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Que font les entraîneurs pendant l’échauffement de leurs joueurs ?
Que font les entraîneurs pendant l’échauffement de leurs joueurs ? Réponse : ils sont très souvent seuls, en proie à un stress lié à l’approche d’une rencontre sur laquelle ils n’ont plus aucune prise. Mais comment transforment-ils ce moment nerveusement désagréable en moment vivable ?
Chacun sa propre histoire. Il y a ce supporter qui s’est construit un rituel avant chaque match à domicile de son équipe : retrouvailles avec son groupe de potes de toujours au bar du coin, petit sandwich attrapé au vol sur la route du stade, discussions pour refaire le monde et se vider l’esprit après une semaine passée la tête dans un entrepôt ou au milieu d’un bureau aux murs décorés par le seul calendrier des pompiers. Il y a cet autre qui, en avant-match, préfère ouvrir des canettes sur le capot de sa Renault Clio, là où une fan, elle, ira plutôt tuer le stress de la rencontre à venir en décryptant la compo qui vient de tomber, entourée de ses compagnons de tribune habituels. Au même moment, il y a ce joueur qui veut s’isoler en écoutant de la musique envoyée pleine balle dans son casque pendant que deux de ses coéquipiers tuent le temps en s’échangeant des passes, histoire de répéter les gammes et de faire monter le rythme. Le stade se remplit, le cirque se met en branle, mais à cet instant, alors que l’échauffement démarre pour les différents acteurs, une personne est seule et tourne, le plus souvent, en rond tel un poisson rouge dans son bocal : l’entraîneur principal.
Questionné début février par France Football au sujet de ces 25-30 minutes qui le séparent de ses joueurs, Lionel Scaloni disait : « C’est un moment très difficile, que j’aimerais supprimer si je le pouvais, car là, tu te mets à cogiter, à penser à un aspect que tu aurais pu oublier, à des choses négatives qui pourraient arriver durant le match… » Quelques récents échanges avec des confrères du sélectionneur de l’Argentine ont confirmé la chose. Les entraîneurs, peu importe le niveau, exècrent en large majorité ce moment d’intimité. Un moment où le coach n’a plus de prise sur rien, où la tactique n’existe plus, où il se retrouve plongé dans le silence de son vestiaire. Mais pourquoi ?
Un lâcher-prise imposé
Assis sur le banc du FC Sochaux depuis l’été dernier, Oswald Tanchot, 50 ans, a récemment abordé le sujet avec son président, le mythe Jean-Claude Plessis, lors d’un déplacement. « En arrivant, il m’a dit : “Le plus difficile commence.” Et il a totalement raison, développe le coach. L’avant-match est un supplice parce que tu n’as plus aucune influence. À une époque, je fumais et j’avais tendance à beaucoup fumer pendant l’échauffement. Pour tuer le temps, c’était donc souvent le même réflexe : téléphone, cigarettes, café… J’appelais souvent un ami préparateur physique pour parler de foot. Aujourd’hui, j’écoute plutôt de la musique, je lis des articles que je me suis mis de côté… » Après plus de 20 ans dans le milieu, Karim Mokeddem, lui aussi installé au fond d’une banquette de National 1, à Orléans, ne s’est toujours pas habitué à ce tourbillon pénible et parle d’un moment insupportable. Il dit : « La semaine d’entraînement est terminée, le match a été préparé, la causerie tactique a été faite, on devrait pourtant lâcher prise, mais c’est impossible. Le onze adverse tombe, et je bascule sur deux ou trois films dans ma tête. Je n’ai envie que d’une chose : être dans le fight. Quand le coup d’envoi est à 19h30, j’aimerais donner rendez-vous aux joueurs à 18h45. On se fait quelques passes pour se mettre dans le rythme et hop, on joue, comme au city quand on était gosses. »
