- Coupe du monde 2018
- Jour de repos
Que faire un jour de repos de Mondial ?
Après d'haletants huitièmes de finales qui vous ont laissé exsangue sur votre canapé, il est temps d'amener cette belle cinquantaine de cadavres de bières dans le conteneur à verre au coin de votre rue. Mieux, vous avez 24h pour faire tout autre chose que de regarder du football, alors autant bourrer le programme.
9h :
Tout avait pourtant bien commencé, en éclatant du poing ce bouton snooze large comme un avant-bras sur le dessus de votre radio-réveil. Du NRJ volume treize éteint d’un grand coup vertical histoire de lier l’utile à l’agréable : faire taire Manu Levy et s’échauffer tranquillement les deltoïdes. 9h du mat’, les yeux embrumés et le moral en berne. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de match de Coupe du monde aujourd’hui, et que vous habitez en plus de cela au bout de l’impasse Marie Curie à Saint-Victor, dans l’Allier, alors que ce mercredi 4 juillet est synonyme de coupure d’eau pour raccordement de la canalisation. Dommage, vous adorez vous brosser les dents dans votre douche. Il va falloir déboucher une Vittel, et la toilette attendra.
9h35 :
Un éventail par maison est bien suffisant, vous avez donc choisi d’opter pour vos doigts de pieds. Pour le rafraîchissement, un ventilateur vrombit bruyamment à votre gauche, par ailleurs au moins aussi vieux que la série que vous venez de brancher sur France 2. Amour, Gloire et Beauté, saison 1, épisode 7490 (oui c’est possible) : Liam refuse de laisser Wyatt ruiner la réputation de Steffy, tandis que Ridge réfléchit à un plan pour se débarrasser de Quinn et que Wyatt rappelle à Steffy leurs vœux. Ah, et Bill veut récupérer Brooke. Vingt-cinq minutes de bonheur qui vous attireront quelques regards réprobateurs au moment de franchir les portes de l’amphithéâtre 100 de l’Institut Jean Lamour, Nancy, où vous avez décidé d’assister à la soutenance de thèse de Nicolas Maury. Vous êtes légèrement en retard, et le sujet nécessite pourtant de ne pas avoir loupé l’incipit : « Influence de la microstructure initiale sur les évolutions microstructurales au cours du revenu et du vieillissement dans l’alliage de titane βmétastable Ti-17 » . Vous vous dites que décidément, c’était bien plus marrant de faire une voix de méchant en parlant entre les pales de votre ventilateur.
12h :
Ouverture des portes de la Cinémathèque française, vous y pénétrez avec une casquette Totoro. Au moment de poinçonner le ticket d’entrée de la rétrospective du studio Ghibli, une pensée pour Magalie : vous lui aviez bien dit qu’elle servirait un jour, cette casquette. Malheureusement, Magalie n’est plus là pour le voir, probablement parce qu’elle préfère la piscine de Tristan à vos soirées Uno. Tant pis pour elle, de toute façon, ses cartes étaient cornées. Vous prenez conscience que la projection du jour est Le Royaume des Chats de Hiroyuki Morita, mais c’est à 15h, alors vous vous engouffrez en attendant dans les lignes 9 puis 7 du métro parisien pour vous rendre au Muséum national d’histoire naturelle, qui accueille exceptionnellement un squelette de T-Rex dans sa galerie de minéralogie. Un bien beau spécimen de 12m de haut, équipé d’une soixantaine de dents chacune longues de 18cm, soit à peine plus que vous au moment de croquer dans ce sandwich poulet-avocat acheté à la boulangerie du coin.
