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Que reste-t-il du projet de Marseille ?
En un an, l’OM est passé de vice-champion de France anticipé euphorique de ses retrouvailles programmées avec la Ligue des champions à club au bord de l’implosion, avec un entraîneur démissionnaire et un président dont tout le monde veut la tête. À deux jours de son troisième Classique de la saison, le club phocéen est embourbé dans une crise qui marque encore un peu plus l’échec du projet porté par Frank McCourt et Jacques-Henri Eyraud, arrivés à la tête du club il y a bientôt cinq ans.
L’Olympique de Marseille est un club qui ne fait vraiment rien comme tout le monde. Même quand il s’agit de se péter la gueule, c’est toujours fait avec un panache, un fracas et un sens de la théâtralité très phocéen. La tête dans le guidon sportivement depuis plusieurs semaines, incapable de recoller à un quatuor de tête qui lui met 12 points dans la vue, l’OM s’est enfoncé dans sa crise en y ajoutant une petite couche institutionnelle cette semaine. En points d’orgue, le départ porte claquée d’André Villas-Boas pour une sombre histoire de désaccord concernant le mercato et les déclarations maladroites, voire incendiaires de son président sont venus jeter un bidon d’huile sur le feu déjà nourri. Cinq ans après l’arrivée du tandem McCourt-Eyraud à la tête du club, on a rarement autant eu l’impression que l’OM ne savait pas du tout où il allait, perdu dans un projet où des appellations américanisantes floues ont été l’arbre qui a caché la forêt d’un manque de savoir-faire alarmant dans la gestion d’un club de foot. Ou plutôt d’un club de foot comme l’OM.
Père Noël sous amphétamines et vaines promesses
Revenons en arrière, donc. Octobre 2016, après des semaines de négociations en coulisses, l’Olympique de Marseille est racheté à Margarita Louis-Dreyfus par le ticket Frank McCourt-Jacques-Henri Eyraud. Le premier est là pour vendre le rêve américain au peuple marseillais, lâcher de la thune et accessoirement avoir un œil un peu plus rapproché sur les secteurs équestre et immobilier français ; l’autre est là pour rendre ce rêve réalisable de présider un club en grand besoin d’un vent nouveau. Le soleil brille sur la planète Mars, le moral est au beau fixe, les choses vont enfin changer à l’OM. « Ce rachat en 2016, on le vit comme un rêve », ose même Guillaume, fervent supporter du club. Il faut dire que McCourt et Eyraud ont débarqué à l’OM avec l’énergie d’un Père Noël sous amphétamines, empilant les promesses comme autant de cadeaux sous un sapin qui faisait grise mine depuis plusieurs années. La première est financière : 200 millions d’euros injectés sur le mercato pour bâtir une équipe compétitive, et un assainissement des finances par ailleurs. La seconde est sportive, elle vient directement de McCourt avec une formule qui marque : « Mon but n°1, c’est d’être dans le top 3 de la Ligue 1 tous les ans. Le but n°2 est de gagner le championnat plus souvent qu’on ne le perd. Le but n°3, c’est de gagner la Ligue des champions. » La troisième promesse, enfin, est identitaire : « Notre plan, c’est aussi la mise en valeur des racines, développait Eyraud dans les colonnes du SO FOOT #140, en octobre 2016. On est à fond avec Frank sur la notion de « OM Way ». Notre défi principal, ça va être de le trouver et de l’affiner.(…)On va bâtir ce club dans le respect de la tradition marseillaise. »
L’OM « Champions project » , en écho au projet Dortmund de Vincent Labrune, était donc né. Et pas besoin d’attendre les images de la Commanderie saccagée pour comprendre que sa vie fut courte : en 2019, Jacques-Henri Eyraud actait son décès à demi-mot, regrettant que ce titre « n’ait pas été utilisé pour ce qu’il était : la traduction d’une ambition, avec des mots anglo-saxons, ni plus, ni moins. » Une ambition qui ne s’est malheureusement pas traduite sur le terrain. La promesse sportive n’est pas tenue : malgré une finale de Ligue Europa en 2017-2018, Marseille manque de se qualifier en Ligue des champions trois années de suite, ce qui a constitué un gros manque à gagner pour un club qui, parallèlement, a dépensé des sommes folles sur le marché des transferts pour des joueurs