S’il a longtemps cherché à s’enfermer à double tour avant les rencontres, Mokeddem avoue s’être un petit peu plus ouvert avec le temps. Désormais, il lui arrive parfois de passer une tête au bord du gazon, ce que peu d’entraîneurs font. Depuis le début de saison, Oswald Tanchot affirme n’avoir vu que deux de ses homologues le faire : Habib Beye et Will Still, qui se pose très souvent en civil dans le rond central, positionné de façon à pouvoir avoir un regard sur l’échauffement de son équipe et un autre sur celui de son adversaire, avant d’aller enfiler son survêtement. Mais pourquoi tant de stress ? « Ça vient de l’impatience du coup d’envoi, mais aussi du fait que l’on est jugé tous les vendredis. Du coup, on est souvent comme des gladiateurs. On entend des hurlements et on n’a qu’une envie : que les grilles se lèvent pour partir au combat. » Aux manettes du surprenant Stade lavallois, Olivier Frapolli n’hésite pas à sortir également pendant l’échauffement pour prendre le pouls et avoir un œil sur l’équipe adverse. « Je suis curieux, on peut toujours trouver des choses intéressantes. Je me souviens d’un match contre Avranches, en N1, où on n’arrivait pas à savoir comment leurs milieux allaient s’animer et c’est en sortant que j’ai compris que ça allait être en losange. Je viens aussi un peu prendre de la sensation euphorisante du stade pour ne pas trop me mettre la tête à l’envers. Je m’assois sur le banc, je ne parle à personne, dans ma bulle, incapable de parler d’autre chose que du match. »
Musique, famille, bouquin : tous les moyens sont bons
Avant de se poser sur le banc de touche de Le Basser ou sur celui des autres stades de Ligue 2, l’entraîneur de Laval s’enferme, seul, dans le vestiaire. Il y écoute d’abord quelques chansons issues d’une playlist qu’il connaît par cœur, histoire de ne pas laisser l’aléatoire prendre trop de place, avant de s’adonner à des exercices de cohérence cardiaque. « J’essaye de faire ça le plus souvent possible, ça me permet d’avoir des émotions moins exacerbées, mais il faut se trouver dans un lieu qui s’y prête, certains vestiaires sont trop bruyants », explique Olivier Frapolli. Franck Haise fait souvent de même et se recentre régulièrement en lisant quelques pages d’un livre. Année après année, Karim Mokeddem a, lui aussi, usé de tous les stratagèmes pour chasser la pression, sans trouver celui qui lui convenait pleinement. Sans routine particulière, il profite donc souvent de ce moment de retrait, à l’abri des regards, pour également faire le plein d’ondes positives en zyeutant sur des photos de ses proches afin d’écourter ce laps de temps « interminable ».
Après des piges à Pau, Quevilly-Rouen ou Troyes, Bruno Irles officie à Molenbeek depuis février dernier où il bataille pour le maintien. Malgré une situation délicate sur le plan sportif, il est l’un des rares entraîneurs à ne pas souffrir durant l’échauffement de ses joueurs. « Dans la mesure du possible, je vais en tribune avec des amis ou de la famille, des gens que je connais, qui sont venus au match. Ça me permet de me relâcher un peu avant le moment beaucoup plus stressant, prenant, du match. » Même perché en gradin, l’ancien joueur de l’AS Monaco reste évidemment en éveil et n’hésite pas à prendre note du comportement des deux équipes pour orienter les derniers mots adressés à ses joueurs dans les vestiaires. S’il avoue ne pas stresser, c’est parce qu’il estime réussir à se focaliser sur l’instant présent – le match qui arrive et non celui qui arrivera une semaine plus tard – et avoir assez bien préparé sa rencontre. Il sent aussi son influence diminuer au fil des minutes qui s’égrènent avant le coup d’envoi. Une fois la causerie passée, les adjoints prennent le relais sur la pelouse, les joueurs ont le sort de la rencontre entre leurs pieds et Olivier Frapolli griffonne sur son carnet ce qu’il pourra faire suivant le contexte du match. « Je pense que ça rajoute de la pression de confier son destin et son avenir à quelqu’un d’autre », pointe du doigt Karim Mokeddem, tourmenté par le manque d’emprise qui se répète de semaine en semaine, conscient que pour pouvoir commencer les matchs sans échauffement, il devra encore attendre. Chacun son histoire, mais un même constat : même au moment où le temps s’arrête, la machine à laver continue de tourner.
Par Maxime Brigand et Enzo Leanni