13h37 :
Départ du Grand Prix de Vincennes à l’hippodrome de Vichy, course pour laquelle vous avez habilement misé sur Diesis du Goutier, le n°10. Un coup de cymbale 450km plus à l’est salue la victoire de votre poulain, il s’agit bien sûr des premières notes du Festival international de musique de Colmar, qui rend cette année hommage à votre pianiste favori Evgeny Kissin. Évidemment, vous leur aviez soufflé l’idée sur Twitter. Bercé par les notes du Concerto pour piano n°1 de Tchaïkovski, vous vous endormez sur la pelouse le casque sur les oreilles, lové dans une position fœtale si touchante que personne n’ose vous réveiller. Jusqu’à cet idiot de Tristan, qui vous bouche le nez en gloussant. Vous manquez d’étouffer, les insultes fusent. Un « ordure » bien placé met fin au conflit, et vous rappelle au passage que vous aviez donné votre accord pour donner un coup de main à l’Amicale des anciens élèves de Monchaux-Soreng pour la deuxième édition de leur campagne de ramassage des déchets. Direction la Seine-Maritime, donc, mais la déconvenue est au rendez-vous : les participants « doivent être munis de gilets jaunes réfléchissants » , et vous avez oublié le vôtre dans la voiture. Ni une ni deux, motivé par ces conseils de Mike Horn dans The Island, vous vous adaptez : direction Montpellier.
15h :
En serrant le frein à main sur le parking de la maison de retraite médicalisée Maisonnée Lavalette dans la ville de Loulou Nicollin, vous n’avez qu’une idée en tête : sortir vos boules. Ouverture de la portière gauche, puis du coffre, et enfin de cette bonne vieille housse en plastique noircie par le temps où vous gardez votre nécessaire à pétanque. Trois boules chromées, un cochonnet en bois rose, et votre ramasse-boule aimanté Geologic acquis chez Decathlon pour la bagatelle de sept euros. La notice disait vrai : en le nettoyant avec une chamoisine après utilisation, il garde de sa superbe. Vous voilà paré pour les Olympiades de la Maisonnée Lavalette, « un concours sportif où la bonne ambiance sera au rendez-vous » . Deux heures plus tard, Bernard sort vainqueur d’un duel de Scrabble où vous n’avez pu l’empêcher de rajouter un E sur une case mot compte triple à la fin de votre « luminescent » . Foutue pioche. Vous vous refaites le moral en dévorant une tranche de Savane et un verre d’Oasis au goûter organisé par l’amicale des anciens élèves de Monchaux-Soreng.
19h :
Des hommes et des bisons, rien de mieux pour retrouver un peu de cette ambiance virile si caractéristique des matchs de foot entre mecs. Votre Renault Fuego avale les kilomètres et vous dépose pile à l’heure chez Randals Bison, un élevage de bison d’Amérique depuis 1991 en bordure du Parc national des Cévennes. Vous assistez avec entrain au spectacle du tri du bétail à grands coups de lassos, tarif 8,70€ seulement puisque vous partez avant le repas. Pas le temps de niaiser, comme disent les jeunes, Justin Timberlake attend votre arrivée à l’AccorHotels Arena de Paris pour lancer son concert de 19h30. Un parfait timing vous permet de vous éclipser au milieu de l’interminable What Goes Around…/… Comes Around et passer une tête ébouriffée de bonheur au rendez-vous des professionnels de l’impression 3D, qui ferme ses portes au crépuscule lyonnais. Vous repartez avec un porte-clefs Yoshi.
22h37 :
Nuit noire sur Mulhouse. La lumière douce des lucioles, le bruit mat du jeu de cartes que l’on étale sur la table, et le timbre chaud d’Émilie Grieco au moment de dire : « Tirez » . Vous n’avez déboursé que quinze euros, et vous venez de passer une formidable soirée tarologique avec apprentissage de l’histoire du jeu, de l’étude d’une lame, et divers tirages personnels, aux Secrets de l’Ourobos. Bien sûr, vous avez pensé à prendre votre jeu personnel. La Lune est gibbeuse décroissante, un coup d’air frais et vous choisissez d’enchaîner avec un « voyage chamanique » , toujours au même endroit. Mulhouse by night est une expérience sensorielle unique au monde. Les fesses posées sur un zafu sarrasin, vous vous laissez envelopper par le silence environnant, avant de sombrer dans un profond sommeil où vos songes sont peuplés de créatures étranges. Un tapir vous parle en néerlandais. Vous vous réveillez avec langueur, la télévision diffuse le feu d’artifice tiré au-dessus de l’East River, à New-York. Il est 2h30 du matin ce jeudi 5 juillet, et une nouvelle journée sans football s’annonce. Pas de temps à perdre, vous avez entendu que François Hollande était en dédicace à la Fnac Bellecour à 14h15.
Par Théo Denmat