à côté de la plaque (Mitroglou, Strootman, Germain, Radonjić, Rami, Balotelli, Benedetto, dans une moindre mesure Payet ont tous coûté très cher en indemnité ou en salaire). Autant de choix qui ont plombé les finances du club, qui compte toujours l’un des plus gros déficits de Ligue 1, sans lui permettre d’atteindre ses objectifs sportifs. « Ça a été une erreur d’annoncer trop tôt ce que voulaient les dirigeants marseillais, estime toujours Guillaume. À Marseille, ça ne rentre pas par une oreille pour ressortir par l’autre, on te ressortira ce que t’as dit. » La preuve en un souvenir : le « Project » copieusement moqué par une avalanche de banderoles déployées au Vélodrome un soir de Marseille-Lyon, en mai 2019. Sur quatre saisons du « Projet » , cet OM qui voulait faire top 3 tous les ans et gagner plus de championnats qu’il n’en perdait ne compte qu’une petite qualif’ en C1, et a terminé en moyenne à 20 points d’un PSG qu’il se voyait pourtant bien concurrencer. Guillaume poursuit : « Ils pensaient pouvoir réaliser leurs objectifs, mais n’en avaient pas la certitude. À Marseille, tu dois avoir des certitudes. » En visant très vite très haut, le projet Marseille a créé des attentes impossibles à décevoir, sous peine de soulèvement populaire. Symbole de tout ça : le fameux « grand attaquant » attendu, qui aura tantôt été Kostas Mitroglou, Valère Germain, Mario Balotelli, Dario Benedetto et désormais Arkadiusz Milik. En cinq ans, c’est maigre. « Ce qui est dommage, c’est d’avoir raté le retour en Ligue des champions si lamentablement, en étant ridicule, sanctionne Rolland Courbis. Personne ne peut être fier de cette équipe, qu’on ne voit pas progresser, ni individuellement ni collectivement. »
Cauchemar américain
Surtout, la fracture entre le cœur de ce club, ses supporters, et le projet porté par ses dirigeants s’est fait au niveau identitaire : ce fameux « OM Way » , cette façon de faire, de jouer, de former, de produire marseillaise, ils ne l’ont jamais trouvée. La technocratisation de la communication opérée par Eyraud, les PowerPoint comme pour présenter le business plan d’une start-up de tech à l’américaine, sa chasse aux « 99% » de collaborateurs marseillais au club ou sa relation quasiment inexistante avec les supporters a petit à petit érodé l’ADN très populaire de ce club. Dans un autre registre primordial, la formation, le projet de se lier avec les clubs de la région pour créer une passerelle vers la formation de l’OM pour les jeunes (le « OM Next Generation » , décidément les anglicismes…) était une idée brillante sur le papier, mais un feu de paille dans les faits, avec certains clubs très réputés qui ont fini par claquer la porte, même s’il est encore tôt pour être définitif sur les résultats d’une telle politique. Sur les jeunes toujours, à part Boubacar Kamara, aucun n’a vraiment fait son trou en équipe première, alors même que Jacques-Henri Eyraud ambitionnait, toujours dans nos colonnes en 2016, que « l’objectif sera d’avoir « notre Steven Gerrard à nous ». Quand vous parlez à des Marseillais, vous vous rendez compte qu’ils veulent voir dans cette équipe des jeunes Marseillais qui ont démarré dans un club de quartier des environs et monté l’échelle petit à petit. »
Sa vision, à ce niveau comme à d’autres, ne s’est pas réalisée. Du projet marseillais porté par McCourt et Eyraud, il reste aujourd’hui un édifice aux fondations branlantes, bardé de fissures, et qui ne tient que sur l’espoir à peu près immortel que Marseille retrouvera toujours sa grandeur tôt ou tard. Un espoir qui repose aujourd’hui quasiment exclusivement sur les épaules de Pablo Longoria, qui a commencé à effectuer un très grand ménage là où McCourt et Eyraud avaient sans doute le plus raté : l’effectif. Celui qui est en première ligne pour rapporter des résultats, des revenus et de la fierté, là où tout le reste est souvent accessoire. « Il faut rapidement retrouver sérénité et confiance, mais je préfère attendre le Classique avant de trop me prononcer, lâche Courbis. Une victoire dimanche, ça peut déjà changer beaucoup de choses. » Beaucoup sans doute pas, mais au moins assez pour offrir un court sursis à tout ce beau monde.
Par Alexandre Aflalo