger. »

Enquête pour « blessures volontaires »

Lundi, le procureur de la République de Reims indique dans sa conférence de presse que l’œil de Maxime « serait définitivement perdu » et confirme finalement l’utilisation d’un flash-ball au moment des échauffourées avec les supporters bastiais tout en précisant que le policier auteur du tir avait visé l’abdomen et non la tête. Mardi matin, le groupe Bastia 1905 annonce sur son compte Facebook qu’il va organiser une manifestation le samedi après-midi, quelques heures avant la rencontre entre Bastia et le FC Nantes à Furiani. Immédiatement après, la commission des compétitions de la Ligue de football professionnel envoie un mail au SCB pour l’informer que le match entre le Sporting et le FCN serait finalement avancé à… 14h. « N’ayant à aucun moment été consulté sur les raisons qui ont motivé cette décision unilatérale et trouvant de telles pratiques inadmissibles, le club vient de signifier à la LFP son refus catégorique de se conformer à ce diktat, réplique dans la foulée le SCB via un communiqué public. Les portes du stade demeureront donc fermées à l’horaire décrété par les instances. » Face à la poursuite de la mobilisation (nouveau blocage de l’université de Corte, manifestations de lycéens à Bastia), la préfecture de Haute-Corse et la LFP optent finalement pour un report pur et simple de la rencontre au 9 mars prochain. « En tant que président de la LFP, je ne peux pas accepter que le football soit l’otage de batailles politiques. Je ne veux pas que le football devienne prétexte à des actes de violence » , a ajouté Frédéric Thiriez dans un communiqué publiant la nouvelle.

Mercredi, le parquet de Reims annonce finalement qu’une information judiciaire contre X pour « violences volontaires ayant entraîné une incapacité temporaire de travail supérieure à huit jours » a été ouverte et qu’il a saisi la police des polices. Si l’hôpital n’a pas encore communiqué sur la nature réelle de la blessure de Maxime, les supporters bastiais restent persuadés qu’il s’agit d’un tir de flash-ball et assurent qu’ils vont se battre pour « lui, mais aussi pour les autres » . « Les médias ont tous parlé de violences contre les policiers et de dégradations, mais il ne faut pas oublier qu’ils sont uniquement poursuivis pour « menaces, rébellion, outrage à personnes dépositaires d’une autorité publique », insiste Romain Paoli. Après, on ne veut pas se « victimiser », on est les premiers à jouer sur la rivalité franco-corse. Mais là, c’est la première fois que ce type d’événement arrive, avec un véritable contexte anti-corse. On verra bien pendant le procès s’il existe vraiment. » Un procès prévu à Reims, le 22 mars. Malgré le report de la rencontre entre le Sporting et Nantes, les membres de Bastia 1905 se rendront bien à Furiani ce samedi dans le cadre de leur manifestation de soutien. Ils seront rejoints par les supporters de Nantes, ayant refusé d’annuler leur déplacement. Via Facebook, le groupe bastiais a également annoncé la venue de tifosi du club de Sassari (Sardaigne), tout en réclamant la démission du procureur de Reims. Mais, chose peu commune, en appelant aussi à l’apaisement…

Dans cet article :
Lyon cale à Reims
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Par Antoine Aubry et Thomas Andrei

PS : Contactés par nos soins, les préfectures de Haute-Corse et de la Marne, ainsi que le parquet de Reims ont refusé de répondre à nos questions.

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